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Il reposa la question.

« Deux, avoua madame Tracy.

— Ah ben, alors, ça va », conclut l’Inquisiteur sergent Shadwell (en retraite).

C’était le dimanche après-midi.

Très haut au-dessus de l’Angleterre, un 747 vrombissait en direction de l’ouest. En première classe, un jeune garçon du nom d’Abbadon posa ses bandes dessinées et regarda par le hublot.

Les deux derniers jours avaient été étranges. Il n’était toujours pas sûr d’avoir compris pourquoi son père avait été nommé au Moyen-Orient. Son père non plus, il en était à peu près certain. Une raison culturelle, probablement. Ce qui s’était passé, c’est qu’un tas de gens bizarres avec des serviettes sur la tête et des dents en très mauvais état leur avaient fait visiter de vieilles ruines.

Question ruines, Abbadon avait vu mieux. Et puis un des vieux types lui avait demandé s’il n’avait pas envie de quelque chose ? Et Abbadon avait répondu qu’il voulait rentrer chez lui.

La réponse avait paru leur causer une immense déception.

Abbadon ne voulait pas parler des États-Unis. Certes, il y était souvent revenu, mais il aimait bien l’Angleterre. C’était un pays agréable pour un Américain. Il s’y était toujours senti chez lui.

À cet instant, l’avion passait au-dessus de la chambre de Boule-de-Suif Johnson, à Lower Tadfield. Celui-ci feuilletait distraitement un magazine de photographie qu’il avait simplement acheté à cause de la belle image de poissons tropicaux en couverture.

À quelques pages en dessous du doigt graisseux de Boule-de-Suif Johnson se trouvait un article sur le football américain, où l’on racontait que ce sport commençait à se répandre en Europe. C’était étrange : car lorsqu’on avait imprimé le magazine, ces pages traitaient de photographie en milieu désertique.

L’article allait bouleverser le cours de sa vie.

Et Abbadon volait toujours vers l’Amérique. Peut-être avait-il mérité quelque chose, lui aussi (après tout, on n’oublie jamais ses premiers amis, même si on n’avait que quelques heures à l’époque). Mais la puissance qui régissait le sort de toute l’humanité en cet instant précis se disait : Ben, il va en Amérique, non ? Je vois pas ce qui pourrait être mieux qu’un voyage en Amérique.

Ils ont trente-neuf parfums de glace, là-bas. Peut-être même plus.

Il y a un million de choses passionnantes à faire le dimanche après-midi, pour un gosse et son chien. Adam pouvait en imaginer quatre ou cinq cents sans se forcer. Des activités palpitantes, des choses fascinantes, conquérir des planètes, dompter des lions, découvrir et apprivoiser des mondes perdus grouillant de dinosaures en Amérique du Sud.

Il était assis dans le jardin et grattait la poussière avec un caillou, l’air triste et solitaire.

À son retour de la base aérienne, son père avait trouvé Adam en train de dormir – s’il fallait en croire les apparences, il avait passé toute la soirée au lit. Et il ronflait de temps en temps, pour plus de vraisemblance.

Toutefois, le lendemain au petit déjeuner, il devint évident que cela n’avait pas suffi. M r Young avait horreur de partir le samedi soir en expédition et de rentrer bredouille. Et si, par un hasard extraordinaire, Adam n’avait rien à voir avec les événements de la soirée – quelle qu’en soit la nature, personne ne s’était étendu sur les détails, on avait juste évoqué des « incidents » –, il avait forcément quelque chose à se reprocher. C'était l’attitude qu’avait adoptée M r Young, et elle avait prouvé sa validité au cours des onze dernières années.

Adam était assis dans le jardin, mélancolique. Le soleil d’août était suspendu au zénith d’un ciel d’août, pur et bleu, et derrière la haie chantait une grive. Mais ce gazouillis paraissait encore aggraver la condition d’Adam.

Toutou était assis à ses pieds. Il avait tenté de se rendre utile, essentiellement en exhumant un os enterré quatre jours plus tôt, et en le traînant jusque devant son maître. Adam s’était contenté de lui accorder un regard lugubre, et Toutou avait fini par emporter l’os pour procéder à une seconde inhumation. Il avait fait tout ce qu’il pouvait.

