Ses expressions révélaient une cruauté si satanique et il avait l’air si sûr de son affaire que le sang se figea dans mes veines. Il devait avoir entre les mains une arme que je ne soupçonnais pas et que Charousek ignorait aussi. Je sentis le sol se dérober sous mes pieds.
«La lime! La lime!» Ce fut comme un chuchotis dans mon cerveau. Je mesurai la distance du regard: un pas jusqu’à la table, deux pas jusqu’à Wassertrum, je voulus bondir… et soudain Hillel apparut sur le seuil, comme jailli du sol. La pièce s’estompa devant mes yeux. Je voyais seulement, à travers un brouillard, qu’Hillel demeurait immobile, tandis que Wassertrum reculait pas à pas jusqu’au mur. Puis j’entendis Hillel dire:
– Vous connaissez cependant le dicton, Aaron: tout Juif est le gardien des autres? Ne nous rendez la tâche trop difficile.
Il ajouta quelques mots hébreux que je ne compris pas.
– Qu’est-ce que vous aviez besoin d’espionner à la porte? bredouilla le brocanteur, les lèvres tremblantes.
– Que j’aie écouté ou non, cela ne vous regarde pas.
Et de nouveau Hillel conclut avec une phrase en hébreu qui, cette fois, sonnait comme une menace.
Je m’attendais à l’explosion d’une querelle violente, mais Wassertrum ne répondit pas une syllabe; il réfléchit un instant, puis s’en alla, l’air insolent.
Très excité, je me tournai vers Hillel, mais il me fit signe de me taire. De toute évidence, il attendait quelque chose, car il écoutait avec une extrême attention les bruits de l’escalier. Je voulus fermer la porte, mais il me retint d’un mouvement de main impatient.
Une minute au moins s’écoula, puis le pas traînant du brocanteur se fit de nouveau entendre, gravissant les marches. Sans dire un mot, Hillel sortit et lui céda le passage. Wassertrum attendit qu’il fût hors de portée de la voix, puis gronda sourdement:
– Rendez-moi ma montre.