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– Elles sont donc revenues?

– Farceur! tu le sais aussi bien que moi, dit le vieux Fischer goguenard. Il y a beau temps! Elles sont rentr?es avant-hier.

Christophe n’entendit rien de plus; il quitta la chambre et se pr?para ? sortir. Sa m?re, qui depuis quelque temps le surveillait ? la d?rob?e, le suivit dans le couloir et lui demanda timidement o? il allait. Il ne r?pondit pas et sortit. Il souffrait.

Il courut chez mesdames de Kerich. Il ?tait neuf heures du soir. Elles ?taient au salon toutes deux, et ne parurent pas surprises de le voir. Elles lui dirent bonsoir avec tranquillit?. Minna, occup?e ? ?crire, lui tendit la main par dessus la table, et continua sa lettre, en lui demandant de ses nouvelles, d’un air distrait. Elle s’excusait d’ailleurs de son impolitesse et feignait d’?couter ce qu’il disait; mais elle l’interrompit pour demander un renseignement ? sa m?re. Il avait pr?par? des paroles touchantes sur ce qu’il avait souffert pendant leur absence: il put ? peine en balbutier quelques mots; personne ne les releva, et il n’eut pas le courage de continuer: cela sonnait faux.

Quand Minna eut termin? la lettre, elle prit un ouvrage, et, s’asseyant ? quelques pas de lui, se mit ? lui raconter le voyage qu’elle avait fait. Elle parlait des semaines agr?ables qu’elle avait pass?es, des promenades ? cheval, de la vie de ch?teau, de la soci?t? int?ressante; elle s’animait peu ? peu et faisait des allusions ? des ?v?nements ou ? des gens que Christophe ne connaissait pas, et dont le souvenir les faisait rire, sa m?re et elle. Christophe se sentait un ?tranger au milieu de ce r?cit; il ne savait quelle contenance faire, et riait d’un air g?n?. Il ne quittait pas des yeux le visage de Minna, implorant l’aum?ne d’un regard. Mais quand elle le regardait, – ce qu’elle faisait rarement, s’adressant plus souvent ? sa m?re qu’? lui, – ses yeux, comme sa voix, ?taient aimables et indiff?rents. Se surveillait-elle ? cause de sa m?re? Il e?t voulu lui parler, seul ? seule; mais madame de Kerich ne les quitta pas un moment. Il essaya de mettre la conversation sur un sujet qui lui f?t personnel; il parla de ses travaux, de ses projets; il avait conscience que Minna lui ?chappait; et il t?chait de l’int?resser ? lui. En effet, elle sembla l’?couter avec beaucoup d’attention; elle coupait son r?cit par des interjections vari?es, qui ne tombaient pas toujours tr?s ? propos, mais dont le ton semblait plein d’int?r?t. Mais au moment o? il se remettait ? esp?rer, gris? par un de ses charmants sourires, il vit Minna mettre sa petite main devant sa bouche, et b?iller. Il s’interrompit net. Elle s’en aper?ut, et s’excusa aimablement, pr?textant sa fatigue. Il se leva, pensant qu’on le retiendrait encore; mais on ne lui dit rien. Il prolongeait ses saluts, il attendait une invitation ? revenir le lendemain: il n’en fut pas question. Il fallut partir. Minna ne le reconduisit pas. Elle lui tendit la main, – une main indiff?rente, qui s’abandonnait froidement dans sa main; et il prit cong? d’elle au milieu du salon.

Il rentra chez lui, l’effroi au c?ur. De la Minna d’il y avait deux mois, de sa ch?re Minna, il ne restait plus rien. Que s’?tait-il pass?? Qu’?tait-elle devenue? Pour un pauvre gar?on, qui n’avait jamais encore ?prouv? les changements incessants, la disparition totale, et le renouvellement absolu des ?mes vivantes, dont la plupart ne sont pas des ?mes, mais des collections d’?mes, qui se succ?dent, et s’?teignent constamment, la simple v?rit? ?tait trop cruelle pour qu’il p?t se r?soudre ? y croire. Il en repoussait l’id?e avec ?pouvante, et t?chait de se persuader qu’il avait mal su voir, que Minna ?tait toujours la m?me. Il d?cida de retourner chez elle, le lendemain matin, de lui parler ? tout prix.

