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– Avertissez le roi, dit tranquillement Coligny.

L’un des gentilshommes, le baron de Pont, s’élança en courant vers le Louvre, traversant des groupes silencieux et hostiles.

– C’est bien fait! cria une femme.

Cependant, avec l’aide de ses amis, Coligny s’était relevé; mais il ne put se tenir debout et parut prêt à défaillir.

– Une chaise! cria Clermont de Piles. Pour Dieu, un siège, un fauteuil, n’importe quoi!

Dans la foule, il y eut des ricanements; nul ne bougea. Les huguenots se regardèrent épouvantés, tout pâles.

Alors, deux d’entre eux unirent leurs mains entrelacées, formant ainsi une sorte de siège sur lequel le blessé fut assis, ses deux bras au cou des deux gentilshommes.

Les autres entourèrent ce groupe en silence, l’épée à la main. Ceux qui avaient essayé vainement de défoncer la porte vinrent s’unir au cortège, qui se mit en route.

Lorsqu’ils furent loin, la foule se débanda, riant, applaudissant et criant:

– Mort aux huguenots!

Coligny n’avait pas perdu connaissance.

– Soyez calmes, répétait-il d’une voix encore forte.

Mais ses amis ne l’écoutaient pas. Clermont de Piles pleurait – de colère autant que de douleur. Les autres criaient:

– On a tué l’amiral! on a meurtri notre père! Vengeance! vengeance!

À chaque instant, ils rencontraient des huguenots qui, se réunissant au cortège et voyant l’amiral grièvement blessé, tiraient leurs épées et criaient:

– Vengeance!

En arrivant rue de Béthisy, ils étaient deux cents, agitant leurs épées, pleurant, menaçant, et les groupes du peuple qui les regardaient passer gardaient le silence.

Le bruit de l’attentat se répandit avec une rapidité inouïe: en moins d’une heure, une effervescence extraordinaire enfiévra Paris; les bourgeois sortirent en armes; à tous les carrefours, des danses s’organisèrent; en d’autres endroits, des prêtres, montés sur des bornes, expliquèrent au peuple que Dieu venait de frapper un ennemi de l’Église, et que c’était un signe de sa protection; on les acclamait, on les portait en triomphe, des clameurs terribles de: «Vive la messe!» s’élevaient.

À l’hôtel Béthisy et dans les environs, plus de mille huguenots s’étaient rassemblés et organisés, ne doutant pas qu’on voulût tuer l’amiral et décidés à le défendre en bataille rangée.

Cette multitude de gentilshommes exaspérés emplissait la cour de l’hôtel et, refluant par les portes grandes ouvertes, occupait toute la rue. Deux heures se passèrent ainsi au milieu des cris, des suppositions, des rumeurs que de longs silences soudains coupaient par intervalles.

Cependant, le calme se rétablit peu à peu, et les épées rentrèrent dans les fourreaux lorsque le bruit se fut répandu que le meurtrier de l’amiral était un vulgaire coquin, et non un stipendié du chanoine Villemur, comme on l’avait pensé. Le calme devint de l’apaisement lorsqu’on sut que les blessures n’étaient nullement mortelles.

Malgré ce calme et cet apaisement, un grand nombre de huguenots s’enquirent sur l’heure même des logements qui étaient à louer dans la rue de Béthisy, voulant être prêts jour et nuit à courir au secours de leur chef.

Vers deux heures, il y eut un remous dans cette foule qui continuait à stationner dans la rue.

Une litière venait d’apparaître au bout de la rue; elle était précédée et suivie d’une demi-compagnie d’arquebusiers.

– Le roi! le roi!…

Toutes les têtes se découvrirent.

Mais la douleur et l’indignation l’emportant sur le respect, on cria:

– Vengeance!

La litière, avant d’entrer dans l’hôtel, s’arrêta un moment. Et alors on put voir qu’elle contenait le roi, Catherine et le duc d’Anjou.

Charles IX, pâle, sombre, agité, se pencha vers le groupe de gentilshommes le plus rapproché de lui.

– Messieurs, dit-il, autant que vous je désire la vengeance; plus que vous j’y suis engagé, car l’amiral est mon hôte; tenez-vous donc en paix, le meurtrier sera saisi et livré à un châtiment mémorable.

Des cris frénétiques de: «Vive le roi!» s’élevèrent alors; les paroles de Charles IX transmises de bouche en bouche se répandirent et portèrent l’enthousiasme dans toute la rue.

Voici ce qui s’était passé:

Charles IX était au jeu de paume et dirigeait la partie contre le camp opposé, à la tête duquel se trouvait M. de Téligny, gendre de l’amiral, lorsque le baron de Pont était arrivé en courant, tout bouleversé, les larmes plein les yeux.

Oubliant toute étiquette, et sans attendre que le roi l’eût interrogé, le baron de Pont s’écria:

– Sire, on vient de tuer M. l’amiral!

Charles IX, qui s’apprêtait à envoyer la balle, demeura un instant immobile, comme frappé de stupeur.

Déjà, Téligny, Henri de Béarn, Condé et quelques autres huguenots qui avaient entendu, s’étaient précipités au dehors et avaient pris le chemin de la rue de Béthisy.

– Par la mordieu, dit enfin le roi, que nous dites-vous là, monsieur!

– La vérité, Sire! La triste vérité!…

Et il raconta la scène du cloître Saint-Germain-l’Auxerrois.

Charles jeta furieusement sa raquette.

Puis il devint très pâle et se mit à rire nerveusement. Les courtisans qui l’entouraient demeurèrent glacés de crainte: car ces étranges éclats de rire étaient toujours chez le roi l’indice d’une prochaine crise de son mal ou d’une terrible colère.

Cette fois, il n’y eut pas d’accès; mais la fureur du roi se déchaîna.

– C’en est trop! cria-t-il. Il ne se passe pas de jour qu’on ne tue. Ah! messieurs les Parisiens, vous ne voulez faire qu’à votre tête? Et moi qui suis le roi, je n’en ferai qu’à la mienne! Voilà qu’on me tue mes chefs d’armée à présent! Morbleu! j’en tirerai une vengeance telle que l’envie de manger du huguenot passera pour longtemps à ceux de la messe et de Guise!…

Il s’arrêta soudain, craignant d’en avoir trop dit, se rappelant tout à coup ce que sa mère lui avait dit.

Et il rentra précipitamment dans le Louvre en disant:

– Qu’on me fasse venir M. de Birague et M. le Grand prévôt.

Le Grand prévôt se trouvait au Louvre; il se présenta aussitôt dans le cabinet du roi, tandis qu’on courait chercher le chancelier Birague.

– Monsieur, dit Charles IX au Grand prévôt, je vous donne trois jours pour trouver le meurtrier de mon digne père, l’amiral Coligny.

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