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«Pour un monde plus sain », a grommelé Edgar en me voyant. Il a fait appeler un docteur qui m'a demandé si je m'étais promenée du côté de Goliath, je ne savais même pas ce que c'était. C'était la nouvelle centrale nucléaire qu'avait fait construire Edgar. J'ai seulement dit que j'avais travaillé dans une parfumerie et Edgar a demandé si les produits chimiques, peut-être… Ça avait l'air de l'intéresser, Edgar. Le docteur a dit que peut-être, mais à très haute dose, que rien n'était sûr, et qu'en tout cas ça restait hors de prix. Edgar a dit que ce serait tout de même marrant si on pouvait transformer les prisons en porcheries, qu'au moins ça fournirait des protéines pas chères. Le docteur s'est mis à rigoler avec Edgar. Moi je n'ai jamais rien compris à la politique. Tout ce que je sais c'est que j'étais bien contente d'être aux mains d'un docteur qui paraissait compétent, au prix où c'est. Edgar a sonné à un interphone et devinez qui j'ai vu apparaître, le directeur de la parfumerie. Il avait un beau képi noir et il était devenu encore plus gros qu'avant. Malheureusement il ne m'a pas reconnue. Il y a dû y avoir un gros malentendu parce qu'il m'a emmenée dans une prison très froide où j'entendais toutes les nuits des hurlements qui m'empêchaient de dormir. Ça sentait moche là-dedans. Moi j'ai recommencé à ne plus pouvoir me lever et à pousser des cris du ventre, c'était plus fort que moi. Le pire c'est que de toute la journée je ne voyais pas le soleil. Au bout de très longtemps, je ne saurais pas dire, on est venu me chercher. Edgar en personne, avec tous ses gorilles. Ils avaient l'air un peu ivres ou je ne sais quoi. Il y avait aussi certains des molosses de l'Aqualand et ils m'ont fait fête, ça m'a un peu réchauffé le cœur. Les gorilles m'ont mis un licol et ils m'ont traînée vers les hauteurs du Palais, Edgar chantait des chansons cochonnes assez gratinées, sacré Edgar. Moi je ne pouvais plus du tout marcher, c'était la faim sans doute. On est arrivés dans une grande salle tout illuminée avec des gens qui dansaient. Il y avait des lustres au plafond et des tentures dans le genre de ce qu'on fait maintenant, moi je n'avais d'yeux que pour les buffets et les grosses soupières fumantes. Tout le monde a poussé de grands cris en me voyant, tous les gens se sont arrêtés de danser pour m'entourer. Ça sentait bon le Yerling, les gens étaient très élégants et très bien habillés. Il y avait des dames en Loup-Y-Es-Tu qui disaient qu'Edgar avait toujours des idées sublimes pour ses fêtes et qui se renversaient en arrière en poussant de grands soupirs. Un monsieur a mis une jeune fille à califourchon sur moi et il a fallu, faible comme j'étais, que je me tape toute la salle en long en large et en travers avec la jeune fille morte de rire sur mon dos. Tout le monde applaudissait, c'était la première fois que j'étais la reine d'une fête mais j'aurais bien mangé un bout, moi. Heureusement, la jeune fille était tellement saoule qu'elle a fini par vomir sur le parquet, ballottée comme elle était, et j'ai pu manger un peu; enfin vous comprenez. Alors là c'a été le délire, on n'entendait plus l'orchestre tellement les gens riaient, et ils ont commencé à m'envoyer des bouts de cerf rôti, des tranches de girafe, des pots entiers de caviar, des gâteaux au sirop d'érable, des fruits d'Afrique, et des truffes surtout, les truffes c'est bon. Quelle fête! Il fallait que je me mette sur mes pattes arrière et que je tende le cou et que je fasse pas mal d'efforts pour arriver à me nourrir, mais c'était la règle du jeu. On s'amusait beaucoup. Le Champagne qu'on me faisait boire me tournait un peu la tête et m'a rendue sentimentale, j'en ai pleuré de reconnaissance pour tous ces gens qui me