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– Oh! sire, s'écria la reine, sire, au nom du ciel, ne nous laissez pas dans une pareille angoisse! Voulez-vous un médecin?

– Un médecin! dit Henri du même ton sinistre, non, le corps n'est point malade, c'est l'âme, c'est l'esprit; non, non, pas de médecin… un confesseur.

Chacun se regarda, on interrogea les portes, les rideaux, le parquet, le plafond. En aucun lieu n'était restée la trace de l'objet invisible qui avait si fort épouvanté le roi.

Cet examen était fait avec un redoublement de curiosité: le mystère se compliquait, le roi demandait un confesseur!

Aussitôt la demande faite, un messager a sauté sur son cheval, des milliers d'étincelles ont jailli du pavé de la cour du Louvre. Cinq minutes après Joseph Foulon, le supérieur du couvent de Sainte-Geneviève, était réveillé, arraché pour ainsi dire de son lit, et il arrivait chez le roi.

Avec le confesseur, le tumulte a cessé, le silence se rétablit, on s'interroge, on conjecture, on croit deviner, mais surtout on a peur… Le roi se confesse!

Le lendemain de grand matin, le roi, levé avant tout le monde, ordonne qu'on referme la porte du Louvre, qui ne s'est ouverte que pour laisser passer le confesseur.

Puis il fait venir le trésorier, le cirier, le maître des cérémonies, il prend ses heures reliées de noir et lit des prières, s'interrompt pour découper des images de saints, et tout à coup commande qu'on fasse venir tous ses amis.

À cet ordre on passa d'abord chez Saint-Luc; mais Saint-Luc était plus souffrant que jamais. Il languit, il est écrasé de fatigue. Son mal est dégénéré en accablement, son sommeil, ou plutôt sa léthargie a été si profonde, que seul de tous les commensaux du palais, quoiqu'une mince muraille le sépare seule du prince, il n'a rien entendu de la scène de la nuit. Aussi demande-t-il à rester au lit, il y fera toutes les prières que le roi lui ordonnera.

À ce déplorable récit, Henri fait le signe de la croix, ordonne qu'on lui envoie son apothicaire.

Puis il recommande qu'on apporte au Louvre toutes les disciplines du couvent des Génovéfains, il passe, vêtu de noir, devant Schomberg qui boite, devant d'Épernon qui a son bras en écharpe, devant Quélus encore tout étourdi, devant d'O et Maugiron qui tremblent. Il leur distribue, en passant, des disciplines, et leur ordonne de se flageller le plus rudement que leurs bras puissent frapper.

D'Épernon fait observer qu'ayant le bras droit en écharpe il doit être excepté de la cérémonie, attendu qu'il ne pourra rendre les coups qu'on lui donnera, ce qui fera pour ainsi dire un désaccord dans la gamme de la flagellation.

Henri III lui répond que sa pénitence n'en sera que plus agréable à Dieu.

Lui-même donne l'exemple. Il ôte son pourpoint, sa veste, sa chemise, et se frappe comme un martyr. Chicot a voulu rire et gausser selon son habitude, mais un regard terrible du roi lui a appris que ce n'était pas l'heure; alors il a pris comme les autres une discipline; seulement, au lieu de se frapper, il assomme ses voisins; et lorsqu'il ne trouve plus aucun torse à sa portée, il enlève des écailles de la peinture des colonnes et des boiseries.

Ce tumulte rassérène peu à peu le visage du roi, quoiqu'il soit visible que son esprit reste toujours profondément frappé.

Tout à coup il quitte sa chambre en ordonnant qu'on l'attende. Derrière lui, les pénitences cessent comme par enchantement. Chicot seul continue de frapper sur d'O, qu'il a en exécration. D'O le lui rend du mieux qu'il peut. C'est un duel de coups de martinet.

Henri est passé chez la reine. Il lui a fait don d'un collier de perles de vingt-cinq mille écus, l'a embrassée sur les deux joues, ce qui ne lui est pas arrivé depuis plus d'un an, et l'a suppliée de déposer les ornements royaux et de se couvrir d'un sac.

Louise de Lorraine, toujours bonne et douce, y consent aussitôt. Elle demande pourquoi son mari, en lui donnant un collier de perles, désire qu'elle se mette un sac sur les épaules.

– Pour mes péchés, répond Henri.

Cette réponse satisfait la reine, car elle connaît mieux que personne de quelle somme énorme de péchés son mari doit faire pénitence. Elle s'habille au gré de Henri, qui revient dans sa chambre en y donnant rendez-vous à la reine.

À la vue du roi, la flagellation recommence. D'O et Chicot, qui n'ont point cessé, sont en sang. Le roi les complimente, et les appelle ses vrais et seuls amis.

Au bout de dix minutes, la reine arrive, vêtue de son sac. Aussitôt on distribue des cierges à toute la cour, et, pieds nus, par cet horrible temps de givre et de neige, les beaux courtisans, les belles dames et les bons Parisiens, dévots au roi et à Notre-Dame, s'en vont à Montmartre, grelottant d'abord, mais échauffés bientôt par les coups furieux que distribue Chicot à tous ceux qui ont le malheur de se trouver à portée de sa discipline.

D'O s'est avoué vaincu, et a pris la file à cinquante pas de Chicot.

À quatre heures du soir, la promenade lugubre était terminée, les couvents avaient reçu de riches aumônes, les pieds de toute la cour étaient gonflés, les dos de tous les courtisans étaient écorches; la reine avait paru en public avec une énorme chemise de toile grossière, le roi avec un chapelet de têtes de mort. Il y avait eu larmes, cris, prières, encens, cantiques.

La journée, comme on le voit, avait été bonne.

En effet, chacun a souffert du froid et des coups pour faire plaisir au roi, sans que personne ait pu deviner pourquoi ce prince, qui avait si bien dansé l'avant-veille, se macérait ainsi le surlendemain.

Les huguenots, les ligueurs et les libertins ont regardé passer en riant la procession des flagellants, disant, en vrais dépréciateurs que sont ces sortes de gens, que la dernière procession était plus belle et plus fervente, ce qui n'était point vrai.

Henri est rentré à jeun avec de longues raies bleues et rouges sur les épaules; il n'a pas quitté la reine de tout le jour, et il a profité de tous les moments de repos, de toutes les stations aux chapelles, pour lui promettre des revenus nouveaux et faire des plans de pèlerinage avec elle.

Quant à Chicot, las de frapper et affamé par l'exercice inusité auquel l'a condamné le roi, il s'est dérobé un peu au-dessus de la porte Montmartre, et avec frère Gorenflot, ce même moine génovéfain qui a voulu confesser Bussy et qui est de ses amis, il est entré dans le jardin d'une guinguette fort en renom, où il a bu du vin épicé et mangé une sarcelle tuée dans les marais de la Grange-Batelière. Puis, au retour de la procession, il a repris son rang et est revenu jusqu'au Louvre, frappant de plus belle les pénitents et les pénitentes, et distribuant, comme il le disait lui-même, ses indulgences plénières.

Le soir arrivé, le roi se sentit fatigué de son jeûne, de sa course pieds nus et des coups furieux qu'il s'était donnés. Il se fit servir un souper maigre, bassiner les épaules, allumer un grand feu, et passa chez Saint-Luc, qu'il trouva allègre et dispos.

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