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– Eh! oui, mon Dieu! de Gertrude, la suivante de madame de Monsoreau. Que voulez-vous, monseigneur? je ne suis pas un gentilhomme, moi, pour devenir amoureux des maîtresses: je suis un pauvre petit médecin, sans autre pratique qu'un client qui, je l'espère, ne me donnera plus que de loin en loin de la besogne, et il faut bien que je fasse mes expériences in anima vili, comme nous disons en Sorbonne.

– Pauvre Remy! dit Bussy, crois bien que j'apprécie ton dévouement, va!

– Eh! monseigneur, répondit le Haudouin, je ne suis pas si fort à plaindre, après tout: Gertrude est un beau brin de fille qui a deux pouces de plus que moi et qui me lèverait à bras tendus en me tenant par le collet de mon habit, ce qui tient chez elle à un grand développement des muscles du biceps et du deltoïde. Cela me donne pour elle une vénération qui la flatte, et, comme je lui cède toujours, nous ne nous disputons jamais; puis elle a un talent précieux.

– Lequel, mon pauvre Remy?

– Elle raconte merveilleusement.

– Ah! vraiment?

– Oui, de sorte que par elle je sais tout ce qui se passe chez sa maîtresse. Hein? que dites-vous? j'ai pensé que cela ne vous serait pas désagréable d'avoir des intelligences dans la maison.

– Le Haudouin, tu es un bon génie que le hasard ou plutôt la Providence a mis sur ma route; alors, tu en es avec Gertrude dans des termes…

– Puella me diligit, répondit le Haudouin en se balançant avec une fatuité affectée.

– Et tu es reçu dans la maison?

– Hier soir, j'y ai fait mon entrée, à minuit, sur la pointe du pied, par la fameuse porte à guichet que vous savez.

– Et comment es-tu arrivé à ce bonheur?

– Mais assez naturellement, je dois le dire.

– Eh bien, dis.

– Le surlendemain de votre départ, le lendemain du jour de mon installation dans la petite chambre, j'ai attendu à la porte que la dame de mes futures pensées sortît pour aller aux provisions, soin dont elle se préoccupe, je dois l'avouer, tous les jours de huit heures à neuf heures du matin. À huit heures dix minutes je l'ai vue paraître; aussitôt je suis descendu de mon observatoire, et j'ai été me placer sur sa route.

– Et elle t'a reconnu?

– Si bien reconnu, qu'elle a poussé un grand cri et s'est sauvée.

– Alors?

– Alors, j'ai couru après elle, et l'ai rattrapée à grand'peine, car elle court très fort; mais, vous comprenez, les jupes, cela gêne toujours un peu.

– Jésus! a-t-elle dit.

– Sainte Vierge! ai-je crié.

La chose lui a donné bonne idée de moi; un autre, moins pieux que moi, se fût écrié: Morbleu! ou: Corbeuf!

– Le médecin! a-t-elle dit.

– La charmante ménagère! ai-je répondu.

Elle a souri; mais se reprenant aussitôt:

– Vous vous trompez, monsieur, a-t-elle dit, je ne vous connais point.

– Mais moi je vous connais, lui ai-je dit, car, depuis trois jours, je ne vis pas, je n'existe pas, je vous adore; à ce point que je ne demeure plus rue Beautreillis, mais rue Saint-Antoine, au coin de la rue Sainte-Catherine, et que je n'ai changé de logement que pour vous voir entrer et sortir; si vous avez encore besoin de moi pour panser de beaux gentilshommes, ce n'est donc plus à mon ancien logement qu'il faut venir me chercher, mais à mon nouveau.

– Silence! a-t-elle dit.

– Ah! vous voyez bien! ai-je répondu.

Et voilà comment notre connaissance s'est faite ou plutôt renouée.

– De sorte qu'à cette heure tu es…

– Aussi heureux qu'un amant peut l'être… avec Gertrude, bien entendu, tout est relatif; mais je suis plus qu'heureux, je suis au comble de la félicité, puisque j'en suis arrivé où j'en voulais venir dans votre intérêt.

– Mais elle se doutera peut-être…

– De rien, je ne lui ai pas même parlé de vous. Est-ce que le pauvre Remy le Haudouin connaît de nobles gentilshommes comme le seigneur de Bussy? Non, je lui ai seulement demandé d'une façon indifférente: – Et votre jeune maître va-t-il mieux?

– Quel jeune maître?

– Ce cavalier que j'ai soigné chez vous.

– Ce n'est pas mon jeune maître, a-t-elle répondu.

– Ah! c'est que, comme il était couché dans le lit de votre maîtresse, moi, j'ai cru… ai-je repris.

– Oh! mon Dieu, non; pauvre jeune homme! a-t-elle répondu avec un soupir, il ne nous était rien; nous ne l'avons même revu qu'une fois depuis.

– Alors, vous ne savez même pas son nom? ai-je demandé.

– Oh! si fait.

– Vous auriez pu l'avoir su et l'avoir oublié.

– Ce n'est pas un nom qu'on oublie.

– Comment s'appelle-t-il donc?

– Avez-vous entendu parler parfois du seigneur de Bussy?

– Parbleu! ai-je répondu, Bussy, le brave Bussy!

– Eh bien, c'est cela même.

– Alors, la dame?

– Ma maîtresse est mariée, monsieur.

– On est mariée, on est fidèle, et cependant on pense parfois à un beau jeune homme qu'on a vu… ne fût-ce qu'un instant, surtout quand ce beau jeune homme était blessé, intéressant et couché dans notre lit.

– Aussi, a répondu Gertrude, pour être franche, je ne dis point que ma maîtresse ne pense pas à lui.

Une vive rougeur monta au front de Bussy.

– Nous en parlons même, a ajouté Gertrude, toutes les fois que nous sommes seules.

– Excellente fille! s'écria le comte.

– Et qu'en dites-vous? ai-je demandé.

– Je raconte ses prouesses, ce qui n'est pas difficile, attendu qu'il n'est bruit dans Paris que des coups d'épée qu'il donne et qu'il reçoit. Je lui ai même appris, à ma maîtresse toujours, une petite chanson fort à la mode.

– Ah! je la connais, ai-je répondu; n'est-ce pas:

Un beau chercheur de noise,

C'est le seigneur d'Amboise;

Tendre et fidèle aussi,

C'est monseigneur Bussy!

– Justement! s'est écriée Gertrude. De sorte que ma maîtresse ne chante plus que cela.

Bussy serra la main du jeune docteur; un indicible frisson de bonheur venait de passer dans ses veines.

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