donnaient à manger. Une dame avec une très belle robe en lazuré de chez Gilda m'a entourée de ses bras et m'a embrassée sur les deux joues, elle sanglotait et me tenait des propos incohérents, j'aurais bien aimé comprendre. On se vautrait par terre toutes les deux et elle avait l'air de m'aimer beaucoup. J'ai redoublé de larmes tellement la situation m'émouvait, ça faisait longtemps qu'on ne m'avait pas donné de telles preuves d'affection. La dame a dit en bégayant: «Mais elle pleure! mais elle pleure! » Alors les gens ont fait une ronde autour de moi, l'orchestre jouait la danse des canards ou un vieux truc rétro dans ce genre. On peut dire que ces gens très chic savent faire la fête. Il y avait maintenant du caviar et des œufs mignonnettes écrasés partout par terre, les gens dérapaient en valsant. Edgar avait fait déshabiller une fille et voulait absolument que je lui renifle le derrière, Edgar a toujours été un joyeux drille. Et puis tout a coup l'orchestre s'est arrêté de jouer et un gorille a touché le bras d'Edgar. Edgar s'est relevé comme il a pu, il a retrouvé soudain beaucoup de dignité, et il' a dit: «Mes chers amis, il est minuit. » Alors tout le monde a poussé des hurlements et je me suis demandé si c'était l'heure de la fin du monde ou quoi ; mais ils se sont tous tombés dans les bras, ils se sont tous embrassés, et moi-même je me suis retrouvée avec du rouge à lèvres partout, du Yerling et du Gilda et aussi du Loup-Y-Es-Tu, ça se voyait qu'on n'était pas n'importe où. On a entendu les douze énormes coups de la cathédrale qu'avait fait bâtir Edgar à la place de l'Arc de Triomphe. Ensuite c'a été de nouveau les bouchons de Champagne qui ont sauté. Moi je n'en pouvais plus du Champagne, je commençais à être malade après cette longue période de privations en prison. Je glissais sur le parquet ciré tout limoneux, je me cassais la gueule et je me rabotais les mamelles; les gens riaient mais je n'étais plus le centre de la fête, on sentait qu'ils se lassaient. Edgar a amené le deuxième clou du spectacle. Là je me suis dit que pour une fois ça ne tombait pas sur moi ; j'étais bien contente d'être aussi peu sexy en ce moment, j'étais tellement fatiguée que je n'aurais été bonne à rien. La très jolie jeune fille qu'avait amenée Edgar couinait et se débattait. Elle n'a pas tenu le choc longtemps, gamine comme elle était. Quand ils ont tous eu fini de s'amuser, elle s'est mise à errer à quatre pattes dans la salle les yeux complètement révulsés, un coup de fatigue sans doute, le manque d'habitude. Connaissant Edgar je savais qu'elle ne repartirait pas les mains vides, j'ai voulu aller la consoler mais décidément aucun son articulé ne voulait sortir de ma bouche. Un des gorilles a entraîné la gosse dans une salle à côté, je l'ai vu se distraire un peu et puis lui mettre une balle dans la tête. Ça m'a déçu de lui. Heureusement qu'Edgar n'a pas vu ça sinon ça aurait bardé pour le gorille. D'autres jeunes filles et même des jeunes garçons ont été amenés pour faire la fête avec nous. Le parquet qui glissait terriblement s'est mis à coller avec tout ce sang, au moins j'ai pu reprendre un peu l'équilibre. J'ai eu pitié des jeunes garçons, eux n'ont pas tellement l'habitude, et je me suis mise à rogner les liens de l'un d'entre eux qu'on avait laissé là en plan, on ne s'occupait plus du tout de lui et il hurlait avec quelque chose qui le brûlait dans le derrière ou je ne sais quoi. J'aurais mieux fait de m'abstenir. Vous ne me croirez pas mais un type m'a remarquée à côté du jeune homme et s'est mis à me faire des trucs pendables. Je voulais lui faire comprendre qu'il se trompait, que je n'étais pas du tout celle qu'il croyait – mais rien à faire. Comme j'étais rétive j'ai pris des coups de fouet, mais il pouvait y