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– Ah! ah! dit Antraguet, il me semble que la plaisanterie est bonne.

– D'autant meilleure, répondit Livarot, qu'elle ne fait pas, ce me semble, à tout le monde l'effet d'une plaisanterie.

– Diable! fit Bussy, il paraîtrait que je l'ai sanglé ferme, le pauvre duc!

Un instant après, on entendit la voix de M. d'Anjou qui criait:

– Eh! Bussy, où es-tu? viens donc!

– Me voici, monseigneur, dit Bussy en s'approchant.

Il trouva le prince éclatant de rire.

– Tiens! dit-il, monseigneur; il paraît que ce que je vous ai dit est devenu drôle.

– Non, Bussy, je ne ris pas de ce que tu m'as dit.

– Tant pis, je l'aimerais mieux; j'aurais eu le mérite de faire rire un prince qui ne rit pas souvent.

– Je ris, mon pauvre Bussy, de ce que tu plaides le faux pour savoir le vrai.

– Non, le diable m'emporte, monseigneur! je vous ai dit la vérité.

– Bien. Alors, pendant que nous ne sommes que nous deux, voyons, conte-moi ta petite histoire; où donc as-tu pris ce que tu es venu me conter?

– Dans les bois de Méridor, monseigneur! Cette fois encore le duc pâlit, mais il ne dit rien.

– Décidément, murmura Bussy, le duc se trouve mêlé en quelque chose dans l'histoire du ravisseur au cheval noir et de la femme à la haquenée blanche.

Voyons, monseigneur, ajouta tout haut Bussy en riant à son tour de ce que le duc ne riait plus, s'il y a une manière de vous servir qui vous plaise mieux que les autres, enseignez-nous-la, nous en profiterons, dussions-nous faire concurrence à M. de Monsoreau.

– Pardieu oui, Bussy, dit le duc, il y en a une, et je te la vais expliquer.

Le duc tira Bussy à part.

– Écoute, lui dit-il, j'ai rencontré par hasard à l'église une femme charmante: comme quelques traits de son visage, cachés sous un voile, me rappelaient ceux d'une femme que j'avais beaucoup aimée, je l'ai suivie et me suis assuré du lieu où elle demeure. Sa suivante est séduite, et j'ai une clef de la maison.

– Eh bien, jusqu'à présent, monseigneur, il me semble que voilà qui va bien.

– Attends. On la dit sage, quoique libre, jeune et belle.

– Ah! monseigneur, voilà que nous entrons dans le fantastique.

– Écoute, tu es brave, tu m'aimes, à ce que tu prétends?

– J'ai mes jours.

– Pour être brave?

– Non, pour vous aimer.

– Bien. Es-tu dans un de ces jours-là?

– Pour rendre service à Votre Altesse, je m'y mettrai. Voyons.

– Eh bien, il s'agirait de faire pour moi ce qu'on ne fait d'ordinaire que pour soi-même.

– Ah! ah! dit Bussy, est-ce qu'il s'agirait, monseigneur, de faire la cour à votre maîtresse, pour que Votre Altesse s'assure qu'elle est réellement aussi sage que belle? Cela me va.

– Non; mais il s'agit de savoir si quelque autre ne la lui fait pas.

– Ah! voyons, cela s'embrouille, monseigneur, expliquons-nous.

– Il s'agirait de t'embusquer et de me dire quel est l'homme qui vient chez elle.

– Il y a donc un homme?

– J'en ai peur.

– Un amant, un mari?

– Un jaloux, tout au moins.

– Tant mieux, monseigneur.

– Comment, tant mieux?

– Cela double vos chances.

– Merci. En attendant, je voudrais savoir quel est cet homme.

– Et vous me chargez de m'en assurer.

– Oui, et si tu consens à me rendre ce service…

– Vous me ferez grand veneur à mon tour, quand la place sera vacante?

– Ma foi, Bussy, j'en prendrais d'autant mieux l'obligation, que jamais je n'ai rien fait pour toi.

– Tiens! monseigneur s'en aperçoit?

– Il y a longtemps déjà que je me le dis.

– Tout bas, comme les princes se disent ces choses-là.

– Eh bien?

– Quoi, monseigneur?

– Consens-tu?

– À épier la dame?

– Oui.

– Monseigneur, la commission, je l'avoue, me flatte médiocrement, et j'en aimerais mieux une autre.

– Tu t'offrais à me rendre service, Bussy, et voilà déjà que tu recules!

– Dame! vous m'offrez un métier d'espion, monseigneur.

– Eh non, métier d'ami; d'ailleurs, ne crois pas que je te donne une sinécure; il faudra peut-être tirer l'épée.

Bussy secoua la tête.

– Monseigneur, dit-il, il y a des choses qu'on ne fait bien que soi-même; aussi faut-il les faire soi-même, fût-on prince.

– Alors tu me refuses?

– Ma foi oui, monseigneur.

Le duc fronça le sourcil.

– Je suivrai donc ton conseil, dit-il; j'irai moi-même, et, si je suis tué ou blessé dans cette circonstance, je dirai que j'avais prié mon ami Bussy de se charger de ce coup d'épée à donner ou à recevoir, et que, pour la première fois de sa vie, il a été prudent.

– Monseigneur, répondit Bussy, vous m'avez dit l'autre soir: «Bussy, j'ai en haine tous ces mignons de la chambre du roi, qui en toute occasion nous raillent et nous insultent; tu devrais bien aller aux noces de Saint-Luc soulever une occasion de querelle et nous en défaire.» Monseigneur, j'y suis allé; ils étaient cinq; j'étais seul; je les ai défiés; ils m'ont tendu une embuscade, m'ont attaqué tous ensemble m'ont tué mon cheval, et cependant j'en ai blessé deux et j'ai assommé le troisième. Aujourd'hui vous me demandez de faire du tort à une femme. Pardon, monseigneur, cela sort des services qu'un prince peut exiger d'un galant homme, et je refuse.

– Soit, dit le duc, je ferai ma faction tout seul, ou avec Aurilly, comme je l'ai déjà faite.

– Pardon, dit Bussy, qui sentit comme un voile se soulever dans son esprit.

– Quoi?

– Est-ce que vous étiez en train de monter votre faction, monseigneur, lorsque l'autre jour vous avez vu les mignons qui me guettaient?

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