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En arrivant à la place du Châtelet, Chicot commença d'entamer un cantique.

Le chapelain qui, ainsi que nous l'avons dit, causait avec Miron, se retourna en fronçant le sourcil.

– Chicot, mon ami, dit Sa Majesté, prends garde à toi; écharpe mes mignons, mets en pièces Ma Majesté, dis ce que tu voudras de Dieu, Dieu est bon, mais ne te brouille pas avec l'Église.

– Merci de l'avis, mon fils, dit Chicot; je ne voyais pas notre digne chapelain qui cause là-bas, avec le docteur, du dernier mort qu'il lui a envoyé à mettre en terre, et qui se plaint que c'était le troisième de la journée, et toujours aux heures des repas, ce qui le dérange. Pas de cantiques, tu parles d'or; c'est trop vieux. Je vais te chanter une chanson toute nouvelle.

– Sur quel air? demanda le roi.

– Toujours le même, dit Chicot, et il se mit à chanter à pleine gorge:

Notre roi doit cent millions.

– Je dois plus que cela, dit Henri; ton chansonnier est mal renseigné, Chicot. Chicot reprit sans se démonter:

Henri doit deux cents millions,

Et faut, pour acquitter les dettes

Que messieurs les mignons ont faites,

De nouvelles inventions,

Nouveaux impôts, nouvelles tailles,

Qu'il faut, du profond des entrailles

Des pauvres sujets, arracher,

Malheureux qui traînent leurs vies

Sous la griffe de ces harpies

Qui avalent tout sans mâcher.

– Bien, dit Quélus, tout en nattant sa soie, tu as une belle voix, Chicot; le second couplet, mon ami.

– Dis donc, Valois, dit Chicot sans répondre à Quélus, empêche donc tes amis de m'appeler leur ami; cela m'humilie.

– Parle en vers, Chicot, répondit le roi; la prose ne vaut rien.

– Soit, dit Chicot, et il reprit:

Leur parler et leur vêtement

Se voient tels, qu'une honnête femme

Aurait peur d'en recevoir blâme,

Vêtue aussi lascivement

Leur cou ne se tourne à son aise,

Dedans les replis de leur fraise;

Déjà le froment n'est plus bon

Pour l'emploi blanc de leur chemise.

Et faut, pour façon plus exquise,

Faire de riz leur amidon.

– Bravo! dit le roi, n'est-ce pas toi, d'O, qui as inventé l'amidon de riz?

– Non pas, sire, dit Chicot, c'est M. de Saint-Mégrin, qui est trépassé l'an dernier, sous les coups de M. de Mayenne; que diable, ne lui enlevez pas ça, à ce pauvre mort, il ne compte que sur cet amidon et sur ce qu'il a fait à M. de Guise pour aller à la postérité; en lui enlevant l'amidon, il resterait à moitié route.

Et, sans faire attention à la figure du roi, qui s'assombrissait à ce souvenir, Chicot continua:

Leur poil est tondu au compas.

– Il est toujours question des mignons, bien entendu, interrompit Chicot.

– Oui, oui, va, dit Schomberg.

– Chicot reprit:

Leur poil est tondu au compas,

Mais non d'une façon pareille,

Car en avant, depuis l'oreille,

Il est long et derrière bas.

– Sa chanson est déjà vieille, dit d'Épernon.

– Vieille! elle est d'hier.

– Eh bien, la mode a changé ce matin; regarde.

Et d'Épernon ôta son toquet pour montrer à Chicot ses cheveux de devant presque aussi ras que ceux de derrière.

– Oh! la vilaine tête! dit Chicot.

Et il continua:

Leurs cheveux droits par artifice,

Par la gomme qui les hérisse,

Retordent leurs plis refrisés;

Et, dessus leur tête légère,

Un petit bonnet par derrière

Les rend encor plus déguisés.

Je passe le quatrième couplet, dit Chicot, il est trop immoral. Et il reprit:

Pensez-vous que nos vieux François,

Qui par leurs armes valeureuses

En tant de guerres dangereuses

Ont fait retentir leurs exploits,

Et perdant le fruit de leur gloire

Avec le nom de leur victoire,

En tant de périlleux hasards,

Eussent la chemise empesée,

Eussent la perruque frisée,

Eussent le teint blanchi de fards?

– Bravo! dit Henri, et, si mon frère était là, il te serait bien reconnaissant, Chicot.

– Qui appelles-tu ton frère, mon fils? dit Chicot. Est-ce par hasard Joseph Foulon, abbé de Sainte-Geneviève, chez lequel on dit que tu vas faire tes vœux?

– Non pas, dit Henri, qui se prêtait à toutes les plaisanteries de Chicot. Je parle de mon frère François.

– Ah! tu as raison; celui-là n'est pas ton frère en Dieu, mais frère en diable. Bon! bon! tu parles de François, fils de France par la grâce de Dieu, duc de Brabant, de Lauthier, de Luxembourg, de Gueldre, d'Alençon, d'Anjou, de Touraine, de Berry, d'Évreux et de Château-Thierry, comte de Flandres, de Hollande, de Zélande, de Zutphen, du Maine, du Perche, de Mantes, Meulan et Beaufort, marquis du Saint-Empire, seigneur de Frise et de Malines, défenseur de la liberté belge; à qui la nature a fait un nez, à qui la petite vérole en a fait deux, et sur qui, moi, j'ai fait ce quatrain:

Messieurs, ne soyez étonnés

Si voyez à François deux nez,

Car, par droit comme par usage,

Faut deux nez à double visage.

Les mignons éclatèrent de rire, car le duc d'Anjou était leur ennemi personnel, et l'épigramme contre le prince leur fit momentanément oublier le pasquil que Chicot venait de chanter contre eux.

Quant au roi, comme jusqu'à ce moment il n'avait reçu que les éclaboussures de ce feu roulant, il riait plus haut que tout le monde, n'épargnant personne, donnant du sucre et de la pâtisserie à ses chiens et frappant de la langue sur son frère et sur ses amis.

Tout à coup Chicot s'écria:

– Oh! ce n'est pas politique; Henri, Henri, c'est audacieux et imprudent.

– Quoi donc? dit le roi.

– Non, foi de Chicot, tu ne devrais pas avouer ces choses-là! fi donc!

– Quelles choses? demanda Henri étonné.

– Ce que tu dis de toi-même, quand tu signes ton nom; ah! Henriquet, ah! mon fils!

– Gare à vous, sire, dit Quélus, qui soupçonnait quelque méchanceté sous l'air confit en douceur de Chicot.

– Que diable veux-tu dire? demanda le roi.

– Comment signes-tu, voyons?

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