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Socrates dit, que les jeunes se doivent faire instruire; les hommes s'exercer à bien faire: les vieux se retirer de toute occupation civile et militaire, vivants à leur discretion, sans obligation à certain office.

Il y a des complexions plus propres à ces preceptes de la retraite les unes que les autres. Celles qui ont l'apprehension molle et lasche, et un'affection et volonté delicate, et qui ne s'asservit et ne s'employe pas aysément, desquels je suis, et par naturelle condition et par discours, ils se plieront mieux à ce conseil, que les ames actives et occupées, qui embrassent tout, et s'engagent par tout, qui se passionnent de toutes choses: qui s'offrent, qui se presentent, et qui se donnent à toutes occasions. Il se faut servir de ces commoditez accidentales et hors de nous, en tant qu'elles nous sont plaisantes; mais sans en faire nostre principal fondement: Ce ne l'est pas; ny la raison, ny la nature ne le veulent: Pourquoy contre ses loix asservirons nous nostre contentement à la puissance d'autruy? D'anticiper aussi les accidens de fortune, se priver des commoditez qui nous sont en main, comme plusieurs ont faict par devotion, et quelques Philosophes par discours, se servir soy-mesmes, coucher sur la dure, se crever les yeux, jetter ses richesses emmy la riviere, rechercher la douleur (ceux-là pour par le tourment de cette vie, en acquerir la beatitude d'une autre: ceux-cy pour s'estans logez en la plus basse marche, se mettre en seureté de nouvelle cheute) c'est l'action d'une vertu excessive. Les natures plus roides et plus fortes facent leur cachette mesmes, glorieuse et exemplaire.

tuta et parvula laudo,

Cum res deficiunt, satis inter vilia fortis:

Verum ubi quid melius contingit et unctius, idem

Hos sapere, et solos aio bene vivere, quorum

Conspicitur nitidis fundata pecunia villis.

Il y a pour moy assez affaire sans aller si avant. Il me suffit souz la faveur de la fortune, me preparer à sa défaveur; et me representer estant à mon aise, le mal advenir, autant que l'imagination y peut attaindre: tout ainsi que nous nous accoustumons aux jouxtes et tournois, et contrefaisons la guerre en pleine paix.

Je n'estime point Arcesilaus le Philosophe moins reformé, pour le sçavoir avoir usé d'utensiles d'or et d'argent, selon que la condition de sa fortune le luy permettoit: et l'estime mieux, que s'il s'en fust demis, de ce qu'il en usoit moderément et liberalement.

Je voy jusques à quels limites va la necessité naturelle: et considerant le pauvre mendiant à ma porte, souvent plus enjoué et plus sain que moy, je me plante en sa place: j'essaye de chausser mon ame à son biaiz. Et courant ainsi par les autres exemples, quoy que je pense la mort, la pauvreté, le mespris, et la maladie à mes talons, je me resous aisément de n'entrer en effroy, de ce qu'un moindre que moy prend avec telle patience: Et ne veux croire que la bassesse de l'entendement, puisse plus que la vigueur, ou que les effects du discours, ne puissent arriver aux effects de l'accoustumance. Et cognoissant combien ces commoditez accessoires tiennent à peu, je ne laisse pas en pleine jouyssance, de supplier Dieu pour ma souveraine requeste, qu'il me rende content de moy-mesme, et des biens qui naissent de moy. Je voy des jeunes hommes gaillards, qui portent nonobstant dans leurs coffres une masse de pillules, pour s'en servir quand le rhume les pressera; lequel ils craignent d'autant moins, qu'ils en pensent avoir le remede en main. Ainsi faut il faire: Et encore si on se sent subject à quelque maladie plus forte, se garnir de ces medicamens qui assoupissent et endorment la partie.

L'occupation qu'il faut choisir à une telle vie, ce doit estre une occupation non penible ny ennuyeuse; autrement pour neant ferions nous estat d'y estre venuz chercher le sejour. Cela depend du goust particulier d'un chacun: Le mien ne s'accommode aucunement au ménage. Ceux qui l'aiment, ils s'y doivent addonner avec moderation,

Conentur sibi res, non se submittere rebus.

C'est autrement un office servile que la mesnagerie, comme le nomme Saluste: Elle a des parties plus excusables, comme le soing des jardinages que Xenophon attribue à Cyrus: Et se peut trouver un moyen, entre ce bas et vil soing, tendu et plein de solicitude, qu'on voit aux hommes qui s'y plongent du tout; et cette profonde et extreme nonchalance laissant tout aller à l'abandon, qu'on voit en d'autres:

Democriti pecus edit agellos

Cultaque, dum peregre est animus sine corpore velox.

