– Oui, sans doute, répondit Henri III.
– Eh bien, j'ai profité de la permission, sire.
– Ah! ah!
– Sa Majesté se repent-elle de m'avoir accordé cette distraction? demanda Saint-Luc.
– Non pas, mon fils, non pas; distrais-toi, au contraire. Eh bien, comment vas-tu?
– Sire, dit Saint-Luc, j'ai une grande fièvre.
– En effet, dit le roi, tu as le visage empourpré, mon enfant; voyons le pouls, tu sais que je suis un peu médecin.
Saint-Luc tendit la main avec un mouvement visible de mauvaise humeur.
– Oui-da! dit le roi, plein-intermittent, agité.
– Oh! sire, dit Saint-Luc, c'est qu'en vérité je suis bien malade.
– Sois tranquille, dit Henri, je te ferai soigner par mon propre médecin.
– Merci! sire. Je déteste Miron.
– Je te garderai moi-même.
– Sire, je ne souffrirai pas…
– Je vais faire dresser un lit pour moi dans ta chambre, Saint-Luc. Nous causerons toute la nuit. J'ai mille choses à te raconter.
– Ah! s'écria Saint-Luc désespéré, vous vous dites médecin, vous vous dites mon ami, et vous voulez m'empêcher de dormir. Morbleu! docteur, vous avez une drôle de manière de traiter vos malades! Morbleu! sire, vous avez une singulière façon d'aimer vos amis.
– Eh quoi! tu veux rester seul, souffrant comme tu es!
– Sire, j'ai mon page Jean.
– Mais il dort.
– C'est comme cela que j'aime les gens qui me veillent; au moins ils ne m'empêchent point de dormir moi-même.
– Laisse-moi au moins te veiller avec lui. Je ne te parlerai que si tu te réveilles.
– Sire, j'ai le réveil très maussade, et il faut être bien habitué à moi pour me pardonner toutes les sottises que je dis avant d'être bien éveillé.
– Au moins, viens assister à mon coucher.
– Et je serai libre après de revenir me mettre au lit?
– Parfaitement libre.
– Eh bien, soit. Mais je ferai un triste courtisan, je vous en réponds. Je tombe de sommeil.
– Tu bâilleras tout à ton aise.
– Quelle tyrannie! dit Saint-Luc, quand vous avez tous vos autres amis.
– Ah! oui, ils sont dans un bel état, et Bussy me les a bien accommodés. Schomberg a la cuisse crevée; d'Épernon a le poignet tailladé comme une manche à l'espagnole; Quélus est encore tout étourdi de son coup de poing d'hier et de son embrassade d'aujourd'hui; reste d'O, qui m'ennuie à mourir, et Maugiron qui me boude. Allons! réveille ce grand bélître de page, et fais-toi passer une robe de chambre.
– Sire, si Votre Majesté veut me laisser.
– Pourquoi faire?
– Le respect…
– Allons donc!
– Sire, dans cinq minutes je serai chez Votre Majesté.
– Dans cinq minutes, soit! Mais pas plus de cinq minutes, entends-tu; et pendant ces cinq minutes trouve-moi de bons contes, Saint-Luc, que nous tâchions de rire un peu.
Et là-dessus, le roi, qui avait obtenu la moitié de ce qu'il voulait, sortit à moitié content.
La porte ne se fut pas plutôt refermée derrière lui, que le page se réveilla en sursaut, et d'un bond fut à la portière.
– Ah! Saint-Luc, dit-il quand le bruit des pas se fut perdu, vous allez encore me quitter. Mon Dieu! quel supplice! je meurs d'effroi ici. Si l'on allait découvrir!
– Ma chère Jeanne, dit Saint-Luc, Gaspard que voilà ici, et il lui montrait le vieux serviteur, vous défendra contre toute indiscrétion.
– Alors, autant vaut que je m'en aille, dit la jeune femme en rougissant.
– Si vous l'exigez absolument, Jeanne, dit Saint-Luc d'un ton attristé, je vous ferai reconduire à l'hôtel Montmorency, car la consigne n'est que pour moi. Mais si vous étiez aussi bonne que belle, si vous aviez dans le cœur quelques sentiments pour le pauvre Saint-Luc, vous l'attendriez quelques instants. Je vais tant souffrir de la tête, des nerfs et des entrailles, que le roi ne voudra pas d'un si triste compagnon et me renverra coucher.
Jeanne baissa les yeux.
– Allez donc, dit-elle, j'attendrai; mais je vous dirai comme le roi: Ne soyez pas longtemps.
– Jeanne, ma chère Jeanne, vous êtes adorable, dit, Saint-Luc, rapportez-vous-en à moi de revenir le plus tôt possible près de vous. D'ailleurs, il me vient une idée, je vais la mûrir un peu, et, à mon retour, je vous en ferai part.
– Une idée qui vous rendra la liberté?
– Je l'espère.
– Alors, allez.
– Gaspard, dit Saint-Luc, empêchez bien que personne n'entre ici. Puis, dans un quart d'heure, fermez la porte à clef; apportez-moi cette clef chez le roi. Allez dire à l'hôtel qu'on ne soit point inquiet de madame la comtesse, et ne revenez que demain.
Gaspard promit en souriant d'exécuter les ordres que la jeune femme écoutait en rougissant.
Saint-Luc prit la main de sa femme, la baisa tendrement, et courut à la chambre de Henri, qui déjà s'impatientait.
Jeanne, toute seule et toute frémissante, se blottit dans l'ample rideau qui tombait des tringles du lit, et là, rêveuse, inquiète, courroucée, elle chercha de son côté, en jouant avec une sarbacane, un moyen de sortir victorieuse de l'étrange position où elle se trouvait.
Quand Saint-Luc entra chez le roi, il fut saisi du parfum âpre et voluptueux qu'exhalait la chambre royale. Les pieds de Henri foulaient, en effet, une jonchée de fleurs dont on avait coupé les tiges, de peur qu'elles n'offensassent la peau délicate de Sa Majesté; roses, jasmins, violettes, giroflées, malgré la rigueur de la saison, formaient un moelleux et odorant tapis au roi Henri III.
La chambre, dont le plafond avait été abaissé et décoré de belles peintures sur toile, était meublée, comme nous l'avons dit, de deux lits, l'un desquels était si large, que, quoique son chevet fût appuyé au mur, il tenait près du tiers de la chambre. Ce lit était d'une tapisserie d'or et de soie à personnages mythologiques, représentant l'histoire de Cenée ou de Cenis, tantôt homme et tantôt femme, laquelle métamorphose ne s'opérait pas, comme on peut le présumer, sans les plus fantasques efforts de l'imagination du peintre. Le ciel du lit était de toile d'argent lamée d'or et de figures de soie, et les armes royales richement brodées étaient appliquées à la portion du baldaquin qui, appliquée à la muraille, formait le chevet du lit.