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Geneviève regarda André en silence comme le jour où il lui avait parlé pour la première fois des étoiles et de la pluralité des mondes; elle pressentait encore un monde nouveau, et elle cherchait à le deviner avant d'y engager son coeur. André vit sa curiosité, et il espéra.

«Laissez-moi vous expliquer encore ce mystère. Je n'oserai guère parler moi-même, je serais trop au-dessous de mon sujet; mais je vous lirai les poëtes qui ont su le mieux ce que c'est que l'amour, et si vous m'interrogez, mon coeur essaiera de vous répondre.

– Et pendant ce temps, lui dit Geneviève en souriant, les médisants se tairont! on les priera d'attendre, pour recommencer leurs injures, que j aie appris ce que c'est que l'amour, et que je puisse leur dire si je vous aime ou non.

– Non, Geneviève, on leur dira dès demain que je vous adore, que vous avez un peu d'amitié pour moi, que je demande à vous épouser, et que vous y consentez.

– Mais si l'amour ne me vient pas? dit Geneviève.

– Alors vous ferez, en m'acceptant, un mariage de raison, et je mettrai tous mes soins à vous assurer le bonheur calme que vous craignez de perdre en aimant.

– Oh! André, vous êtes bon! dit Geneviève en serrant doucement les mains brûlantes d'André; mais je vous crains sans savoir pourquoi. Je ne sais si c'est moi qui suis trop indifférente, ou vous qui êtes trop passionné; j'ai peur de mon ignorance même et ne sais quel parti prendre.

– Celui que vous dictera votre coeur; n'avez-vous pas seulement un peu de compassion?

– Mon coeur me conseille de vous écouter, répondit Geneviève avec abandon; voilà ce qu'il y a de vrai.

André baisait encore ses mains avec transport lorsque Henriette rentra.

«Eh bien! s'écria-t-elle en voyant la joie de l'un et la sérénité de l'autre, tout est arrangé! A quand la noce?

– C'est Geneviève qui fixera le jour, répondit André. Vous pouvez, ma chère Henriette, le dire demain dans toute la ville.

– Oh! s'il ne s'agit que de cela, soyez en paix. Il n'est pas minuit; demain, avant midi, il n'y aura pas une mauvaise langue qui ne soit mise à la raison. Oh! quelle joie! quelle bonne nouvelle pour ceux qui t'aiment! Car tu as encore des amis ma bonne Geneviève! M. Joseph, qui ne t'aimait pas beaucoup autrefois, il faut l'avouer, se conduit comme un ange maintenant à ton égard; il ne souffre pas qu'on dise un mot de travers devant lui sur ton compte, et c'est un gaillard… qu'est-ce que je dis donc! c'est un brave jeune homme qui sait se faire écouter quand il parle.

– C'est par amitié pour M. André qu'il agit ainsi, dit Geneviève; je ne l'en remercie pas moins: tu le lui diras de ma part, car je suppose que tu lui parles quelquefois, Henriette?

– Ah! des malices? Comment! tu t'en mêles aussi, Geneviève? Il n'y a plus d'enfants! Il faut bien te passer cela, puisque te voila bientôt marquise.

– Ne te presse pas tant de me faire ton compliment, ma chère, et ne publie pas si vite cette belle nouvelle; c'est encore une plaisanterie; et nous ne savons pas si nous ne ferons pas mieux, M. André et moi, de rester amis comme nous sommes.

– Qu'est-ce qu'elle dit là? s'écria Henriette; est-ce que vous vous jouez de nous, monsieur le marquis? Est-ce que ce n'était pas sérieusement que vous parliez?

Elle était au moment de lui faire une scène; mais il la rassura et lui dit qu'il espérait vaincre les hésitations de Geneviève; il la pria même de l'aider, et Henriette, en se rengorgeant, répondit de tout. «N'ai-je pas déjà bien avancé vos affaires? dit-elle; sans moi, cette petite sucrée que voilà aurait toujours fait semblant de ne pas vous comprendre, et vous seriez encore là à vous morfondre sans oser parler.»

Les plaisanteries d'Henriette embarrassaient Geneviève; elle se plaignit d'être un peu fatiguée, refusa les offres de sa compagne, qui voulait passer la nuit auprès d'elle, l'embrassa tendrement et toucha légèrement la main d'André en signe d'adieu.

«Comment! c'est comme cela que vous vous séparez? s'écria Henriette; un jour de fiançailles! Par exemple! vous ne vous aimez donc pas?

– Qu'est-ce qu'elle veut dire? demanda André à Geneviève en s'efforçant de prendre de l'assurance, mais en tremblant malgré lui.

