Литмир - Электронная Библиотека

McMurdo découvrit qu'ils ne demandaient pas mieux que de raconter leurs exploits passés; ils le firent avec cette sorte de fierté timide qu'arborent les hommes qui ont rendu de bons et loyaux services à la communauté. Mais ils se montrèrent réticents pour parler de l'affaire en cours.

– On nous a choisis parce que ni moi ni le petit ne buvons d'alcool, expliqua Lawler. On sait que nous n'en dirons jamais plus qu'il ne faut. Vous ne devez pas le prendre en mauvaise part, mais c'est aux ordres du délégué du district que nous obéissons.

– Bien sûr! répondit Scanlan.

– Si vous y tenez, nous pourrons vous raconter l'histoire de la mort de Charlie Williams, ou de Simon Bird. Mais jusqu'à ce que notre travail soit fait, nous n'en parlerons pas.

– Il y a dans les environs une bonne demi-douzaine de types à qui je dirais volontiers deux mots! déclara McMurdo en jurant. Je suppose que ce n'est pas Jack Knox qui est votre cible? J'irais au bout du monde pour le voir recevoir ce qu'il mérite.

– Non. Ce n'est pas lui. Pas encore lui.

– Ou Hermann Strauss?

– Lui non plus.

– Ma foi, si vous ne voulez rien dire, nous ne pouvons pas vous forcer à parler. Mais ça me démange!

Lawler sourit et secoua la tête. Il ne se laissait pas tirer les vers du nez.

En dépit de la réticence de leurs hôtes, Scanlan et McMurdo étaient bien décidés à assister à ce qu'ils appelaient «la bonne blague». Quand un matin très tôt McMurdo les entendit descendre l'escalier à pas feutrés, il réveilla Scanlan et tous deux s'habillèrent rapidement. Quand ils furent prêts, ils trouvèrent la porte ouverte et leurs compagnons disparus. L'aube ne pointait pas encore, mais à la lueur des lampadaires ils les aperçurent dans la rue à quelque distance devant eux. Ils les suivirent prudemment. La neige étouffait le bruit de leurs pas.

La pension de famille était située près de la lisière de la ville; bientôt ils arrivèrent à un carrefour en pleine campagne. Trois hommes attendaient; Lawler et Andrews s'entretinrent quelques instants avec eux, puis tous se mirent en route. Il s'agissait donc d’un travail important qui nécessitait du monde. À cet endroit, plusieurs chemins conduisaient à diverses mines. Les étrangers prirent celui qui menait au Crow Hill, grosse affaire aux mains énergiques et intrépides d'un directeur de la Nouvelle-Angleterre, Josiah Dunn, qui y avait maintenu l'ordre et la discipline malgré la terreur qui régnait dans la vallée.

Le jour se levait maintenant; une file d'ouvriers, isolés ou en groupe, se hâtait sur ce chemin noirci.

McMurdo et Scanlan se mêlèrent à eux, sans perdre de vue les hommes qu'ils suivaient. Une brume épaisse les entourait; un sifflet à vapeur déchira l'air: c'était le signal donné dix minutes avant la descente des cages et le début de la journée de travail.

Quand ils atteignirent l'espace à découvert devant le puits de mine, une centaine de mineurs attendaient en battant la semelle et en soufflant dans leurs doigts; le froid était en effet très vif. Les étrangers formaient un petit groupe dans l'ombre du bâtiment des machines. Scanlan et McMurdo grimpèrent sur un tas de scories, d’où ils pouvaient voir toute la scène. Ils reconnurent l'ingénieur de ma mine, un grand Écossais barbu du nom de Menzies, qui sortait du bâtiment et qui lança un coup de sifflet pour la descente des cages. Au même moment, un grand jeune homme dégingandé au visage, sérieux s'approcha de la fosse. Il aperçut le groupe immobile et silencieux qui se tenait près du bâtiment. Les hommes avaient rabattu leurs chapeaux et relevé leurs cols pour se dissimuler le visage. Pendant quelques instants, le pressentiment de la mort dut glacer le cœur du directeur. Mais il l'écarta et ne songea plus qu'à accomplir son devoir à l'égard d'intrus suspects.

