– Oh! taisez-vous, monsieur McMurdo! Ne parlez pas ainsi! dit la jeune fille. Je vous ai prévenu, n'est-ce pas, que vous étiez arrivé trop tard? Quelqu'un vous a devancé, et si je ne lui ai pas promis de l'épouser tout de suite, du moins je ne peux me promettre à personne d'autre.
– Supposez que j'aie été le premier, Ettie; aurais-je eu une chance?
La jeune fille enfouit son visage entre ses mains.
– Je jure devant Dieu que j'aurais voulu que vous me parliez le premier! sanglota-t-elle.
McMurdo tomba aussitôt à ses genoux.
– Pour l'amour de Dieu, Ettie, ne vous laissez pas faire! s'écria-t-il. Ruineriez-vous votre vie et la mienne pour la bagatelle de cette promesse? Suivez votre cœur, je vous en conjure! C'est un guide meilleur que la promesse que vous avez donnée avant de savoir le sens des mots que vous prononciez!…
Il avait saisi les mains blanches d'Ettie.
– … Dites que vous serez à moi et que nous ferons notre vie ensemble!
– Pas ici?
– Si, ici!
– Non, non, Jack!…
Il l'enlaça. Elle ne se défendit pas.
– … Ici, ce serait impossible. Mais… ne pourriez-vous pas partir avec moi?
Pendant quelques instants, une lutte intérieure bouleversa les traits de McMurdo, puis son visage se durcit dans une résolution farouche.
– Non, ce sera ici! dit-il. Je vous défendrai contre le monde entier, Ettie, ici où nous sommes!
– Pourquoi ne partirions-nous pas ensemble?
– Non, Ettie, je ne peux pas partir.
– Pourquoi?
– Je n'oserais plus jamais marcher la tête haute si j'avais le sentiment que j'avais été chassé d'ici. En outre, de quoi aurions-nous peur? Ne sommes-nous pas des citoyens libres dans un pays libre? Si vous m'aimez et si moi je vous aime, qui oserait s'interposer?
– Vous ne savez pas, Jack! Vous êtes ici depuis trop peu de temps. Vous ne connaissez pas ce Baldwin. Vous ne connaissez pas Mc Ginty et ses Éclaireurs.
– Non, je ne les connais pas, mais ils ne me font pas peur, et je ne crois pas en leur puissance! s'écria McMurdo. J'ai vécu parmi des hommes rudes, ma chérie, et cela s'est toujours terminé de la même manière: ce n'était pas moi qui les craignais, mais eux qui me redoutaient. Toujours, Ettie! C'est fou, voyons! Si ces hommes, comme me l'a affirmé votre père, ont commis crime sur crime dans la vallée, et si tout le monde est au courant, comment se fait-il qu'ils n'aient pas été traduits en justice? Répondez à cela, Ettie!
– Parce que personne n'ose témoigner contre eux: celui qui le ferait mourrait dans le mois. Et aussi parce qu'ils ont toujours des hommes prêts à jurer que l'accusé se trouvait à mille lieues de la scène du crime. Mais sûrement, Jack, vous avez lu les journaux! On m'avait dit que toute la presse des États-Unis en parlait.
– J'avais bien lu différents articles, c'est vrai, mais j'avais cru que c'était du roman. Peut-être ces Éclaireurs ont-ils une raison valable pour agir ainsi? Peut-être leur a-t-on nui et n'ont-ils pas d'autre moyen de se défendre?
– Oh! Jack, je ne veux pas vous entendre parler ainsi! C'est comme cela qu'il parle… l'autre!
– Baldwin? Ah! il parle comme cela, n'est-ce pas?
– Et c'est pourquoi je le déteste tant. Oh! Jack, maintenant, je peux vous dire la vérité! Je le déteste de tout mon cœur, mais j'ai peur de lui. J'ai peur de lui pour moi-même, et par-dessus tout, j'ai peur de lui pour mon père. Je sais qu'une catastrophe s'abattrait sur nous si j'osais dire tout haut ce que je ressens. Voilà pourquoi je l'ajourne avec des demi-promesses. Mais si vous partiez avec moi, Jack, nous pourrions emmener mon père et vivre pour toujours loin du pouvoir de ces méchants.
À nouveau la physionomie de McMurdo trahit le combat qui se livrait en lui; à nouveau une résolution inébranlable conclut son débat intérieur.
– Il ne vous arrivera aucun mal, Ettie, ni à vous, ni à votre père. Pour ce qui est des méchants, je me demande si vous ne me découvrirez pas aussi mauvais que le pire d'entre eux avant que nous soyons mariés!
– Non, non, Jack! Je vous fais confiance… pour toujours! McMurdo eut un rire amer.
– Seigneur! Comme vous me connaissez peu! Votre âme innocente, ma chérie, n'a même pas pu deviner ce qui se passait dans la mienne. Mais, holà! qui est ce visiteur?
La porte s'était ouverte brusquement, et un jeune homme était entré avec l'air avantageux de celui qui se sent chez lui. Il était beau, élégant; il avait à peu près le même âge et la même taille que McMurdo. Sous son chapeau de feutre noir à larges bords, qu'il n'avait pas pris la peine d'enlever, il observait avec des yeux farouches le couple qui était assis auprès du poêle; son nez busqué, son profil d'aigle n'adoucissaient pas l'expression de son regard.
D'un bond, Ettie s'était mise debout; elle était plus que confuse: affolée.
– Je suis heureuse de vous voir, monsieur Baldwin; dit-elle. Vous arrivez plus tôt que je ne l'espérais. Asseyez-vous.
Baldwin, mains aux hanches, fixait McMurdo.
– Qui est celui-ci? demanda-t-il brusquement.
– Un de mes amis, monsieur Baldwin. Un nouveau pensionnaire. Monsieur McMurdo, puis-je vous présenter à M. Baldwin?
Les deux jeunes gens échangèrent un signe de tête bourru.
– Mlle Ettie vous a peut-être mis au courant de nos relations? dit Baldwin.
– Je n'ai pas compris qu'une relation quelconque existait entre vous.
– Ah! oui? Hé bien! vous allez le comprendre, et vite! Vous pouvez m'en croire: cette jeune personne est à moi, et vous trouverez la soirée très agréable pour une promenade.
– Merci. Je ne suis pas d'humeur à me promener.
– Tiens, tiens!…
Les yeux de M. Baldwin s'embrasèrent de fureur.
– … Vous seriez plutôt d'humeur à vous battre, peut-être, monsieur le pensionnaire?
– Vous l'avez deviné! cria McMurdo en sautant sur ses pieds. vous n'avez jamais dit une parole plus juste.
– Oh! pour l'amour de Dieu, Jack! s'écria la pauvre Ettie bouleversée. Oh! Jack, Jack, il va vous faire du mal!
– Oh! on l'appelle déjà Jack, paraît-il? dit Baldwin. En seriez-vous si tôt arrivés là?
– Oh! Ted, soyez raisonnable! Soyez bon! Pour l'amour de moi, Ted, si jamais vous m'avez aimée, soyez généreux et pardonnez-lui!