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Ce message était inutile, car la figure résolue, cruelle du visiteur passa par-dessus l'épaule du serveur. Il l'écarta et referma la porte.

– Ainsi, dit-il en lançant un regard furieux à McMurdo, vous êtes arrivé ici le premier, hein? J'ai deux mots à vous dire, conseiller, au sujet de cet individu.

– Alors, dites-les tout de suite, et devant moi! s'écria McMurdo.

– Je les dirai à mon heure, et à ma façon.

– Tut, tut! intervint McGinty en se levant de son tonneau. Jamais de la vie! Nous avons ici un nouveau frère, Baldwin, et nous ne devons pas l'accueillir de cette manière. Tendez-lui la main, mon vieux, et faites la paix.

– Jamais! cria Baldwin.

– Je lui ai offert de se battre avec moi s'il croyait que je lui avais fait du tort, dit McMurdo. Je le rencontrerai à poings nus ou, si cela ne lui convient pas, avec l'arme qui lui plaira. Maintenant je vous laisse le soin, conseiller, de nous départager comme un chef de corps doit le faire.

– Qu'y a-t-il donc entre vous?

– Une jeune demoiselle. Elle est libre de son choix, je pense!

– L'est-elle? s'écria Baldwin.

– Puisqu'il s'agit de deux frères de la loge, elle est libre, déclara le chef.

– Oh! telle est votre loi, peut-être?

– Oui, telle est ma loi, Ted Baldwin! répondit McGinty en le regardant méchamment. Est-ce vous qui vous y opposeriez?

– Vous rejetteriez quelqu'un qui depuis cinq ans se tient à vos côtés, en faveur d'un homme que vous n'avez jamais vu de votre vie? Vous n'êtes pas chef de corps pour l'éternité, Jack McGinty, et, pardieu, au prochain vote…

Le conseiller bondit comme un tigre. Il referma ses mains autour du cou de l'autre et le renversa par-dessus l'un des tonneaux. Fou de rage, il l'aurait égorgé si McMurdo n'était intervenu.

– Du calme, conseiller! Pour l'amour du Ciel, lâchez-le! cria-t-il.

Il le tira en arrière.

McGinty desserra son étreinte. Baldwin, dompté et secoué, cherchant à reprendre son souffle, tremblant de tous ses membres, était la vivante image de l'homme qui revient des frontières de la mort. Il s'assit sur le tonneau d'où il avait été basculé.

– Il y a longtemps que vous méritiez cela, Ted Baldwin. Maintenant vous l'avez eu! cria McGinty. Vous imagineriez-vous que, si je n'étais pas réélu chef de corps, vous prendriez ma place? La loge en décidera. Mais tant que je serai le chef, personne n'élèvera la voix contre moi ou mes décisions.

– Je n'ai rien contre vous, bégaya Baldwin en se frictionnant la gorge.

– Eh bien! alors, s'exclama l'autre en retombant d'un coup dans sa grosse jovialité, nous sommes tous bons amis, et voilà une affaire réglée!

Il prit dans un casier une bouteille de champagne et en fit sauter le bouchon.

– Écoutez, dit-il en remplissant trois flûtes, buvons le vide-querelles de la loge. Après ce toast, vous le savez, aucune dispute n'est plus possible. Maintenant donc, la main gauche sur ma pomme d'Adam, je vous dis, Baldwin: quelle est l'offense, monsieur?

– Les nuages sont lourds, répondit Baldwin.

– Mais ils se dissiperont pour ne plus jamais revenir.

– Et cela, je le jure!

Ils vidèrent leur verre, et la même cérémonie se répéta entre Baldwin et McMurdo.

– Là! s'écria McGinty en se frottant les mains. La dispute est terminée. Si elle reprend, vous tomberez sous la férule de la loge, et à Vermissa elle sévit avec rudesse, comme ne l'ignore pas le frère Baldwin, et comme vous vous en apercevrez bientôt, frère McMurdo, si vous cherchez des histoires.

– Parole, je n'y tiens pas! répondit McMurdo en tendant la main à Baldwin. Je suis prompt à me quereller, mais aussi prompt à pardonner. On me dit que c'est mon sang chaud d'Irlandais. Mais pour moi c'est réglé, et sans rancune!

Baldwin fut obligé de serrer la main qui lui était offerte, car les yeux du patron ne le quittaient pas. Mais son air maussade montrait que les paroles de McMurdo ne l'avaient guère converti.

McGinty les prit tous les deux par les épaules.

– Tut! Ah! ces femmes! Ces femmes! soupira-t-il. Dire que le même jupon oppose l'un à l'autre deux de mes garçons! C'est un mauvais coup du diable. Après tout, cette question échappe à la compétence d'un chef de corps: que le Seigneur en soit loué! Nous en avons assez sur les bras, sans les femmes. Frère McMurdo, vous serez affilié à la loge 341. Nous avons nos habitudes, et des méthodes qui ne sont pas celles de Chicago. Nous nous réunissons de samedi soir. Si vous venez, vous serez pour toujours un affranchi dans la vallée de Vermissa.

CHAPITRE III La loge 341 à Vermissa

Dès le lendemain de cette soirée fertile en événements passionnants, McMurdo quitta la Pension Shafter et alla s'installer chez la veuve MacNamara, à la lisière de la ville. Scanlan, dont il avait fait connaissance dans le train, eut peu après l'occasion de séjourner à Vermissa, et tous deux habitèrent ensemble. Ils étaient les seuls pensionnaires d'une vieille Irlandaise accommodante et discrète; ils bénéficièrent donc d'une grande liberté pour parler et agir, et cette liberté était indispensable à des hommes qui avaient des secrets en commun. Shafter avait consenti à laisser McMurdo prendre ses repas chez lui quand il le désirait; ses relations avec Ettie n'étaient donc nullement interrompues. Au contraire, au fur et à mesure que les semaines passaient, elles devenaient plus étroites et plus intimes.

Dans sa nouvelle chambre, McMurdo se sentit suffisamment en sécurité pour sortir ses moules à frapper des pièces de monnaie; sous le sceau de la discrétion, plusieurs frères de la loge furent autorisés à venir chez lui et à repartir les poches pleines de fausse monnaie: les pièces étaient si adroitement imitées qu'elles passèrent toujours sans difficulté. Pourquoi, puisqu'il possédait ce talent merveilleux, McMurdo condescendait-il à travailler ailleurs? Ses compagnons s'en étonnaient; mais il répondait à tous ceux qui lui posaient la question que s'il vivait sans moyens normaux d'existence, la police ne tarderait pas à enquêter sur son compte.

Un policier, d'ailleurs, s'intéressa bientôt à lui. Mais l'épisode qui le révéla fit à l'aventurier plus de bien que de mal. Après sa première visite au cabaret de McGinty, il y passa de nombreuses soirées afin de mieux connaître les «garçons», ainsi que s'appelaient gentiment les membres de la bande qui répandait la terreur dans la région. Sa fougue naturelle, son langage intrépide le rendirent populaire auprès d'eux; et la rapidité alliée à la technique avec laquelle il régla le compte de son adversaire dans une bagarre qui avait éclaté au cabaret lui attira le respect unanime. Peu après, un autre incident le hissa plus haut encore dans leur estime.

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