Литмир - Электронная Библиотека
Содержание  
A
A

– Oui-dà. Je n’en doute pas.

– Et contre mes services, je ne vous demande qu’une chose, une seule.

– Laquelle? Voyons.

– C’est de m’aider à votre tour à me venger de monseigneur de Damville qui a donné l’ordre de me couper les oreilles et de mon oncle qui a exécuté cet ordre.

– Voilà un animal qui me paraît animé d’excellentes intentions et qui pourra nous être utile, songea Pardaillan qui ajouta:

– Eh bien, c’est dit; je te prends à mon service.

Gillot eut dans les yeux un éclair de joie qui eût inquiété Pardaillan s’il l’eût surpris. Mais, faisant signe à Gillot de le suivre, le vieux routier s’enfonçait déjà dans l’hôtel.

Gillot le suivit en murmurant entre ses dents:

– J’espère que mon oncle Gillot sera content de moi!…

V L’ORAGE GRONDE

Une vingtaine de jours après l’entrée du roi dans Paris eurent lieu les fiançailles d’Henri de Béarn et de Marguerite, sœur de Charles IX. À cette occasion, une fête fut donnée au Louvre, fête somptueuse et telle qu’on n’en avait plus vu depuis les grandes mises en scène auxquelles se complurent François Ier et Henri II. Il y eut des danses où les dames huguenotes firent vis-à-vis aux seigneurs catholiques; il y eut deux ballets magnifiques; il y eut collation et mascarade… Margot, dont le jeune Henri se montrait fort épris, parut en hamadryade [6], avec un costume d’une merveilleuse impudence, dont les guirlandes de feuillage faisaient le principal ornement; – mais n’anticipons pas.

Cette mémorable, fastueuse et terrible soirée, il faut que nous la suivions pour ainsi dire heure par heure.

Le Louvre flamboyait de lumières, un immense bruissement de rires s’élevait de cette fournaise, et chacune des salles où se déployaient ces magnificences contenait un drame…

Au dehors, une foule de peuple, difficilement contenue par les archers de service soutenus par des compagnies d’arquebusiers, roulait autour du Louvre, comme une mer aux flots noirs qui mugit autour d’un brillant rocher. Cette foule n’était pas seulement attirée par la curiosité. Malgré les édits criés à diverses reprises, la plupart des bourgeois étaient armés de pertuisanes et avaient endossé la cuirasse. De groupe en groupe, couraient des gens qui paraissaient donner un mot d’ordre. Tantôt sur un point, tantôt sur un autre, des clameurs soudaines s’élevaient, de grands cris de: «Vive la messe! ou de: Mort aux huguenots!»

Au début de cette soirée, et comme la nuit s’étendait sur Paris, Catherine de Médicis et son fils Charles IX se trouvaient seuls dans une pièce dont le balcon dominait la Seine et la rive gauche.

Habillé de noir comme à son habitude, plus pâle que jamais, ses maigres mains d’ivoire incrustées sur la balustrade de fer, Charles IX regardait au loin une grande lueur rouge. Et près de lui, d’un pas en arrière, Catherine souriait, de son sourire énigmatique et cruel, sphinx formidable.

– Pourquoi m’avez-vous amené là, madame? demanda le roi.

– Pour vous montrer ce feu, sire.

– Un feu de joie? Mes bons Parisiens se réjouissent.

– Non, sire. Les Parisiens brûlent une maison où l’on a surpris une réunion de parpaillots… Et tenez… voici encore un feu qui s’allume… là, sur votre gauche! Par Notre-Dame, si cela, continue, Paris va brûler!

Une bouffée de sang monta aux joues blêmes de Charles IX, qui murmura un juron.

– Plaise au ciel, continua Catherine, que l’idée ne leur vienne pas de brûler le Louvre!

– Par le sang du Christ! Je vais donner l’ordre de charger les incendiaires…

Et se retournant, le roi cria:

– Holà, Cosseins!

– Êtes-vous fou, Charles! gronda Catherine en saisissant la main de son fils. Voulez-vous donc provoquer des émotions et des émeutes dans Paris? Quoi! Vous êtes donc aveugle! vous ne voyez donc pas que la couronne chancelle sur votre tête, et que bientôt, si vous n’y prenez garde, vous aurez le royaume entier contre vous!

– Que dites-vous là, madame? dit Charles en frissonnant.

– La vérité!… Vous avez rêvé la fusion des catholiques et des huguenots. Dieu sait si j’en ai gémi en moi-même, car je voyais clairement l’abîme où vous couriez. Quoi! n’avez-vous pas entendu les murmures du peuple et les cris de la seigneurie quand vous avez donné La Rochelle, Montauban, Cognac et La Charité aux parpaillots? Ne voyez-vous pas les visages menaçants qui vous entourent depuis que Jeanne d’Albret, Henri de Béarn, Condé et Coligny sont ici! Aveugle! Aveugle et sourd aux avertissements du ciel!… Regardez, mon fils!

Au loin, l’incendie montait et s’étendait, vaste nappe de flammes rouges qui ondulait dans la nuit. Des tourbillons de fumée s’élevaient de cette fournaise et couvraient d’un crêpe la moitié de Paris.

– Voilà la réponse des Parisiens aux fiançailles de ce soir! reprit Catherine avec cette rude éloquence qui avait établi son despotique empire sur le faible esprit du roi. Vous invoquez le ciel, sire! Regardez: on ne le voit plus, les étoiles disparaissent, et l’enfer est dans Paris.

Les yeux exorbités, les mâchoires serrées, Charles IX regardait. Par moment, un frisson le secouait.

– Charles, continua la reine. Écoutez-moi. Vous savez avec quelle joie j’ai poussé à la paix; vous savez que moi-même je me suis humiliée devant l’orgueilleuse Jeanne d’Albret. Vous savez que j’ai été jusqu’à imaginer le mariage de ma propre fille avec Henri de Béarn. C’est que, moi aussi, j’étais aveugle! Je croyais alors que la paix était possible entre huguenots et catholiques. La paix avec les huguenots? Délire! Rêve insensé! Il faut que l’hérésie ou l’Église triomphe ou meure! Il n’y a pas de place pour ces deux forces, et le monde, sire, est trop étroit pour les contenir! L’une des deux doit disparaître, et comme il est impossible que l’Église succombe, que Rome disparaisse et que Dieu meure, c’est l’hérésie qu’il faut tuer!… Malheur à ceux qui soutiendront l’hérésie! Ils périront avec elle!…

– Madame!… Vous m’épouvantez!… Il est impossible que les choses en soient là parce que j’ai eu horreur de tout le sang qui se versait!

– Impossible? N’avez-vous pas lu les lettres que les ambassadeurs de tous les États nous apportent? Que nous dit le roi d’Espagne?… Qu’il prépare une armée pour rétablir le règne de Dieu compromis par notre faiblesse!

– Je ferai la guerre à l’Espagnol! dit Charles en se raidissant.

– Insensé! Que nous dit Venise? que nous disent Parme et Mantoue? Que nous disent les États de l’Empire? Tous, tous, du nord au sud, du levant au couchant, tous nous blâment, tous nous menacent!

– Je tiendrai tête à l’Europe, s’il le faut!…

вернуться

[6] Hamadryade: divinité des bois, qui naissait et mourait avec un arbre.

23
{"b":"100592","o":1}