Mais oyons le conseil que donne le jeune Pline à Cornelius Rufus son amy, sur ce propos de la solitude: Je te conseille en cette pleine et grasse retraicte, où tu es, de quitter à tes gens ce bas et abject soing du mesnage, et t'addonner à l'estude des lettres, pour en tirer quelque chose qui soit toute tienne. Il entend la reputation: d'une pareille humeur à celle de Cicero, qui dit vouloir employer sa solitude et sejour des affaires publiques, à s'en acquerir par ses escrits une vie immortelle.

usque adeo ne

Scire tuum nihil est, nisi te scire hoc sciat alter?

Il semble, que ce soit raison, puis qu'on parle de se retirer du monde, qu'on regarde hors de luy. Ceux-cy ne le font qu'à demy. Ils dressent bien leur partie, pour quand ils n'y seront plus: mais le fruit de leur dessein, ils pretendent le tirer encore lors, du monde, absens, par une ridicule contradiction. L'imagination de ceux qui par devotion, cerchent la solitude; remplissants leur courage, de la certitude des promesses divines, en l'autre vie, est bien plus sainement assortie. Ils se proposent Dieu, object infini en bonté et en puissance. L'ame a dequoy y rassasier ses desirs, en toute liberté. Les afflictions, les douleurs, leur viennent à profit, employées à l'acquest d'une santé et resjouyssance eternelle. La mort, à souhait: passage à un si parfaict estat. L'aspreté de leurs regles est incontinent applanie par l'accoustumance: et les appetits charnels, rebutez et endormis par leur refus: car rien ne les entretient que l'usage et l'exercice. Cette seule fin, d'une autre vie heureusement immortelle, merite loyalement que nous abandonnions les commoditez et douceurs de cette vie nostre. Et qui peut embraser son ame de l'ardeur de cette vive foy et esperance, reellement et constamment, il se bastit en la solitude, une vie voluptueuse et delicieuse, au delà de toute autre sorte de vie.

Ny la fin donc ny le moyen de ce conseil ne me contente: nous retombons tousjours de fievre en chaud mal. Cette occupation des livres, est aussi penible que toute autre; et autant ennemie de la santé, qui doit estre principalement considerée. Et ne se faut point laisser endormir au plaisir qu'on y prend: c'est ce mesme plaisir qui perd le mesnager, l'avaricieux, le voluptueux, et l'ambitieux. Les sages nous apprennent assez, à nous garder de la trahison de noz appetits; et à discerner les vrays plaisirs et entiers, des plaisirs meslez et bigarrez de plus de peine. Car la pluspart des plaisirs, disent ils, nous chatouillent et embrassent pour nous estrangler, comme faisoyent les larrons que les Ægyptiens appelloyent Philistas: et si la douleur de teste nous venoit avant l'yvresse, nous nous garderions de trop boire; mais la volupté, pour nous tromper, marche devant, et nous cache sa suitte. Les livres sont plaisans: mais si de leur frequentation nous en perdons en fin la gayeté et la santé, nos meilleures pieces, quittons les: Je suis de ceux qui pensent leur fruit ne pouvoir contrepeser cette perte. Comme les hommes qui se sentent de long temps affoiblis par quelque indisposition, se rengent à la fin à la mercy de la medecine; et se font desseigner par art certaines regles de vivre, pour ne les plus outrepasser: aussi celuy qui se retire ennuié et desgousté de la vie commune, doit former cette-cy, aux regles de la raison; l'ordonner et renger par premeditation et discours. Il doit avoir prins congé de toute espece de travail, quelque visage qu'il porte; et fuïr en general les passions, qui empeschent la tranquillité du corps et de l'ame; et choisir la route qui est plus selon son humeur:

Unusquisque sua noverit ire via.

Au mesnage, à l'estude, à la chasse, et tout autre exercice, il faut donner jusques aux derniers limites du plaisir; et garder de s'engager plus avant, ou la peine commence à se mesler parmy. Il faut reserver d'embesoignement et d'occupation, autant seulement, qu'il en est besoing, pour nous tenir en haleine, et pour nous garantir des incommoditez que tire apres soy l'autre extremité d'une lasche oysiveté et assoupie. Il y a des sciences steriles et épineuses, et la plus part forgées pour la presse: il les faut laisser à ceux qui sont au service du monde. Je n'ayme pour moy, que des livres ou plaisans et faciles; qui me chatouillent; ou ceux qui me consolent, et conseillent à regler ma vie et ma mort.

tacitum sylvas inter reptare salubres,

Curantem quidquid dignum sapiente bonóque est.