aller, j'avais la peau dure maintenant. Au moment où tout le monde avait l'air de s'amuser le plus, l'orchestre s'est de nouveau arrêté de jouer. J'ai vu entrer mon marabout, tout bien habillé de blanc, à nouveau dans ses vêtements de sauvage mais la peau très claire. De près on voyait tout de même que les produits blanchissants de chez Loup-Y-Es-Tu ce n'était pas encore tout à fait au point, il avait la peau toute bousillée. Le marabout a dit: «Repentez-vous mes frères », et il a promené une sorte de grosse spirale en or sur toute l'assistance. Tout le monde est tombé à plat ventre sur le sol, des femmes se sont traînées vers le marabout pour embrasser le bas de sa robe et d'autres personnes étaient agitées de tremblements. C'aurait été d'un bel effet, très touchant, si le silence avait vraiment été complet comme dans les cathédrales ; mais j'avais le ventre qui gargouillait de toute cette nourriture, c'était gênant, je serais bien rentrée sous terre. Heureusement pour moi il y avait une jeune fille pendue par les cheveux à un lustre et qui faisait encore plus de bruit, tout son intérieur dégoulinait par terre boyaux et tout, on s'était bien amusé avec elle. Le marabout dans sa grande bonté est venu décrocher la jeune fille et bénir les quelques autres qui traînaient par terre, il a fait un geste pour qu'on range tout ça et il a dit: «Rentrez chez vous maintenant mes frères, et recueillez-vous pour ce troisième millénaire à venir, et priez pour que l'esprit de la Spirale inspire bienheureusement notre chef béni. » J'ai vu Edgar se baisser et embrasser le bas de la robe du marabout, et prendre à bout de bras l'énorme spirale dorée pour la lever au-dessus de la foule. Ensuite Edgar a renvoyé d'un geste tous ces gens prosternés en tenue de soirée. Le marabout avait fait bien du chemin depuis la parfumerie. Il est vrai qu'à l'époque, dans son loft des quartiers africains, il accueillait déjà les plus hautes responsabilités politiques. Des femmes de ménage à l'air tout ensommeillé sont venues avec des balais et des seaux. J'entendais le marabout discuter avec Edgar à propos d'une cérémonie à la cathédrale, ce pauvre Edgar n'allait pas beaucoup dormir. Le jour se levait, ça faisait de beaux reflets sur les dorures et le parquet, moi ça me bouleversait de contempler le soleil. Une femme de ménage m'a trouvée sous une tenture et elle a dit: «Et qu'est-ce qu'on fait de ça, Monsieur Edgar? » Edgar, qui a toujours beaucoup aimé le peuple, a cru bon de répondre: «C'est mon cadeau de bonne année pour les employés du Palais. » J'ai vu le visage de la bonne femme s'illuminer, il faut dire qu'elle n'avait que la peau sur les os. «Oh merci, merci Monsieur Edgar » elle a dit. Moi j'étais prête à vendre chèrement ma peau, non mais, pour qui me prenait-on. Je me suis mise à grogner d'un air féroce et j'ai vu le marabout regarder dans ma direction. «Mais Edgar, il a dit en riant, où avez-vous bien pu trouver un cochon par les temps qui courent? » «Vous savez, a répondu Edgar, j'ai des relations partout. » Ils se sont mis à rire tous les deux. «Trêve de plaisanterie », a chuchoté Edgar – mais moi j'avais l'oreille fine – «c'est un cas assez intéressant, peut-être un effet de Goliath, ou alors un cocktail de saloperies diverses, je devrais faire étudier ça par mes scientifiques. Vous vous rendez compte des possibilités, à long terme? » Edgar s'est remis à rire, mais le marabout avait l'air grave tout à coup. «J'ai déjà vu des sortilèges de ce genre, dans mon pays », il a dit. «Restez sérieux, a dit Edgar, on ne va pas remettre ça, la spirale c'est le Tamestat du peuple. » Et il a recommencé a rigoler. «Ça n'a rien à voir avec la spirale », a dit le marabout très sérieusement. Il s'est approché de moi et m'a gentiment flatté la couenne. «Ça