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Sans plus m’inquiéter du cadavre, je me dirigeai vers l’échelle de Jacob. Le temps pressait. Il se pouvait que l’heure de relever la sentinelle fût venue. L’éveil serait aussitôt donné. Je me penchai sur le tuyau et l’examinai du haut en bas, depuis, l’endroit où il touchait l’eau jusqu’à la partie supérieure qui passait ou semblait passer à travers la maçonnerie du mur. Il n’y avait là ni rupture ni crevasse. Me laissant tomber à genoux, j’explorai le côté inférieur. Et ma respiration s’accéléra, car, à la paroi du dessous où la poterie semblait scellée dans la brique, j’aperçus une lueur. Elle devait provenir de la cellule du roi. J’appliquai mon épaule contre le tuyau et m’y appuyai en retenant ma respiration. La fente s’élargit très légèrement: alors je reculai. J’en avais assez fait pour constater que l’échelle de Jacob n’était pas fixée à la maçonnerie dans sa partie inférieure.

À ce moment, une voix rude et discordante frappa mon oreille; elle disait:

«Eh bien! Sire, puisque vous avez assez de ma société, je vais vous laisser reposer. Seulement, avant de m’en aller, il faut que j’attache les petits ornements.»

C’était Detchard; je reconnus son accent anglais.

«Avez-vous quelque chose à demander, Sire, avant que je vous quitte?»

Le roi parla: c’était bien sa voix, mais très faible et creuse, oh! combien différente de cette voix joyeuse qui, naguère, faisait retentir les échos de la forêt.

«Que mon frère, dit le roi, ait pitié, qu’il me tue. Ici, je me meurs à petit feu.

– Le duc ne souhaite pas votre mort, Sire, fit Detchard d’un ton d’ironie. Le jour où il lui plairait de vous faire mourir, voilà le chemin que vous prendriez pour aller au Ciel!»

Le roi répondit:

«Je suis en son pouvoir, pour le moment, du moins. Si vos instructions ne s’y opposent pas, je vous prierai de me laisser.

– Je souhaite à Votre Majesté de rêver du paradis», ajouta le misérable.

La lumière disparut. J’entendis un bruit de chaînes et de verrous, et puis des sanglots. Le roi se croyait seul, et il pleurait. Qui oserait se moquer?

Je ne me hasardai pas à parler au roi. Une exclamation que la surprise aurait pu lui arracher risquait de nous perdre. Il me sembla d’ailleurs que j’en avais appris assez pour une première fois. Restait à rejoindre mes amis sans donner l’éveil et à me débarrasser du cadavre de la sentinelle. Le laisser où il était en eût dit trop long. Je montai dans le canot; le vent qui maintenant hurlait en tempête couvrait le bruit des rames, et je me dirigeai vers l’endroit où mes amis m’attendaient. Je venais d’arriver à destination quand retentit un coup de sifflet strident.

«Hallo, Max!» criait-on.

J’appelai Sapt à voix basse. La corde descendit. Je la liai autour du cadavre de la sentinelle, et puis je me hissai moi-même.

«Sifflez maintenant pour appeler nos hommes, fis-je très bas, et allons ferme. Ne perdons pas notre temps en paroles inutiles.»

Nous hissâmes le cadavre; comme nous le déposions par terre, trois cavaliers passèrent au grand galop, venant du château. Nous les vîmes; mais, comme nous étions à pied, ils ne nous remarquèrent pas. Nos hommes arrivaient presque au même moment.

«Du diable! mais on n’y voit pas plus que dans un four!»

C’était la voix retentissante du jeune Rupert. Une minute plus tard, la fusillade commençait. Je m’élançai, suivi de Sapt et de Fritz.

«En avant! en avant!»

Je distinguais toujours la voix de Rupert. Un cri, un gémissement nous prouvèrent que le jeune fauve ne demeurait pas en reste.

«C’en est fait de moi, Rupert, fit une voix mourante. Ils étaient deux contre un. Sauvez-vous!»

Je courais toujours, mon gourdin à la main. Tout à coup, je vis un cavalier qui venait sur moi, couché sur l’encolure de son cheval.

«Comment, c’est ton tour, mon pauvre Krastein?» criait-il.

Pas de réponse. Je m’élançai à la tête du cheval. Le cavalier n’était autre que Rupert Hentzau.

«Enfin!» m’écriai-je.

Car il semblait bien que nous le tenions. Il n’avait pour toute arme que son épée. Mes hommes le pressaient.

Sapt et Fritz accouraient; je ne les avais devancés que de quelques mètres. S’ils arrivaient et s’ils tiraient, il fallait ou qu’il mourût, ou qu’il se rendît.

«Enfin! répétai-je.

– Ah! bah! c’est le grand premier rôle», fit-il en frappant avec son épée un coup si formidable qu’il coupa net mon gourdin.

Jugeant là-dessus que la prudence la plus élémentaire m’ordonnait de battre en retraite, je fis le plongeon et (j’ai honte de l’avouer) je pris mes jambes à mon cou.

Ce Rupert a le diable au corps.

Comme je m’étais retourné pour voir ce qu’il advenait de lui, je le vis enfoncer ses éperons dans le ventre de son cheval, gagner au galop le bord du fossé, et sauter dedans sous une grêle de balles que les miens faisaient pleuvoir sur lui.

Si seulement il y avait eu le moindre clair de lune, il était perdu. Grâce à l’obscurité, il gagna l’abri du château et disparut.

«Le diable l’emporte! grogna Sapt.

– Quel dommage, m’écriai-je, que ce soit un coquin! Quels sont ceux qui sont restés sur le carreau?»

Laengram et Krastein étaient morts. La situation n’étant plus tenable, et faute de pouvoir faire autrement, nous les jetâmes, ainsi que Max, dans l’étang; dans notre camp, trois gentilshommes avaient péri.

Alors nous rentrâmes au château, navrés jusqu’au fond du cœur de la perte de nos amis, douloureusement anxieux au sujet du roi, et piqués au vif que Rupert de Hentzau eût gagné cette manche contre nous.

Pour ma part, j’étais furieux, furieux de n’avoir tué personne dans la bagarre, et de n’avoir à mon actif que ce coup de poignard planté dans le cœur d’un valet endormi.

Il m’était en outre fort désagréable que ce coquin de Rupert m’eût traité de comédien!

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