Литмир - Электронная Библиотека
Содержание  
A
A

Il y avait dans toutes les réponses du comte une logique ou tout au moins une spéciosité qui me frappait.

– Bien, lui dis-je. Allons.

Et nous nous remîmes en marche.

Nous étions attendus; un homme, sans que je m'en fusse aperçue, s'était détaché de notre escorte et avait pris les devants. Un bon feu brillait dans la cheminée d'une chambre à peu près propre, et un lit était préparé.

– Voici votre chambre, mademoiselle, dit le comte; j'attendrai vos ordres.

Il salua, se retira et me laissa seule.

Mon premier soin fut de m'approcher de la lampe et de tirer de ma poitrine la lettre de mon père… La voici, monsieur de Bussy: je vous fais mon juge, lisez.

Bussy prit la lettre et lut:

«Ma Diane bien-aimée, si, comme je n'en doute pas, te rendant à ma prière, tu as suivi M. le comte de Monsoreau, il a dû te dire que tu avais eu le malheur de plaire au duc d'Anjou, et que c'était ce prince qui t'avait fait enlever et conduire au château de Beaugé; juge par cette violence ce dont le duc est capable, et quelle est la honte qui te menace. Eh bien, cette honte, à laquelle je ne survivrais pas, il y a un moyen d'y échapper: c'est d'épouser notre noble ami; une fois comtesse de Monsoreau, c'est sa femme que le comte défendra, et, par tous les moyens, il m'a juré de te défendre. Mon désir est donc, ma fille chérie, que ce mariage ait lieu le plus tôt possible, et, si tu accèdes à mes désirs, à mon consentement bien positif, je joins ma bénédiction paternelle, et prie Dieu qu'il veuille bien t'accorder tous les trésors de bonheur que son amour tient en réserve pour les cours pareils au tien.

«Ton père, qui n'ordonne pas, mais qui supplie,

«Baron DE MÉRIDOR.»

– Hélas! dit Bussy, si cette lettre est bien de votre père, madame, elle n'est que trop positive.

– Elle est de lui, et je n'ai aucun doute à en faire; néanmoins je la relus trois fois avant de prendre aucune décision. Enfin j'appelai le comte.

Il entra aussitôt: ce qui me prouva qu'il attendait à la porte.

Je tenais la lettre à la main.

– Eh bien, me dit-il, vous avez lu?

– Oui, répondis-je.

– Doutez-vous toujours de mon dévouement et de mon respect?

– J'en eusse douté, monsieur, répondis-je, que cette lettre m'eût imposé la croyance qui me manquait. Maintenant, voyons, monsieur: en supposant que je sois disposée à céder aux conseils de mon père, que comptez-vous faire?

– Je compte vous mener à Paris, mademoiselle; c'est encore là qu'il est le plus facile de vous cacher.

– Et mon père?

– Partout où vous serez, vous le savez bien, et dès qu'il n'y aura plus de danger de vous compromettre, le baron viendra me rejoindre.

– Eh bien, monsieur, je suis prête à accepter votre protection aux conditions que vous imposez.

– Je n'impose rien, mademoiselle, répondit le comte, j'offre un moyen de vous sauver, voilà tout.

– Eh bien, je me reprends, et je dis avec vous: Je suis prête à accepter le moyen de salut que vous m'offrez, à trois conditions.

– Parlez, mademoiselle.

– La première, c'est que Gertrude me sera rendue.

– Elle est là, dit le comte.

– La seconde est que nous voyagerons séparés jusqu'à Paris.

– J'allais vous offrir cette séparation pour rassurer votre susceptibilité.

– Et la troisième, c'est que notre mariage, à moins d'urgence reconnue de ma part, n'aura lieu qu'en présence de mon père.

– C'est mon plus vif désir, et je compte sur sa bénédiction pour appeler sur nous celle du ciel.

Je demeurai stupéfaite. J'avais cru trouver dans le comte quelque opposition à cette triple expression de ma volonté, et, tout au contraire, il abondait dans mon sens.

– Maintenant, mademoiselle, dit M. de Monsoreau, me permettez-vous, à mon tour, de vous donner quelques conseils?

– J'écoute, monsieur.

– C'est de ne voyager que la nuit.

– J'y suis décidée.

– C'est de me laisser le choix des gîtes que vous occuperez et le choix de la route; toutes mes précautions seront prises dans un seul but, celui de vous faire échapper au duc d'Anjou.

– Si vous m'aimez comme vous le dites, monsieur, nos intérêts sont les mêmes; je n'ai donc aucune objection à faire contre ce que vous demandez.

– Enfin, à Paris, c'est d'adopter le logement que je vous aurai préparé, si simple et si écarté qu'il soit.

– Je ne demande qu'à vivre cachée, monsieur; et, plus le logement sera simple et écarté, mieux il conviendra à une fugitive.

– Alors nous nous entendons en tout point, mademoiselle, et il ne me reste plus, pour me conformer à ce plan tracé par vous, qu'à vous présenter mes très humbles respects, à vous envoyer votre femme de chambre et à m'occuper de la route que vous devez suivre de votre côté.

– De mon côté, monsieur, répondis-je; je suis gentillefemme comme vous êtes gentilhomme; tenez toutes vos promesses, et je tiendrai toutes les miennes.

– Voilà tout ce que je demande, dit le comte; et cette promesse m'assure que je serai bientôt le plus heureux des hommes.

À ces mots, il s'inclina et sortit.

Cinq minutes après, Gertrude entra.

La joie de cette bonne fille fut grande; elle avait cru qu'on la voulait séparer de moi pour toujours. Je lui racontai ce qui venait de se passer; il me fallait quelqu'un qui pût entrer dans toutes mes vues, seconder tous mes désirs, comprendre, dans l'occasion, à demi-mot, obéir sur un signe et sur un geste. Cette facilité de M. de Monsoreau m'étonnait, et je craignais quelque infraction au traité qui venait d'être arrêté entre nous.

Comme j'achevais, nous entendîmes le bruit d'un cheval qui s'éloignait. Je courus à la fenêtre: c'était le comte qui reprenait au galop la route que nous venions de suivre. Pourquoi reprenait-il cette route au lieu de marcher en avant? c'est ce que je ne pouvais comprendre. Mais il avait accompli le premier article du traité en me rendant Gertrude, il accomplissait le second en s'éloignant; il n'y avait rien à dire. D'ailleurs, vers quelque but qu'il se dirigeât, ce départ du comte me rassurait.

Nous passâmes toute la journée dans la petite maison, servies par notre hôtesse: le soir seulement, celui qui m'avait paru le chef de notre escorte entra dans ma chambre et me demanda mes ordres; comme le danger me paraissait d'autant plus grand, que j'étais près du château de Beaugé, je lui répondis que j'étais prête; cinq minutes après il rentra et m'indiqua en s'inclinant qu'on n'attendait plus que moi. À la porte je trouvai ma haquenée blanche; comme l'avait prévu le comte de Monsoreau, elle était revenue au premier appel.

48
{"b":"125126","o":1}