va, cocotte? » il m'a demandé à voix haute. J'ai compris qu'il m'avait reconnue, ça m'a fait terriblement chaud au cœur. «Je vous présenterai un jour le patron de chez Loup-Y- Es-Tu » a continué le marabout pour Edgar, «préparez-vous à avoir une surprise ». «J'ai horreur des surprises », a dit Edgar d'un air las, «mais j'aime bien qu'on m'étonne ; si vous y arrivez je vous ferai nommer commandeur des croyants à la place de cet imbécile de Marchepiède, mais laissez-moi ce cochon, il m'amuse. » Alors figurez-vous que ces deux hauts dignitaires se sont mis à me flatter en même temps le garrot, le marabout promettait de l'excellent boudin des Antilles à Edgar, Edgar promettait au marabout ce truc de commander les croyants, mais aucun des deux ne voulait me lâcher. J'étais extrêmement flattée. «Je vous le rendrai-» a fini par dire le marabout, et il a fait un truc à Edgar, je ne sais pas, avec sa main, Edgar est devenu tout chose et il m'a lâché la queue. Je suis partie toute fière avec le marabout, des deux c'était quand même celui que je préférais. «Je t'avais dit de venir me voir plus tôt » m'a dit le marabout à l'arrière de sa voiture avec chauffeur, «regarde dans quel état tu es maintenant ». C'est vrai que j'avais un peu honte. On est arrivés chez lui, il avait pris un loft plus grand dans le quartier des affaires, et il m'a mise dans une chambre pour moi toute seule, à l'étage, en me recommandant de ne pas faire caca partout. Tous les jours ensuite le marabout s'est appliqué à me concocter des onguents, à me masser partout, à me faire boire des trucs. Il a fait tuer le dernier rhinocéros d'Afrique pour moi, pour avoir de la poudre de corne; rendez-vous compte, au prix où c'est. Je devenais verte, bleue, le marabout n'était jamais content, ma queue en tire-bouchon s'atrophiait peu à peu mais les oreilles, le groin, ça résistait bien. Moi je me laissais faire, nourrie, logée, chouchoutée, que voulez-vous de plus. Je me suis mise à dévorer tous les livres du marabout mais ils étaient vraiment trop effrayants, ça parlait de zombies, d'hommes transformés en bêtes sauvages, de mystères inexpliqués sous les Tropiques, il s'en passe de ces choses dans ces pays-là. Ça doit être le climat. En tout cas le marabout ça le faisait beaucoup rigoler de me voir bouquiner, on est devenus de plus en plus copains. Un truc de bien, c'est que peu à peu j'ai retrouvé l'usage de la parole, et on a pu papoter tous les deux. J'allais pour ainsi dire mieux, mes cheveux repoussaient, je pouvais presque marcher debout, j'avais à nouveau cinq doigts aux pattes de devant. Il n'y avait que l'amie du marabout qui était un peu jalouse, elle disait au marabout qu'il allait avoir des problèmes avec la SPA à conserver comme ça un animal chez lui. L'amie du marabout c'était cette dame assez âgée qui était l'ancienne copine de ma cliente assassinée, la dame qui pleurait toujours au square si vous me suivez. La dame s'était bien vite consolée avec ce nègre de marabout, et un homme en plus, décidément les gens ont des mœurs bien changeantes. L'amie du marabout disait au marabout que la SPA était très influente de nos jours, paraît-il qu'une ancienne actrice copine avec Edgar avait obtenu le Secrétariat aux Bonnes Mœurs du Ministère de l'Intérieur, et elle rigolait pas, l'actrice. «Pendant ce temps, disait la dame d'un air navré, les défenseurs des droits de l'homme sont en prison. » Le marabout lui chuchotait de ne pas dire ça si fort, il regardait autour de lui d'un air inquiet. «De toute façon, disait le marabout d'une voix perçante, notre cher Edgar a trouvé un moyen radical pour se débarrasser de la chienlit. » Et il me regardait d'un air comme qui dirait préoccupé, moi ça me faisait chaud au cœur qu'il s'inquiète pour moi comme ça. Le marabout