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– J’ai tué trois de vos amis.

– Vous avez pénétré jusqu’au cachot?

– Oui.

– Et le roi?

– Il a été blessé par Detchard avant que j’aie eu le temps de tuer le misérable, mais j’espère qu’il vit?

– Imbécile! fit Rupert gaiement.

– J’ai fait autre chose encore.

– Quoi donc?

– Je t’ai épargné. J’aurais pu te tuer comme un chien; j’étais derrière toi sur le pont, un revolver à la main, quand Antoinette t’a manqué.

– Ah! bah! Mais alors, j’étais entre deux feux.

– Allons, mets pied à terre maintenant, et bats-toi comme un homme.

– Devant une femme, fit-il en montrant la jeune fille. Fi! Votre Majesté n’y pense pas!»

Fou de rage, ne sachant plus ce que je faisais, je m’élançai sur lui. Un moment, il hésita. Serrant les brides, il attendit mon attaque. Je lui courus sus comme un fou; je saisis les rênes et le frappai. Il para le coup et riposta. Alors je reculai pour prendre un nouvel élan; cette fois je l’atteignis au visage, et lui fis une large blessure à la joue, me dérobant avant qu’il eût pu m’atteindre à son tour.

La violence de mon attaque l’avait surpris, troublé; sans cela, il est certain qu’il m’eût tué. J’étais tombé sur les genoux, à bout de force; je pensais qu’il allait m’achever.

Il n’eût pas hésité sans doute, et c’en était fait de moi – et de lui peut-être – lorsqu’à ce moment précis nous entendîmes de grands cris derrière nous, et nous vîmes au bout de l’avenue un cavalier qui arrivait à fond de train. Il avait un revolver à la main. C’était Fritz von Tarlenheim, mon fidèle ami. Rupert le reconnut, et, retenant son cheval prêt à s’élancer sur moi, il lui fit faire volte-face: il se penchait en avant, rejetant ses cheveux d’un geste hautain; il sourit, en me criant:

«Au revoir, Rodolphe Rassendyll!»

Et, la joue ruisselante de sang, mais la lèvre souriante, Rupert me salua: il salua aussi la paysanne qui s’était approchée en tremblant de tous ses membres et il partit au galop en faisant de la main un geste d’adieu à Fritz, qui répondit par un coup de feu.

La balle fut bien près de faire son œuvre; elle alla frapper l’épée qu’il tenait à la main, et qu’il lâcha en poussant un juron.

Je le suivis longtemps des yeux, le long de l’avenue verte; il s’en allait tranquille, en chantant. Bientôt les profondeurs de la forêt l’enveloppèrent et nous le perdîmes de vue. Il avait disparu, indifférent et circonspect, gracieux et pervers, beau, couard, vil et indompté.

D’un geste de rage, je jetai mon épée loin de moi, faisant à Fritz signe de le suivre. Mais Fritz arrêta son cheval, sauta à terre, courut à moi, s’agenouilla et me prit dans ses bras. Il était temps: ma blessure s’était rouverte, et mon sang coulait de nouveau abondamment, rougissant l’herbe fraîche.

«Donne-moi ton cheval», fis-je en me redressant et en me dégageant.

Une rage folle me prêtait des forces. Je fis encore quelques pas, puis je tombais vaincu, le visage contre terre. Fritz courut à moi.

«Fritz, murmurai-je…

– Ami, cher ami, disait-il.

– Et le roi? Vit-il?»

Il prit son mouchoir, essuya mes lèvres, se pencha et me baisa au front.

«Oui, grâce au dévouement du plus loyal gentilhomme qu’il y ait en ce monde, dit-il doucement, le roi est vivant.»

La petite paysanne était près de nous, pleurant de frayeur et les yeux écarquillés d’admiration, car elle m’avait vu à Zenda; et tel que j’étais, pâle, mouillé, couvert de boue, ensanglanté, n’étais-je pas le roi?

À la nouvelle que le roi était vivant, j’essayai de pousser un hourra, mais mes forces me trahirent.

J’étais sans voix; j’appuyai ma tête sur l’épaule de Fritz et je fermai les yeux en laissant échapper un faible gémissement; puis, craignant peut-être que Fritz ne me fît injure en pensée, je rouvris les yeux et j’essayai de nouveau de crier:

«Hourra!»

Mais je ne pus, j’étais très las… j’avais froid… je me serrai contre Fritz pour me réchauffer, mes yeux se fermèrent. Je m’endormis.

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