Le baron, en étendant sa main, trouva à sa portée l'épaule de Bussy et s'y appuya.
– Diane vivante! murmura le baron de Méridor, Diane! ma Diane que l'on m'avait dite morte, ô mon Dieu!
Et ce robuste guerrier, vigoureux acteur des guerres étrangères et des guerres civiles qui l'avaient constamment épargné, ce vieux chêne que le coup de foudre de la mort de Diane avait laissé debout, cet athlète qui avait si puissamment lutté contre la douleur, écrasé, brisé, anéanti par la joie, recula, les genoux fléchissants, et, sans Bussy, fût tombé, précipité du haut de l'escalier à l'aspect de cette image chérie qui tourbillonnait devant ses yeux, divisée en atomes confus.
– Mon Dieu! monsieur de Bussy! s'écria Diane en descendant précipitamment les quelques marches de l'escalier qui la séparaient du vieillard, qu'a donc mon père?
Et la jeune femme, épouvantée de cette pâleur subite et de l'effet étrange produit par une entrevue qu'elle devait croire annoncée, interrogeait plus encore des yeux que de la voix.
– M. le baron de Méridor vous croyait morte, et il vous pleurait, madame, ainsi qu'un père comme lui doit pleurer une fille comme vous.
– Comment! s'écria Diane, et personne ne l'avait détrompé?
– Personne.
– Oh! non, non, personne! s'écria le vieillard, sortant de son anéantissement passager, personne! pas même M. de Bussy!
– Ingrat! dit le gentilhomme avec le ton d'un doux reproche.
– Oh! oui, répondit le vieillard, oui, vous avez raison, car voilà un instant qui me paye de toutes mes douleurs. O ma Diane, ma Diane chérie! continua-t-il en ramenant d'une main la tête de sa fille contre ses lèvres et en tendant l'autre à Bussy.
Puis, tout à coup, redressant la tête comme si un souvenir douloureux ou une crainte nouvelle se fût glissé jusqu'à son cœur malgré l'armure de joie, si l'on peut s'exprimer ainsi, qui venait de l'envelopper:
– Mais que me disiez-vous donc, seigneur de Bussy, que j'allais voir madame de Monsoreau? où est-elle?
– Hélas! mon père, murmura Diane.
Bussy rassembla toutes ses forces.
– Vous l'avez devant vous, dit-il, et le comte de Monsoreau est votre gendre.
– Eh quoi! balbutia le vieillard, M. de Monsoreau, mon gendre! et tout ce monde, toi, Diane, lui-même, tout le monde me l'a laissé ignorer?
– Je tremblais de vous écrire, mon père, de peur que la lettre ne tombât aux mains du prince. D'ailleurs, je croyais que vous saviez tout.
– Mais dans quel but? demanda le vieillard, pourquoi tous ces étranges mystères?
– Oh! oui, mon père, songez-y, s'écria Diane, pourquoi M. de Monsoreau vous a-t-il laissé croire que j'étais morte? pourquoi vous a-t-il laissé ignorer qu'il était mon mari?
Le baron, tremblant comme s'il eût craint de porter sa vue jusqu'au fond de ces ténèbres, interrogeait timidement du regard les yeux étincelants de sa fille et l'intelligente mélancolie de Bussy.
Pendant tout ce temps, on avait pas à pas gagné le salon.
– M. de Monsoreau, mon gendre! balbutiait toujours le baron de Méridor anéanti.
– Cela ne peut vous étonner, répondit Diane avec le ton d'un doux reproche; ne m'avez-vous pas ordonné de l'épouser, mon père?
– Oui, s'il te sauvait.
– Eh bien, il m'a sauvée, dit sourdement Diane en tombant sur un siège placé près de son prie-Dieu. Il m'a sauvée, pas du malheur, mais de la honte du moins.
– Alors, pourquoi m'a-t-il laissé croire à ta mort, moi qui pleurais si amèrement? répéta le vieillard. Pourquoi me laissait-il mourir de désespoir, quand un seul mot, un seul, pouvait me rendre la vie?
– Oh! il y a encore quelque piège là-dessous! s'écria Diane. Mon père, vous ne me quitterez plus; monsieur de Bussy, vous nous protégerez, n'est-ce pas?
– Hélas! madame, dit le jeune homme en s'inclinant, il ne m'appartient plus de pénétrer dans les secrets de votre famille. J'ai dû, voyant les étranges manœuvres de votre mari, vous trouver un défenseur que vous puissiez avouer. Ce défenseur, j'ai été le chercher à Méridor. Vous êtes auprès de votre père, je me retire.
– Il a raison, dit tristement le vieillard: M. de Monsoreau a craint la colère du duc d'Anjou, et M. de Bussy la craint à son tour.
Diane lança un de ses regards au jeune homme, et ce regard signifiait:
– Vous qu'on appelle le brave Bussy, avez-vous peur de M. le duc d'Anjou, comme pourrait en avoir peur M. de Monsoreau?
Bussy comprit le regard de Diane et sourit.
– Monsieur le baron, dit-il, pardonnez-moi, je vous prie, la demande singulière que je vais vous prier de faire, et vous, madame, au nom de l'intention que j'ai de vous rendre service, excusez-moi.
Tous deux attendaient en se regardant.
– Monsieur le baron, reprit Bussy, demandez, je vous prie, à madame de Monsoreau…
Et il appuya sur ces derniers mots, qui firent pâlir la jeune femme. Bussy vit la peine qu'il avait faite à Diane et reprit:
– Demandez à votre fille si elle est heureuse du mariage que vous avez commandé et auquel elle a consenti.
Diane joignit les mains et poussa un sanglot. Ce fut la seule réponse qu'elle put faire à Bussy. Il est vrai qu'aucune autre n'eût été aussi positive.
Les yeux du vieux baron se remplirent de larmes, car il commençait à voir que son amitié, peut-être trop précipitée, pour M. de Monsoreau allait se trouver être pour beaucoup dans le malheur de sa fille.
– Maintenant, dit Bussy, il est donc vrai, monsieur, que, sans y être forcé par aucune ruse ou par aucune violence, vous avez donné la main de votre fille à M. de Monsoreau?
– Oui, s'il la sauvait.
– Et il l'a sauvée effectivement. Alors je n'ai pas besoin de vous demander, monsieur, si votre intention est de laisser votre parole engagée?
– C'est une loi pour tous et surtout pour les gentilshommes, et vous devez savoir cela mieux que tout autre, monsieur, de tenir ce qu'on a promis. M. de Monsoreau a, de son propre aveu, sauvé la vie à ma fille, ma fille est donc bien à M. de Monsoreau.
– Ah! murmura la jeune femme, que ne suis-je morte?
– Madame, dit Bussy, vous voyez bien que j'avais raison de vous dire que je n'avais plus rien à faire ici. M. le baron vous donne à M. de Monsoreau, et vous lui avez promis vous-même, au cas où vous reverriez votre père sain et sauf, de vous donner à lui.