Prenez-moi aussi alors”.
Ils sont contre, car ils mentent, –
Mais rien à faire, – ils consentent.
Enfin, le ciel s’obscurcit;
L’air devient plus rafraîchi;
Pour ne pas se perdre en route,
On veut bien casser la croûte.
Aux branches d’en-bas, comme il faut,
On lie bien tous les chevaux,
On apporte des comestibles,
On boit un coup, c’est possible
Ch’min faisant; après, bon Dieu,
On bavarde à qui mieux mieux.
Tout à coup, l’aîné des frères
Remarque au loin une lumière.
A son frère, il cligne de l’oeil,
Pour que le deuxième frère veuille
Le sout’nir, après, il tousse,
Montre le feu, d’une voix douce,
Dit, grattant son occiput:
“Il fait nuit, si j’avais su
Que la belle lune, comme pour rire,
Vient pour une minute, – sans dire,
Tout aurait été mieux. Tiens!
Je ne vois, ni n’entends rien…
Mais, attends, donc, il me semble
Qu’une petite fumée y tremble…
Regarde, là!.. Oui, c’est comme ça!..
Si, pour le brasier, on a
Du feu – une merveille! Ecoute,
Frère Ivan, mets-toi en route!
A vrai dire, pourtant, je n’ai
Rien du tout pour l’allumer.”
Et Daniel, lui-même, pense:
“Que tu n’aies pas de la chance
De rev’nir!” Gabriel dit:
“Qui sait ce qui brûle ici!
Si les brigands l’importunent, –
Adieu, mon frère, sans rancune!”
C’est un rien pour notre Idiot.
Il s’assied vite sur le dos
De son p’tit Ch’val, frappe ses côtes,
Le tiraille, de ses forces sottes,
Braille… Le Ch’val se cabre, et puis,
Disparaît vite dans la nuit.
“Que la force de Dieu nous cache!” –
Crie son frère parce qu’il est lâche,
Après, il se signe et dit:
“ Quel démon est, donc, sous lui?”
Le feu est plus clair par suite
De ce que le Ch’val court vite.
Le voilà devant le feu.
Le champ est tout lumineux:
La lumière perce la brume,
Mais elle ne chauffe, ni ne fume.
Etonné par la merveille,
Ivan dit: “Quoi de pareil?!
Cinq chapeaux de la lumière,
Mais elle ne chauffe, ne fume guère;
Quel beau feu original!”
Il entend dire son p’tit Ch’val:
“L’oiseau-de-Feu, je l’assume,
A perdu ici sa plume.
Mais, je prie, pour ton bonheur,
Ne la prends pas, mon seigneur.
Puisque cette plume amène
Bien beaucoup de grandes peines.” –
“Parle donc, ce n’est pas ça!” –
Pense Ivan, n’ècoutant pas,
Prend la plume, sans être lâche,
Et, dans des loques, il la cache,
Ensuite, il prend ces lambeaux
Et les met dans son chapeau.
Puis, Ivan vient chez ses frères
Et leur dit de cette affaire:
“Quand, là-bas, j’ai galopé,
Je n’ai vu qu’une souche brûlée;
Je me suis cassé la tête
Pour qu’elle n’ait pas la défaite;
Une heure, j’ai soufflé le feu –
Mais il s’est éteint, parbleu!”
Toute la nuit, ils rient, les frères,
Aux éclats, sans dormir guère;
Lui se couche sous le chariot,
Dort et ronfle, notre Idiot.
S’att’lant à l’heure matinale,
Ils vont à la capitale,
Au marché central qui est
Vis-à-vis des Grands Palais.
Il y avait un rite en ville:
C’est qu’à des sujets dociles,
Seul, le maire peut ordonner
Au marché de commercer.
A la messe, les cloches sonnent;
Et le maire de ville se donne
Au marché, rich’ment paré;
La garde le suit, bien armée.
Un héraut barbu y passe,
A côté, il a sa place;
Il sonne à sa trompette d’or
Et crie aux marchands très fort:
“Ouvrez vite les boutiques,
Commercez à tous pratiques!
Et que tous les surveillants
Soient assis près, en veillant
Pour qu’il n’y ait pas de tapage,
De cohue, de rixe en rage,
Pour qu’aucun salaud vilain
Ne trompe de bonnes gens de rien!”
Donc, on ouvre les boutiques,
On appelle tous les pratiques:
“Chers messieurs, venez ici,
Bienvenus, on vous en prie!
Nous avons des marchandises
Convenables à votre guise!”
Les ach’teurs viennent, regardant,
Achetant tout aux marchands;
Ceux-ci comptent, en première ligne,
L’argent, aux surveillants, clignent.
La garde de ville, à propos,
Arrive au rang des chevaux;
Elle y voit une bousculade.
Pas d’entrée, de promenade,
De sortie; le peuple rit,
On fourmille, on bat, on crie.
Notre maire de ville s’étonne
De cette grande joie et ordonne
A sa garde de libérer
Le passage pour y entrer.
“Ohé, vous, nu-pieds, les diables!
Arrière! On n’est pas aimable!” –
Crient nos braves moustachus,
Battent par des fouets ces pieds-nus.
Alors les gens bougent sur place,
Se découvrent, après, s’effacent.
On voit le rang des chevaux;
Là, il y a deux ch’vaux moreaux
Superbes, et leurs belles crinières
D’or ondulent jusqu’à la terre,
Frisées en ronds, leurs queues d’or
Tombent comme un ruisseau encore…
Malgré sa fougue, notre maire
Frotte sa nuque et pense, – que faire?
Il dit: “Que le monde de Dieu
A beaucoup de merveilleux!”
Et la garde fait des courbettes,
Ecoutant cette parole nette.
Cependant, le maire de ville
Ordonne aux sujets dociles
Que personne n’achète, ne vende
Ces chevaux sans sa commande;
Il va se rendre au palais
Pour parler au roi du fait.
En laissant la garde sur place,
Pour faire son rapport, il passe.
Là, il se met à crier:
“De grâce, mon roi-père, pitié!”
Puis, comme s’il donne corps et âme,
Il tombe par terre et s’exclame:
“Ne fais pas m’exécuter,
Ordonne-moi de te parler!”
Le roi daigne lui dire: “Raconte
Aisément, comme un bon conte.” –
“Comme je peux, je parlerai:
Je suis maire de ville, tu sais;
Juste, fidèle, honnête, j’exerce
Ce poste…” – “On sait ton commerce!” –
“J’ai pris notre détach’ment
Pour voir des chevaux au rang
Du marché. – J’ai vu la masse
Des badauds qui s’y entassent!
Que faire?.. J’ai dit de chasser
Pour ne pas nous empêcher.
Ça est fait, notre roi-père!
Qu’est-ce que je devais y faire?
Je vais au rang des chevaux;
Là, il y a deux ch’vaux moreaux
Superbes, et leurs belles crinières
D’or ondulent jusqu’à la terre,
Frisées en ronds, leurs queues d’or
Tombent comme un ruisseau encore…
Leurs sabots de diamants brillent,
Et de grandes perles y scintillent”.
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