Il ne dormit pas. Il compta, dans la nuit, toutes les sonneries de l’horloge. D?s la premi?re heure, il alla r?der autour de la maison des de Kerich; il entra aussit?t qu’il put. Ce ne fut pas Minna qu’il vit, ce fut madame de Kerich. Active et matinale, elle s’occupait ? arroser avec une carafe les pots de fleurs sous la v?randa. Elle eut une exclamation moqueuse, en apercevant Christophe:

– Ah! fit-elle, c’est vous!… Vous venez ? propos, j’ai justement ? vous parler. Attendez, attendez…

Elle rentra un moment, pour d?poser la carafe et s’essuyer les mains, et revint, avec un petit sourire, en voyant la mine d?confite de Christophe, qui sentait l’approche du malheur.

– Allons au jardin, reprit-elle, nous serons plus tranquilles.

Dans le jardin, tout rempli de son amour, il suivit madame de Kerich. Elle ne se pressait pas de parler, s’amusant du trouble de l’enfant.

– Asseyons-nous l?, dit-elle enfin.

Ils ?taient sur le banc, o? Minna lui avait tendu ses l?vres, la veille du d?part.

– Je pense que vous savez de quoi il s’agit, dit madame de Kerich, qui prit un air grave, pour achever de le confondre. Je n’aurais jamais cru cela, Christophe. Je vous estimais un gar?on s?rieux. J’avais confiance en vous. Je n’aurais jamais pens? que vous en abuseriez, pour essayer de tourner la t?te ? ma fille. Elle ?tait sous votre garde. Vous deviez la respecter, me respecter, vous respecter vous-m?me.

Il y avait une l?g?re ironie dans le ton: – madame de Kerich n’attachait pas la moindre importance ? cet amour d’enfants; – mais Christophe ne le sentit pas; et ces reproches, qu’il prit au tragique, comme il prenait toute chose, lui all?rent au c?ur.

– Mais, madame… mais, madame…, balbutia-t-il, les larmes aux yeux, je n’ai jamais abus? de votre confiance… Ne le croyez pas, le vous en prie… Je ne suis pas un malhonn?te homme, je vous jure!… J’aime mademoiselle Minna, je l’aime de toute mon ?me, mais je veux l’?pouser.

Madame de Kerich sourit.

– Non, mon pauvre gar?on, dit-elle, avec cette bienveillance, si d?daigneuse au fond, qu’il allait enfin comprendre, – non, ce n’est pas possible, c’est un enfantillage.

– Pourquoi? Pourquoi? demandait-il.

Il lui saisissait les mains, ne croyant pas qu’elle parl?t s?rieusement, rassur? presque par sa voix plus douce. Elle continuait de sourire, et disait:

– Parce que.

Il insistait. Avec des m?nagements ironiques, – (elle ne le prenait pas tout ? fait au s?rieux) – elle lui dit qu’il n’avait pas de fortune, que Minna avait d’autres go?ts. Il protestait que cela ne faisait rien, qu’il serait riche, c?l?bre, qu’il aurait les honneurs, l’argent, tout ce que voudrait Minna. Madame de Kerich se montrait sceptique; elle ?tait amus?e de cette confiance en soi, et se contentait de secouer la t?te pour dire non. Il s’obstinait toujours.

