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– Allons, murmura Bussy, encore une aventure, à ce qu'il paraît.

Et, comme la lanterne reprenait sa marche et paraissait s'avancer directement de son côté, il se renfonça plus avant que jamais dans l'angle de la porte.

La lanterne fit dix pas encore, et alors Bussy, à la lueur qu'elle projetait, s'aperçut d'une chose étrange, c'est que l'homme qui la portait avait un bandeau sur les yeux.

– Pardieu! dit-il, voilà une singulière idée de jouer au Colin-Maillard avec une lanterne, surtout par un temps et sur un terrain comme celui-ci! Est-ce que je recommencerais à rêver, par hasard?

Bussy attendit encore, et l'homme au bandeau fit cinq ou six pas.

– Dieu me pardonne, dit Bussy, je crois qu'il parle tout seul. Allons, ce n'est ni un ivrogne ni un fou: c'est un mathématicien qui cherche la solution d'un problème.

Ces derniers mots étaient suggérés à l'observateur par les dernières paroles qu'avait prononcées l'homme à la lanterne, et que Bussy avait entendues.

– Quatre cent quatre-vingt-huit, quatre cent quatre-vingt-neuf, quatre cent quatre-vingt-dix, murmurait l'homme à la lanterne; ce doit être bien près d'ici.

Et alors, de la main droite, le mystérieux personnage leva son bandeau, et, se trouvant en face d'une maison, il s'approcha de la porte.

Arrivé près de la porte, il l'examina avec attention.

– Non, dit-il, ce n'est pas celle-ci.

Puis il abaissa son bandeau, et se remit en marche en reprenant son calcul.

– Quatre cent quatre-vingt-onze, quatre cent quatre-vingt-douze, quatre cent quatre-vingt-treize, quatre cent quatre-vingt-quatorze; je dois brûler, dit-il.

Et il leva de nouveau son bandeau, et, s'approchant de la porte voisine de celle où Bussy se tenait caché, il l'examina avec non moins d'attention que la première.

– Hum! hum! dit-il, cela pourrait bien être; non, si, si, non; ces diables de portes se ressemblent toutes!

– C'est une réflexion que j'avais déjà faite, se dit en lui-même Bussy; cela me donne de la considération pour le mathématicien.

Le mathématicien replaça son bandeau et continua son chemin.

– Quatre cent quatre-vingt-quinze, quatre cent quatre-vingt-seize, quatre cent quatre-vingt-dix-sept, quatre cent quatre-vingt-dix-huit, quatre cent quatre-vingt-dix-neuf… S'il y a une porte en face de moi, dit le chercheur, ce doit être celle-là.

En effet, il y avait une porte, et cette porte était celle où Bussy se tenait caché; il en résulta que, lorsque le mathématicien présumé leva son bandeau, il se trouva que Bussy et lui étaient face à face.

– Eh bien? dit Bussy.

– Oh! fit le promeneur en reculant d'un pas.

– Tiens! dit Bussy.

– Ce n'est pas possible! s'écria l'inconnu.

– Si fait, seulement c'est extraordinaire. C'est vous qui êtes le médecin?

– Et vous le gentilhomme?

– Justement.

– Jésus! quelle chance!

– Le médecin, continua Bussy, qui hier soir a pansé un gentilhomme qui avait reçu un coup d'épée dans le côté…

– Droit.

– C'est cela, je vous ai reconnu tout de suite; c'est vous qui avez la main si douce, si légère et en même temps si habile.

– Ah! monsieur, je ne m'attendais pas à vous trouver là.

– Que cherchiez-vous donc?

– La maison.

– Ah! fit Bussy, vous cherchiez la maison?

– Oui.

– Vous ne la connaissez donc pas?

– Comment voulez-vous que je la connaisse? répondit le jeune homme, on m'y a conduit les yeux bandés.

– On vous y a conduit les yeux bandés?

– Sans doute.

– Alors vous êtes bien réellement venu dans cette maison?

– Dans celle-ci ou dans une des maisons attenantes; je ne puis dire laquelle, puisque je la cherche…

– Bon, dit Bussy, alors je n'ai pas rêvé!

– Comment, vous n'avez pas rêvé?

– Il faut vous dire, mon cher ami, que je croyais que toute cette aventure, moins le coup d'épée, bien entendu, était un rêve…

– Eh bien, dit le jeune médecin, vous ne m'étonnez pas, monsieur.

– Pourquoi cela?

– Je me doutais qu'il y avait un mystère là-dessous.

– Oui, mon ami, et un mystère que je veux éclaircir; vous m'y aiderez, n'est-ce pas?

– Bien volontiers.

– Bon; avant tout, deux mots.

– Dites.

– Comment vous appelle-t-on?

– Monsieur, dit le jeune médecin, je n'y mettrai pas de mauvaise volonté. Je sais bien qu'en bonne façon et selon la mode, à une question pareille, je devrais me camper fièrement sur une jambe et vous dire, la main sur la hanche: «Et vous, monsieur, s'il vous plaît?» Mais vous avez une longue épée, et je n'ai que ma lancette; vous avez l'air d'un digne gentilhomme, et je dois vous paraître un coquin, car je suis mouillé jusqu'aux os et crotté jusqu'au derrière. Je me décide donc à répondre tout franc à votre question: Je me nomme Remy le Haudouin.

– Fort bien, monsieur, merci mille fois. Moi, je suis le comte Louis de Clermont, seigneur de Bussy.

– Bussy d'Amboise! le héros Bussy! s'écria le jeune docteur avec une joie manifeste. Quoi! monsieur, vous seriez ce fameux Bussy, ce colonel, que… qui… oh!

– C'est moi-même, monsieur, reprit modestement le gentilhomme. Et maintenant que nous voilà bien éclairés l'un sur l'autre, de grâce, satisfaites ma curiosité, tout mouillé et tout crotté que vous êtes.

– Le fait est, dit le jeune homme, regardant ses trousses toutes mouchetées par la boue, le fait est que, comme Épaminondas le Thébain, je serai forcé de rester trois jours à la maison, n'ayant qu'un seul haut-de-chausses et ne possédant qu'un seul pourpoint. Mais, pardon, vous me faisiez l'honneur de m'interroger, je crois?

– Oui, monsieur, j'allais vous demander comment vous étiez venu dans cette maison.

– C'est à la fois très simple et très compliqué, vous allez voir, dit le jeune homme.

– Voyons.

– Monsieur le comte, pardon, jusqu'ici j'étais si troublé, que j'ai oublié de vous donner votre titre.

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