Les gens plus sages peuvent se forger un repos tout spirituel, ayant l'ame forte et vigoureuse: Moy qui l'ay commune, il faut que j'ayde à me soustenir par les commoditez corporelles: Et l'aage m'ayant tantost desrobé celles qui estoient plus à ma fantasie, j'instruis et aiguise mon appetit à celles qui restent plus sortables à cette autre saison. Il faut retenir à tout nos dents et nos griffes, l'usage des plaisirs de la vie, que nos ans nous arrachent des poings, les uns apres les autres:

carpamus dulcia, nostrum est

Quod vivis, cinis et manes et fabula fies.

Or quant à la fin que Pline et Cicero nous proposent, de la gloire, c'est bien loing de mon conte: La plus contraire humeur à la retraicte, c'est l'ambition: La gloire et le repos sont choses qui ne peuvent loger en mesme giste: à ce que je voy, ceux-cy n'ont que les bras et les jambes hors de la presse; leur ame, leur intention y demeure engagée plus que jamais.

Tun' vetule auriculis alienis colligis escas?

Ils se sont seulement reculez pour mieux sauter, et pour d'un plus fort mouvement faire une plus vive faucée dans la trouppe. Vous plaist-il voir comme ils tirent court d'un grain? Mettons au contrepoix, l'advis de deux philosophes; et de deux sectes tres-differentes, escrivans l'un à Idomeneus, l'autre à Lucilius leurs amis, pour du maniement des affaires et des grandeurs, les retirer à la solitude. Vous avez (disent-ils) vescu nageant et flottant jusques à present, venez vous en mourir au port: Vous avez donné le reste de vostre vie à la lumiere, donnez cecy à l'ombre: Il est impossible de quitter les occupations, si vous n'en quittez le fruit; à cette cause desfaictes vous de tout soing de nom et de gloire. Il est danger que la lueur de voz actions passées, ne vous esclaire que trop, et vous suive jusques dans vostre taniere: Quittez avecq les autres voluptez, celle qui vient de l'approbation d'autruy: Et quant à vostre science et suffisance, ne vous chaille, elle ne perdra pas son effect, si vous en valez mieux vous mesme. Souvienne vous de celuy, à qui comme on demandast, à quoy faire il se pénoit si fort en un art, qui ne pouvoit venir à la cognoissance de guere de gens: J'en ay assez de peu, respondit-il, j'en ay assez d'un, j'en ay assez de pas un. Il disoit vray: vous et un compagnon estes assez suffisant theatre l'un à l'autre, ou vous à vous-mesmes. Que le peuple vous soit un, et un vous soit tout le peuple: C'est une lache ambition de vouloir tirer gloire de son oysiveté, et de sa cachette: Il faut faire comme les animaux, qui effacent la trace, à la porte de leur taniere. Ce n'est plus ce qu'il vous faut chercher, que le monde parle de vous, mais comme il faut que vous parliez à vous-mesmes: Retirez vous en vous, mais preparez vous premierement de vous y recevoir: ce seroit folie de vous fier à vous mesmes, si vous ne vous sçavez gouverner. Il y a moyen de faillir en la solitude, comme en la compagnie: jusques à ce que vous vous soyez rendu tel, devant qui vous n'osiez clocher, et jusques à ce que vous ayez honte et respect de vous mesmes, obversentur species honestæ animo : presentez vous tousjours en l'imagination Caton, Phocion, et Aristides, en la presence desquels les fols mesme cacheroient leurs fautes, et establissez les contrerolleurs de toutes vos intentions: Si elles se detraquent, leur reverence vous remettra en train: ils vous contiendront en cette voye, de vous contenter de vous mesmes, de n'emprunter rien que de vous, d'arrester et fermir vostre ame en certaines et limitées cogitations, où elle se puisse plaire: et ayant entendu les vrays biens, desquels on jouyt à mesure qu'on les entend, s'en contenter, sans desir de prolongement de vie ny de nom. Voyla le conseil de la vraye et naifve philosophie, non d'une philosophie ostentatrice et parliere, comme est celle des deux premiers.

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