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– Ventre de biche! murmurait Chicot accroupi au milieu de sa chambre, sa dalle ouverte, sa planchette à côté de lui et son trésor sous ses yeux; ventre de biche! j'ai là un bienheureux voisin, digne jeune homme, qui a fait respecter et a respecté lui-même mon argent; en vérité c'est une action qui n'a pas de prix par le temps qui court. Mordieu! je dois un remercîment à ce galant homme, et ce soir il l'aura.

Et là-dessus Chicot replaça sa planchette sur la poutre, sa dalle sur la planchette, s'approcha de la fenêtre, et regarda en face.

La maison avait toujours cette teinte grise et sombre que l'imagination prête comme une couleur de teinte naturelle aux édifices dont elle connaît le caractère.

– Il ne doit pas encore être l'heure de dormir, dit Chicot, et d'ailleurs ces gens-là, j'en suis certain, ne sont pas de bien enragés dormeurs; voyons.

Il descendit et alla, préparant toutes les gracieusetés de sa mine riante, frapper à la porte du voisin.

Il remarqua le bruit de l'escalier, le craquement d'un pas actif, et attendit cependant assez longtemps pour se croire obligé de frapper de nouveau.

À ce nouvel appel, la porte s'ouvrit, et un homme parut dans l'ombre.

– Merci et bonsoir, dit Chicot en étendant la main, me voici de retour et je viens vous rendre mes grâces, mon cher voisin.

– Plaît-il? fit une voix désappointée et dont l'accent surprit fort Chicot.

En même temps l'homme qui était venu ouvrir la porte faisait un pas en arrière.

– Tiens! je me trompe, dit Chicot, ce n'est pas vous qui étiez mon voisin au moment de mon départ, et cependant, Dieu me pardonne, je vous connais.

– Et moi aussi, dit le jeune homme.

– Vous êtes monsieur le vicomte Ernauton de Carmainges.

– Et vous, vous êtes l'Ombre.

– En vérité, dit Chicot, je tombe des nues.

– Enfin, que désirez-vous, monsieur? demanda le jeune homme avec un peu d'aigreur.

– Pardon, je vous dérange peut-être, mon cher monsieur?

– Non, seulement vous me permettrez de vous demander, n'est-ce pas, ce qu'il y a pour votre service.

– Rien, sinon que je voulais parler au maître de la maison.

– Parlez alors.

– Comment cela?

– Sans doute; le maître de la maison, c'est moi.

– Vous? et depuis quand je vous prie?

– Dame! depuis trois jours.

– Bon! la maison était donc à vendre?

– Il paraît, puisque je l'ai achetée.

– Mais l'ancien propriétaire?

– Ne l'habite plus, comme vous voyez.

– Où est-il?

– Je n'en sais rien.

– Voyons, entendons-nous bien, dit Chicot.

– Je ne demande pas mieux, répondit Ernauton avec une impatience visible; seulement entendons-nous vite.

– L'ancien propriétaire était un homme de vingt-cinq à trente ans, qui en paraissait quarante?

– Non; c'était un homme de soixante-cinq à soixante-six ans, qui paraissait son âge.

– Chauve?

– Non, au contraire, avec une forêt de cheveux blancs.

– Il a une cicatrice énorme au côté gauche de la tête, n'est-ce pas?

– Je n'ai pas vu la cicatrice, mais bon nombre de rides.

– Je n'y comprends plus rien, fit Chicot.

– Enfin, reprit Ernauton, après un instant de silence, que vouliez-vous à cet homme, mon cher monsieur l'Ombre?

Chicot allait avouer ce qu'il venait faire; tout à coup le mystère de la surprise d'Ernauton lui rappela certain proverbe cher aux gens discrets.

– Je voulais lui rendre une petite visite comme cela se fait entre voisins, dit-il, voilà tout.

De cette façon, Chicot ne mentait pas et ne disait rien.

– Mon cher monsieur, dit Ernauton avec politesse, mais en diminuant considérablement l'ouverture de la porte qu'il tenait entrebâillée, mon cher monsieur, je regrette de ne pouvoir vous donner des renseignements plus précis.

– Merci, monsieur, dit Chicot, je chercherai ailleurs.

– Mais, continua Ernauton, en continuant de repousser la porte, cela ne m'empêche point de m'applaudir du hasard qui me remet en contact avec vous.

– Tu voudrais me voir au diable, n'est-ce pas? murmura Chicot, en rendant salut pour salut.

Cependant comme, malgré cette réponse mentale, Chicot, dans sa préoccupation, oubliait de se retirer, Ernauton, enfermant son visage entre la porte et le chambranle, lui dit:

– Bien au revoir, monsieur.

– Un instant encore, monsieur de Carmainges, fit Chicot.

– Monsieur, c'est à mon grand regret, répondit Ernauton, mais je ne saurais tarder, j'attends quelqu'un qui doit venir frapper à cette porte même, et ce quelqu'un m'en voudrait de ne pas mettre toute la discrétion possible à le recevoir.

– Il suffit, monsieur, je comprends, dit Chicot; pardon de vous avoir importuné, et je me retire.

– Adieu, cher monsieur l'Ombre.

– Adieu, digne monsieur Ernauton.

Et Chicot, en faisant un pas en arrière, se vit doucement fermer la porte au nez.

Il écouta pour voir si le jeune homme défiant guettait son départ, mais le pas d'Ernauton remonta l'escalier; Chicot put donc regagner sans inquiétude sa maison, dans laquelle il s'enferma, bien résolu à ne pas troubler les habitudes de son nouveau voisin; mais, selon son habitude à lui, à ne pas trop le perdre de vue.

En effet, Chicot n'était pas homme à s'endormir sur un fait qui lui paraissait de quelque importance, sans avoir palpé, retourné, disséqué ce fait avec la patience d'un anatomiste distingué; malgré lui, et c'était un privilège ou un défaut de son organisation, malgré lui toute forme incrustée en son cerveau se présentait à l'analyse par ses côtés saillants, de façon que les parois cérébrales du pauvre Chicot en étaient blessées, gercées et sollicitées à un examen immédiat.

Chicot, qui jusque-là avait été préoccupé de cette phrase de la lettre du duc de Guise:

«J'approuve entièrement votre plan à l'égard des Quarante-Cinq,» abandonna donc cette phrase dont il se promit de reprendre plus tard l'examen, pour couler à fond, séance tenante, la préoccupation nouvelle qui venait de prendre la place de l'ancienne préoccupation.

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