– Eh! vraiment, on s'embrasse! dit Henriette. De beaux amoureux, qui ne savent pas seulement cela!

– Si l'usage l'ordonne, dit André avec émotion, est-ce que vous n'y consentirez pas, mademoiselle?

– Mais savez-vous, dit Geneviève gaiement, qu'Henriette ira le dire demain dans toute la ville!

– Raison de plus, dit André un peu rassuré; ce sera un engagement que vous aurez signé et qui donnera plus de poids à la nouvelle de notre mariage.

– Oh! en ce cas, je refuse, dit-elle; je ne veux rien signer encore.

– Eh bien! par amitié? reprit André, qui déjà la tenait dans ses bras; comme vous avez embrassé Henriette tout à l'heure?

– Par amitié seulement, répondit Geneviève en se laissant embrasser.

André fut si troublé de ce baiser, qu'il comprit à peine ensuite comment il était sorti de la chambre. Il se trouva dans la rue avec Henriette sans savoir ce qu'était devenu l'escalier. Cependant, lorsqu'il se rappela plus tard cet instant d'enivrement, il s'y mêla un souvenir pénible. Geneviève avait un peu rougi par pudeur; mais son regard était resté serein, sa main fraîche, et son coeur n'avait pas tressailli, «C'est ma Galatée, se disait-il; mais elle ne s'est animée que pour regarder les cieux. Descendra-t-elle de son piédestal, et voudra-t-elle poser ses pieds sur la terre auprès de moi?»

Cependant l'espérance, qui ne manque jamais à la jeunesse, le consola bientôt. Geneviève, avec un si noble esprit, ne pouvait pas avoir un coeur insensible; cette tranquillité d'âme tenait à la chasteté exquise de ses pensées, à ses habitudes solitaires et recueillies. Il avait déjà vu se réaliser un de ses plus beaux rêves, il était le conseil et la lumière de cette sainte ignorance; maintenant un voeu plus enivrant lui restait à accomplir, c'était de se placer entr-elle et la divinité universelle qu'il lui avait fait connaître. Il fallait cesser d'être le prêtre et devenir le dieu lui-même. L'enthousiasme d'André, les palpitations de son coeur allaient au-devant d'un pareil triomphe, et son âme, avide d'émotions tendres, ne pouvait pas croire à l'inertie d'une autre âme.

De son côté, Geneviève ressentait un peu d'effroi. Les paroles d'André, ses caresses timides, son accent passionné, lui avaient causé une sorte de trouble: et quoiqu'elle désirât presque éprouver les mêmes émotions, elle avait, par instants, comme une certaine méfiance de cette exaltation dont elle n'avait jamais conçu l'idée et dont elle craignait de n'être jamais capable.

Cependant il est si doux de se sentir aimé, que Geneviève s'abandonna sans peine à ce bien-être nouveau; elle s'habitua à penser qu'elle n'était pas seule au monde, qu'une autre âme sympathisait à toute heure avec la sienne, et que désormais elle ne porterait plus seule le poids des ennuis et des maux de la vie. Elle fit ces réflexions en s'habillant le lendemain; et en comparant cette matinée à la journée précédente, elle s'avoua qu'il lui avait fallu un certain courage pour supporter les soucis de la veille, et que cette nouvelle journée s'annonçait douce et calme sous la protection d'un coeur dévoué. «Après tout, se dit-elle, André est sincère: s'il s'exagère à lui-même aujourd'hui l'amour qu'il a pour moi, du moins il lui restera toujours assez d'honnêteté dans le coeur pour me garder son amitié. Je ne cesserai pas de la mériter: pourquoi me l'ôterait-il? Et puis, que sais-je? pourquoi refuserais-je de croire aux belles paroles qu'il me dit? Il en sait bien plus que moi sur toutes choses, et il doit mieux juger que moi de l'avenir.»

En se parlant ainsi à elle-même, et tout en se coiffant devant une petite glace, elle regardait ses traits avec curiosité et prit même son miroir pour l'approcher de la fenêtre; là elle contempla de près ses joues fines et transparentes comme le tissu d'une fleur, et elle s'aperçut qu'elle était jolie. «Quelquefois je l'avais cru, pensa-t-elle, mais je ne savais pas si c'était de la jeunesse ou de la beauté. Cependant pour qu'André, après m'avoir vue un instant, soit resté amoureux de moi tout un an, il faut bien que j'aie quelque chose de plus que la fraîcheur de mon âge. André aussi a une jolie figure: comme il avait de beaux yeux hier soir! et comme ses mains sont blanches! Comme il parle bien! Quelle différence entre lui et Joseph, et tous les autres!»

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