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– Tiens, Thérèse, me dit-il en me le montrant, vois comme il est délicieux de fouetter avec cela… Tu le sentiras… tu le sentiras, friponne, mais pour l'instant je veux bien n'employer que celui-ci…

Il était de cordelettes nouées à douze branches; au bas de chaque, était un nœud plus fort que les autres et de la grosseur d'un noyau de prune.

– Allons, la cavalcade!… la cavalcade! dit-il à sa nièce.

Celle-ci, qui savait de quoi il était question, se met tout de suite à quatre pattes, les reins élevés le plus possible, en me disant de l'imiter; je le fais. Clément se met à cheval sur mes reins, sa tête du côté de ma croupe; Armande, la sienne présentée, se trouve en face de lui: le scélérat, nous voyant alors toutes les deux bien à sa portée, nous lance des coups furieux sur les charmes que nous lui offrons; mais comme, par cette posture, nous ouvrons dans le plus grand écart possible cette délicate partie qui distingue notre sexe de celui des hommes, le barbare y dirige ses coups, les branches longues et flexibles du fouet dont il se sert, pénétrant dans l'intérieur avec bien plus de facilité que les brins de verges, y laissent des traces profondes de sa rage; tantôt il frappe sur l'une, tantôt ses coups se lancent sur l'autre: aussi bon cavalier que fustigateur intrépide, il change plusieurs fois de monture; nous sommes excédées, et les titillations de la douleur sont d'une telle violence qu'il n'est presque plus possible de les supporter.

– Levez-vous! nous dit-il alors en reprenant des verges, oui, levez-vous et craignez-moi.

Ses yeux étincellent, il écume. Également menacées sur tout le corps, nous l'évitons…, nous courons comme des égarées dans toutes les parties de la chambre, il nous suit, frappant indifféremment et sur l'une et sur l'autre; le scélérat nous met en sang; il nous rencogne à la fin toutes deux dans la ruelle du lit. Les coups redoublent: la malheureuse Armande en reçoit un sur le sein qui la fait chanceler; cette dernière horreur détermine l'extase, et pendant que mon dos en reçoit les effets cruels, mes reins s'inondent des preuves d'un délire dont les résultats sont si dangereux.

– Couchons-nous, me dit enfin Clément; en voilà peut-être trop pour toi, Thérèse, et certainement pas assez pour moi; on ne se lasse point de cette manie, quoiqu'elle ne soit qu'une très imparfaite image de ce qu'on voudrait réellement faire. Ah! chère fille, tu ne sais pas jusqu'où nous entraîne cette dépravation, l'ivresse où elle nous jette, la commotion violente qui résulte, dans le fluide électrique, de l'irritation produite par la douleur sur l'objet qui sert nos passions; comme on est chatouillé de ses maux! Le désir de les accroître…, voilà l'écueil de cette fantaisie, je le sais, mais cet écueil est-il à craindre pour qui se moque de tout?

Quoique l'esprit de Clément fût encore dans l'enthousiasme, voyant néanmoins ses sens plus calmes, j'osai, répondant à ce qu'il venait de dire, lui reprocher la dépravation de ses goûts; et la manière dont ce libertin les justifia mérite, ce me semble, de trouver place dans les aveux que vous exigez de moi.

– La chose du monde la plus ridicule sans doute, ma chère Thérèse, me dit Clément, est de vouloir disputer sur les goûts de l'homme, les contrarier, les blâmer ou les punir, s'ils ne sont pas conformes soit aux lois du pays qu'on habite, soit aux conventions sociales. Eh quoi! les hommes ne comprendront jamais qu'il n'est aucune sorte de goûts, quelque bizarres, quelque criminels même qu'on puisse les supposer, qui ne dépende de la sorte d'organisation que nous avons reçue de la nature! Cela posé, je le demande, de quel droit un homme osera-t-il exiger d'un autre ou de réformer ses goûts, ou de les modeler sur l'ordre social? De quel droit même les lois, qui ne sont faites que pour le bonheur de l'homme, oseront-elles sévir contre celui qui ne peut se corriger, ou qui n'y parviendrait qu'aux dépens de ce bonheur que doivent lui conserver les lois? Mais désirât-on même de changer de goûts, le peut-on? Est-il en nous de nous refaire? Pouvons-nous devenir autres que nous sommes? L'exigeriez-vous d'un homme contrefait, et cette inconformité de nos goûts est-elle autre chose au moral que ne l'est au physique l'imperfection de l'homme contrefait?