travaillait d'arrache-pied pour trouver un antidote. Il était persuadé que j'avais quelque chose de pas normal, moi à force, j'étais inquiète. Et puis tous ces produits qu'il me faisait ingurgiter, ce n'était sans doute pas bon pour la santé. Le marabout répétait qu'il arriverait à quelque chose, qu'il trouverait, qu'il comprendrait, ou qu'en désespoir de cause il savait à qui m'adresser. Mais la dame voulait absolument se débarrasser de moi, et tout de suite. Il faut dire que depuis que je me tenais debout et que je parlais et tout ça, le marabout et moi, on avait recommencé à fricoter ensemble. Le marabout disait à la dame que j'étais un être exception nel, rendez-vous compte un peu. Hélas cette période heureuse n'a pas duré, je n'ai jamais eu de chance dans la vie. Un commando de la SPA a débarqué un matin dans le loft, le marabout et sa dame ont été arrêtés. C'est Marchepiède qui est devenu commandeur des croyants. Je le sais, parce que c'est lui qui s'est occupé de moi ensuite. Marchepiède, je ne risque rien à vous le dire maintenant, c'est le fou furieux du jour de l'avortement, le type que j'ai sorti de l'asile et tout, vous voyez un peu par qui on est gouvernés. Edgar n'avait plus trop l'air d'avoir son mot à dire, je crois que Marchepiède n'avalait pas le coup d'avoir préféré un nègre pour la direction de la cathédrale ou je ne sais quoi. Il n'y avait plus beaucoup de nègres dans les rues, en tout cas je ne savais pas ce qu'était devenu le marabout. Marchepiède a tout essayé avec moi, il se disait sceptique. Edgar avait beau lui assurer que je n'étais pas celle que j'avais l'air d'être, Marchepiède ne voulait pas le croire. Il disait que ce n'était pas Dieu possible. J'en ai subi, des séances d'exorcisme. On me tapait dessus avec des spirales et des croix, la cathédrale était réservée rien que pour ma poire, on est même passé aux fouets et à bien d'autres choses encore, jusque dans les moments où j'avais meilleure allure. Je sortais de ces séances complètement moulue. A force qu'Edgar répète sans arrêt son histoire il a déplu, je crois que c'est pour ça que Marchepiède l'a fait interner, vous vous souvenez, on en a beaucoup parlé de la maladie mentale d'Edgar. Il paraît qu'il hennissait et qu'il ne mangeait plus que de l'herbe, à quatre pattes. Pauvre Edgar. Bon, après, vous connaissez la suite. La guerre a éclaté et tout ça, il y a eu l'Epidémie, et puis la série de famines. Je m'étais cachée dans la crypte de la cathédrale pendant tout ce temps, vous pensez, si on m'avait trouvée. Au marché noir j'aurais bien fait mes cinq mille euros du kilo, je dis ça sans prétention. Quand je suis ressortie tout le monde m'avait oubliée, en tout cas je ne sais pas ce que sont devenus Marchepiède et les autres, je ne lis plus les journaux depuis longtemps. Tout était à nouveau plus calme, ça se sentait dans les rues. Je ne savais pas où aller. La seule adresse dont je me souvenais, à part celle d'Honoré – mais vous m'imaginez, retourner chez Honoré? – c'était celle du marabout. Je suis allée sonner. Eh bien vous ne me croirez pas, il était là, et la dame aussi. Ils avaient pris un sacré coup de vieux tous les deux. Le marabout, il avait comme qui dirait des excroissances blanchâtres sur la peau, des tumeurs qui lui donnaient l'air d'un vieil éléphant. C'est dans leurs yeux que j'ai vu que j'avais à nouveau bonne allure maintenant, c'était sans doute cette longue période de calme dans la crypte. Ils m'ont vue arriver comme si je revenais de par-delà les morts. Le marabout m'a serrée dans ses bras mais il m'a suppliée de les laisser en paix maintenant, que lui ne pouvait plus rien pour moi. Il m'a donné une adresse où aller. C'était celle du directeur de chez Loup-Y-Es-Tu.

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