« Adam ? »

Adam se retourna. Trois visages l’observaient par-dessus la clôture du jardin.

« Salut, lança Adam lugubrement.

— Y a un cirque qui s’est installé à Norton, dit Pepper. Wensley était là-bas, et il les a vus. Ils commencent juste à s’installer.

— Ils ont des tentes et des éléphants et des jongleurs et des animaux presque sauvages etc et tout ! renchérit Wensleydale.

— On s’est dit qu’on pourrait peut-être aller les regarder s’installer », conclut Brian.

Un instant, l’esprit d’Adam fut envahi de visions de cirques. Un cirque en place, c’était nul. On voit sans arrêt des choses plus intéressantes à la télé. Mais un chapiteau qu’on dressecBien sûr qu’ils iraient tous, et ils les aideraient à dresser le chapiteau, et à laver les éléphants, et les gens du cirque seraient tellement impressionnés par le feelingnaturel d’Adam pour les animaux que ce soir, Adam (secondé par Toutou, le Corniaud Savant le plus Célèbre du Monde) conduirait la parade des éléphants autour de la piste etc

Inutile.

Il secoua tristement la tête. « J’peux aller nulle part. On me l’a interdit. »

Il y eut un silence.

« Adam, demanda Pepper, qu’est-ce qui s’est passé, hier au soir ? »

Adam haussa les épaules. « Des trucs. C’est rien. C'est toujours pareil. On cherche juste à aider les gens, et on vous traite comme un vrai meurtrier, ou chais pas quoi. »

Il y eut un nouveau silence, tandis que les Eux contemplaient leur chef déchu.

« Quand est-ce que tu crois qu’ils vont te laisser sortir, alors ? demanda Pepper.

— Pas avant des années et des années. Des siècles.Quand je pourrai enfin sortir, je serai un vieillard.

— Et demain ? » demanda Wensleydale.

Le visage d’Adam s’éclaira. « Oh, demain, y aura plus de problème, ils auront tout oublié, vous verrez, ils oublient toujours. » Il leva les yeux vers eux, Napoléon poussiéreux aux lacets défaits, exilé dans une Elbe de rosiers grimpants. « Allez-y, vous, dit-il avec un bref rire creux. Vous inquiétez pas pour moi. Ça ira. On se verra tous demain. »

Les Eux hésitèrent. La loyauté était une belle chose, mais on ne devait pas demander à des lieutenants de choisir entre leur chef et un cirque avec des éléphants. Ils s’en furent.

Le soleil continua de briller, la grive de pépier. Toutou abandonna son maître à son triste sort pour traquer un papillon sur l’herbe près de la haie. C’était une haie sérieuse, massive, impassible, drue de fusains bien entretenus. Adam la connaissait depuis longtemps. Au-delà s’étendaient des champs, des fossés boueux à cœur, des fruits verts, des propriétaires de vergers, irascibles mais trop lents, des cirques, des ruisseaux à endiguer, et des murs et des arbres faits pour l’escaladec

Mais la haie était impénétrable.

Adam parut songeur.

« Toutou, déclara-t-il sur un ton sévère, éloigne-toi de cette haie, parce que si tu passes à travers, il va falloir que je te coure après pour te rattraper, et que je sorte du jardin, et j’ai pas le droit. Mais je serai obligéc si tu t’en vas par là. »

Toutou sauta sur place, surexcité, mais il resta où il était.

Adam regarda autour de lui, prudemment. Puis, encore plus prudemment, il regarda en Haut et en Bas. Et à l’intérieur.

Et puisc

Maintenant,il y avait un gros trou dans la haie – assez grand pour qu’un chien puisse le franchir et qu’un petit garçon se faufile à sa poursuite. Et c’était un trou qui avait toujours existé.

Adam cligna de l’œil à Toutou.

Toutou traversa, en galopant, le trou dans la haie. Et, criant haut, d’une voix claire et distincte : « Toutou, vilain chien ! Arrête ! Reviens ! » Adam plongea à sa poursuite.

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