Entrons dans quelques détails, j'y consens; l'esprit que je te reconnais, Thérèse, te met à portée de les entendre. Deux irrégularités, je le vois, t'ont déjà frappée parmi nous: tu t'étonnes de la sensation piquante éprouvée par quelques-uns de nos confrères pour des choses vulgairement reconnues pour fétides ou impures, et tu te surprends de même que nos facultés voluptueuses puissent être ébranlées par des actions qui, selon toi, ne portent que l'emblème de la férocité. Analysons l'un et l'autre de ces goûts, et tâchons, s'il se peut, de te convaincre qu'il n'est rien au monde de plus simple que les plaisirs qui en résultent.

Il est, prétends-tu, singulier que des choses sales et crapuleuses puissent produire dans nos sens l'irritation essentielle au complément de leur délire; mais avant que de s'étonner de cela, il faudrait sentir, chère Thérèse, que les objets n'ont de prix à nos yeux que celui qu'y met notre imagination; il est donc très possible, d'après cette vérité constante, que non seulement les choses les plus bizarres, mais même les plus viles et les plus affreuses, puissent nous affecter très sensiblement. L'imagination de l'homme est une faculté de son esprit où vont, par l'organe des sens, se peindre, se modifier les objets, et se former ensuite ses pensées, en raison du premier aperçu de ces objets. Mais cette imagination, résultative elle-même de l'espèce d'organisation dont est doué l'homme, n'adopte les objets reçus que de telle ou telle manière, et ne crée ensuite les pensées que d'après les effets produits par le choc des objets aperçus: qu'une comparaison facilite à tes yeux ce que j'expose. N'as-tu pas vu, Thérèse, des miroirs de formes différentes? Quelques-uns qui diminuent les objets, d'autres qui les grossissent; ceux-ci qui les rendent affreux, ceux-là qui leur prêtent des charmes? T'imagines-tu maintenant que si chacune de ces glaces unissait la faculté créatrice à la faculté objective, elle ne donnerait pas, du même homme qui se serait regardé dans elle, un portrait tout à fait différent? et ce portrait ne serait-il pas en raison de la manière dont elle aurait perçu l'objet? Si aux deux facultés que nous venons de prêter à cette glace, elle joignait maintenant celle de la sensibilité, n'aurait-elle pas pour cet homme, vu par elle de telle ou telle manière, l'espèce de sentiment qu'il lui serait possible de concevoir pour la sorte d'être qu'elle aurait aperçu? La glace qui l'aurait vu beau, l'aimerait; celle qui l'aurait vu affreux, le haïrait; et ce serait pourtant toujours le même individu.

Telle est l'imagination de l'homme, Thérèse; le même objet s'y représente sous autant de formes qu'elle a de différents modes, et d'après l'effet reçu de cette imagination par l'objet, quel qu'il soit, elle se détermine à l'aimer ou à le haïr. Si le choc de l'objet aperçu la frappe d'une manière agréable, elle l'aime, elle le préfère, bien que cet objet n'ait en lui aucun agrément réel; et si cet objet, quoique d'un prix certain aux yeux d'un autre, n'a frappé l'imagination dont il s'agit que d'une manière désagréable, elle s'en éloignera, parce qu'aucun de nos sentiments ne se forme, ne se réalise qu'en raison du produit des différents objets sur l'imagination. Rien d'étonnant, d'après cela, que ce qui plaît vivement aux uns puisse déplaire aux autres, et, réversiblement, que la chose la plus extraordinaire trouve pourtant des sectateurs… L'homme contrefait trouve aussi des miroirs qui le rendent beau.

Or, si nous avouons que la jouissance des sens soit toujours dépendante de l'imagination, toujours réglée par l'imagination, il ne faudra plus s'étonner des variations nombreuses que l'imagination suggérera dans ces jouissances, de la multitude infinie de goûts et de passions différentes qu'enfanteront les différents écarts de cette imagination. Ces goûts, quoique luxurieux, ne devront pas frapper davantage que ceux d'un genre simple; il n'y a aucune raison pour trouver une fantaisie de table moins extraordinaire qu'une fantaisie de lit; et dans l'un ou l'autre genre, il n'est pas plus étonnant d'idolâtrer une chose que le commun des hommes trouve détestable, qu'il ne l'est d'en aimer une généralement reconnue pour bonne. L'unanimité prouve de la conformité dans les organes, mais rien en faveur de la chose aimée. Les trois quarts de l'univers peuvent trouver délicieuse l'odeur d'une rose, sans que cela puisse servir de preuve, ni pour condamner le quart qui pourrait la trouver mauvaise, ni pour démontrer que cette odeur soit véritablement agréable.