– Qui êtes-vous? demanda-t-il en se dirigeant vers eux. Pourquoi traînez-vous par ici?

Il n’y eut aucune réponse; simplement le petit Andrews fit un pas en avant et lui logea une balle dans l'estomac. Les cent mineurs qui attendaient ne bougèrent pas plus que s'ils avaient été frappés de paralysie. Le directeur de la mine appuya ses deux mains contre la plaie et se plia en deux. Il tenta de s'éloigner en titubant, mais un autre assassin fit feu, et il tomba sur le côté, grattant le sol de ses pieds et de ses mains. Menzies l'Écossais poussa un hurlement de rage et se rua avec une clé à molette sur les agresseurs, mais il reçut deux balles dans la tête et il s'écroula raide mort à leurs pieds. La foule des mineurs fut alors secouée d'une sorte de houle et elle émit un faible cri de colère et de pitié; des ouvriers s'élancèrent vers les assassins. Mais deux revolvers à six coups se déchargèrent au-dessus de leurs têtes; ils s'arrêtèrent net, puis reculèrent, et commencèrent à s'égailler; certains même coururent jusque chez eux. Quand les plus braves se furent rassemblés et qu'ils se précipitèrent vers le bâtiment, les étrangers avaient disparu dans la brume matinale. Il n'y avait pas un seul témoin qui pût prêter serment pour identifier les hommes qui, devant cent spectateurs, avaient commis ce double crime.

Scanlan et McMurdo regagnèrent leur pension. Scanlan était assez déprimé, car c'était le premier meurtre qu'il avait vu se dérouler sous ses yeux, et il trouvait «la bonne blague» moins drôle qu'il l'avait espéré. Les cris horribles de la veuve du directeur les poursuivirent tandis qu'ils se hâtaient vers la ville. McMurdo était songeur et silencieux, mais la faiblesse de son compagnon n'éveilla en lui aucun écho.

– Quoi! C'est comme une guerre, répétait-il. Ce n'est qu'une guerre entre eux et nous, et nous rendons les coups du mieux que nous le pouvons.

Il y eut une grande fête à la loge ce soir-là. Non seulement pour célébrer l'assassinat du directeur et de l'ingénieur de la mine de Crow Hill, assassinat qui rangerait cette entreprise parmi celles qui se soumettaient aux chantages et à la terreur. Mais aussi pour un succès acquis au loin et qui était dû à la loge elle-même. Il apparut en effet que lorsque le délégué du district avait envoyé cinq hommes à Vermissa, il avait demandé en échange que trois hommes de Vermissa fussent secrètement choisis pour faire disparaître William Hales, de Stake Royal, l'un des propriétaires de mines les plus connus et les plus populaires du district de Gilmerton, un homme qui croyait ne pas avoir un seul ennemi tant il était un employeur modèle. Ayant toutefois la manie du rendement dans le travail, il avait congédié certains ivrognes ou fainéants qui étaient membres de la toute-puissante organisation. Des cercueils expédiés à son adresse n'avaient pas modifié son caractère; voilà pourquoi, dans un pays de liberté et de civilisation, il s'était trouvé condamné à mort.

L'exécution venait d'avoir lieu. Ted Baldwin se pavanait sur le siège d'honneur à la droite du chef de corps: il avait commandé les tueurs. Sa figure congestionnée, ses yeux vitreux et injectés de sang révélaient une nuit blanche et de nombreuses libations. Lui et ses deux complices avaient passé vingt-quatre heures au milieu des montagnes. Ils étaient crottés et sales. Mais peu de héros, au retour d’une aventure désespérée, reçurent un accueil aussi chaleureux de la part de leurs camarades. Ils durent raconter cent fois leur histoire, que ponctuèrent des cris de joie et des éclats de rire. Ils avaient guetté leur victime pendant qu'il rentrait chez lui le soir; ils avaient pris leur faction en haut d'une colline abrupte, à un endroit où son cheval marcherait forcément au pas; il était tellement emmitouflé pour se protéger du froid qu'il n'avait pas pu mettre la main sur son revolver. Ils l'avaient tiré à bas de son cheval et ils avaient déchargé leurs armes sur lui.

41
{"b":"100279","o":1}