– Non, Christophe, dit-elle d’un ton d?cid?, non, ce n’est pas la peine de discuter, c’est impossible. Il ne s’agit pas seulement d’argent. Tant de choses!… La situation…

Elle n’eut pas besoin d’achever. Ce fut une aiguille qui le per?a jusqu’aux moelles. Ses yeux s’ouvrirent. Il vit l’ironie du sourire amical, il vit la froideur du regard bienveillant, il comprit brusquement tout ce qui le s?parait de cette femme, qu’il aimait d’un amour filial, qui semblait le traiter d’une fa?on maternelle; il sentait ce qu’il y avait de protecteur et de d?daigneux dans son affection. Il se leva, tout p?le. Madame de Kerich continuait ? lui parler de sa voix caressante; mais c’?tait fini: il n’entendait plus la musique des paroles, il percevait sous chaque mot la s?cheresse de cette ?me ?l?gante. Il ne put r?pondre un mot. Il partit. Tout tournait autour de lui.

Rentr? dans sa chambre, il se jeta sur son lit, et il eut une convulsion de col?re et d’orgueil r?volt?, comme quand il ?tait petit. Il mordait son oreiller, il enfon?ait son mouchoir dans sa bouche, pour qu’on ne l’entend?t pas crier. Il ha?ssait madame de Kerich. Il ha?ssait Minna. Il les m?prisait avec fureur. Il lui semblait qu’il avait ?t? soufflet?, il tremblait de honte et de rage. Il lui fallait r?pondre, agir sur-le-champ. Il mourrait, s’il ne se vengeait.

Il se releva, et ?crivit une lettre d’une violence imb?cile:

«Madame,

«Je ne sais pas si, comme vous le dites, vous vous ?tes tromp?e sur moi. Mais ce que je sais, c’est que je me suis tromp? cruellement sur vous. J’avais cru que vous ?tiez mes amies. Vous le disiez, vous faisiez semblant de l’?tre, et je vous aimais plus que ma vie. Je vois maintenant que tout cela est un mensonge, et que votre affection pour moi n’?tait qu’une duperie: vous vous serviez de moi, je vous amusais, je vous distrayais, je vous faisais de la musique, – j’?tais votre domestique. Votre domestique, je ne le suis pas! Je ne suis celui de personne!

«Vous m’avez fait durement sentir que je n’avais pas le droit d’aimer votre fille. Rien au monde ne peut emp?cher mon c?ur d’aimer ce qu’il aime; et si je ne suis pas de votre rang, je suis aussi noble que vous. C’est le c?ur qui ennoblit l’homme: si je ne suis pas comte, j’ai peut-?tre plus d’honneur en moi que bien des comtes. Valet ou comte, du moment qu’il m’insulte, je le m?prise. Je m?prise comme la boue tout ce qui se pr?tend noble, s’il n’a pas la noblesse de l’?me.

«Adieu! Vous m’avez m?connu. Vous m’avez tromp?. Je vous d?teste.

«Celui qui aime, en d?pit de vous, et qui aimera jusqu’? sa mort mademoiselle Minna, parce qu’elle est ? lui , et que rien ne peut la lui reprendre.»

? peine eut-il jet? sa lettre ? la bo?te qu’il eut la terreur de ce qu’il avait fait. Il essaya de n’y plus penser; mais certaines phrases lui revenaient ? la m?moire; et il avait une sueur froide, en songeant que madame de Kerich lisait ces ?normit?s. Au premier moment, il ?tait soutenu par son d?sespoir m?me; mais, d?s le lendemain, il comprit que sa lettre n’aurait d’autre r?sultat que de le s?parer tout ? fait de Minna: et cela lui parut le pire des malheurs. Il esp?rait encore que Madame de Kerich, qui connaissait ses emportements, ne prendrait pas celui-ci au s?rieux, qu’elle se contenterait d’une s?v?re remontrance, et, – qui sait? – qu’elle serait peut-?tre touch?e par la sinc?rit? de sa passion. Il n’attendait qu’un mot pour se jeter ? ses pieds. Il l’attendit cinq jours. Puis vint une lettre. Elle disait:

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