Si donc il existe des êtres dans le monde dont les goûts choquent tous les préjugés admis, non seulement il ne faut point s'étonner d'eux, non seulement il ne faut ni les sermonner, ni les punir; mais il faut les servir, les contenter, anéantir tous les freins qui les gênent, et leur donner, si vous voulez être juste, tous les moyens de se satisfaire sans risque; parce qu'il n'a pas plus dépendu d'eux d'avoir ce goût bizarre, qu'il n'a dépendu de vous d'être spirituel ou bête, d'être bien fait ou d'être bossu. C'est dans le sein de la mère que se fabriquent les organes qui doivent nous rendre susceptibles de telle ou telle fantaisie; les premiers objets présentés, les premiers discours entendus achèvent de déterminer le ressort; les goûts se forment, et rien au monde ne peut plus les détruire. L'éducation a beau faire, elle ne change plus rien, et celui qui doit être un scélérat le devient tout aussi sûrement, quelque bonne que soit l'éducation qui lui a été donnée, que vole sûrement à la vertu celui dont les organes se trouvent disposés au bien, quoique l'instituteur l'ait manqué. Tous deux ont agi d'après leur organisation, d'après les impressions qu'ils avaient reçues de la nature, et l'un n'est pas plus digne de punition que l'autre ne l'est de récompense.

Ce qu'il y a de bien singulier, c'est que tant qu'il n'est question que de choses futiles, nous ne nous étonnons pas de la différence des goûts; mais sitôt qu'il s'agit de la luxure, voilà tout en rumeur; les femmes toujours surveillantes à leurs droits, les femmes que leur faiblesse et leur peu de valeur engagent à ne rien perdre, frémissent à chaque instant qu'on ne leur enlève quelque chose, et si malheureusement on met en usage dans la jouissance des procédés qui choquent leur culte, voilà des crimes dignes de l'échafaud. Et cependant quelle injustice! Le plaisir des sens doit-il donc rendre un homme meilleur que les autres plaisirs de la vie? Le temple de la génération, en un mot, doit-il mieux fixer nos penchants, plus sûrement éveiller nos désirs, que la partie du corps ou la plus contraire, ou la plus éloignée de lui, que l'émanation de ce corps ou la plus fétide, ou la plus dégoûtante? Il ne doit pas, ce me semble, paraître plus étonnant de voir un homme porter la singularité dans les plaisirs du libertinage, qu'il ne doit l'être de la lui voir employer dans les autres fonctions de la vie! Encore une fois, dans l'un et l'autre cas, sa singularité est le résultat de ses organes: est-ce sa faute si ce qui vous affecte est nul pour lui, ou s'il n'est ému que de ce qui vous répugne? Quel est l'homme qui ne réformerait pas à l'instant ses goûts, ses affections, ses penchants sur le plan général, et qui n'aimerait pas mieux être comme tout le monde, que de se singulariser, s'il en était le maître? Il y a l'intolérance la plus stupide et la plus barbare à vouloir sévir contre un tel homme; il n'est pas plus coupable envers la société, quels que soient ses égarements, que ne l'est, comme je viens de le dire, celui qui serait venu au monde borgne ou boiteux. Et il est aussi injuste de punir ou de se moquer de celui-ci qu'il le serait d'affliger l'autre ou de le persifler. L'homme doué de goûts singuliers est un malade; c'est, si vous le voulez, une femme à vapeurs hystériques. Nous est-il jamais venu dans l'idée de punir ou de contrarier l'un ou l'autre? Soyons également justes pour l'homme dont les caprices nous surprennent; parfaitement semblable au malade ou à la vaporeuse, il est comme eux à plaindre et non pas à blâmer. Telle est au moral l'excuse des gens dont il s'agit; on la trouverait au physique avec la même facilité sans doute, et quand l'anatomie sera perfectionnée, on démontrera facilement, par elle, le rapport de l'organisation de l'homme aux goûts qui l'auront affecté. Pédants, bourreaux, guichetiers, législateurs, racaille tonsurée, que ferez-vous quand nous en serons là? Que deviendront vos lois, votre morale, votre religion, vos potences, votre paradis, vos dieux, votre enfer, quand il sera démontré que tel ou tel cours de liqueurs, telle sorte de fibres, tel degré d'âcreté dans le sang ou dans les esprits animaux suffisent à faire d'un homme l'objet de vos peines ou de vos récompenses? Poursuivons: les goûts cruels t'étonnent?

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