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— c qui lui était adressée », compléta Newt

M r Baddicombe recula précipitamment au fond de son siège. « Ma parole. Comment avez-vous deviné ?

— Je crois reconnaître ce style, grinça Newt. Que leur est-il arrivé ?

— Vous connaissez déjà l’histoire ? s’enquit M r Baddicombe, soupçonneux.

— Pas exactement. Ils n’ont pas péri dans une explosion ?

— Eh bienc On pense que M r Cranby a eu une attaque cardiaque. Et M r DeHasard est devenu très pâle et a remis la lettre dans son enveloppe, à ce qu’on m’a donné à entendre. Ensuite, il a catégoriquement interdit qu’on ouvre le coffret de son vivant Il a annoncé que le premier qui s’y risquerait serait licencié sans lettre de recommandation.

— Épouvantable menace, jugea Newt, sarcastique.

— Ça l’était, en 1928. Enfin, bref, les lettres sont dans la boîte. »

Newt écarta les rabats de carton. À l’intérieur se trouvait un petit coffre bardé de fer. Il n’avait pas de serrure.

« Allez-y, ouvrez-le, encouragea M r Baddicombe, excité. Je dois avouer que j’aimerais beaucoup savoir ce qu’il contient. Nous avons fait quelques paris là-dessus, à l’étudec

— Je vous propose quelque chose, annonça Newt, généreux. Je nous prépare un peu de café et vous pouvez l’ouvrir.

— Moi ? Est-ce bien convenable ?

— Pourquoi pas ? » Newt étudia les casseroles pendues au-dessus du fourneau. L’une d’entre elles était assez grande pour ce qu’il projetait de faire. « Allez, soyez hardi. Ça ne me gêne pas. Jec je vous donne mac ma procuration, ou je ne sais quoi. »

M r Baddicombe retira sa gabardine. « Eh bien, dit-il en se frottant les mains, puisque vous présentez les choses ainsic Ce sera une histoire à raconter à mes petits-enfants. »

Newt saisit la casserole et posa doucement la main sur la poignée de la porte. « J’espère bien, dit-il.

— Allons-y. »

Newt entendit un infime couinement.

« Qu’est-ce que vous voyez ?

— Les deux lettres décachetéesc oh, et une troisièmec adressée àc »

Newt entendit le craquement d’un cachet de cire qu’on brise et un tintement sur la table. Il y eut un hoquet, un fracas de chaise renversée, un bruit de course précipitée dans l’entrée, un claquement de portière et le mugissement d’un moteur de voiture brutalement réveillé, qui disparut à vive allure sur la petite route.

Newt retira la casserole qui le coiffait et émergea de derrière la porte.

Il ramassa la lettre et ne fut pas totalement surpris de constater qu’elle était adressée à M r G. Baddicombe. Il la déplia.

Elle disait : « Voici un florin, tabellion ; maintenant, e fchappe-toi pre ftement, de crainte que le Monde ne sa fche la Vérité sur ton compte et celui de Damoi felle Spiddon, l’e fclave attachée à la machine à e fcrire. »

Newt regarda les autres lettres. Sur le papier craquant de celle qui était adressée à George Cranby, on lisait : « Retire ta main felonne, Maiftre Cranby. J’avois cognaissance de la façon dont tu volas la Veuve Palshkin à la dernière Saint Mifchel, vieux grigou, vil bi fcoteur. »

Newt se demanda ce que pouvait être un biscoteur. Il était prêt à parier que ça n’avait rien à voir avec la cuisine.

Celle qui attendait le fouineur M r DeHasard disait : « Tu les as abandonnés, la fche. Remetz ce fte epi ftre en place, si point ne veucz que le monde safche ce qui e ftoit advenu le fept de juin mil neuf cent seize. »

Sous les lettres se trouvait un manuscrit. Newt le fixa.

« Qu’est-ce que c’est ? demanda Anathème.

Il pivota sur ses talons. Appuyée au chambranle, elle ressemblait à un charmant bâillement sur jambes.

Newt recula jusqu’à la table. « Oh, rien. Une erreur de livraison. Rien du tout. Juste un vieux livre. Des réclames. Tu sais commentc

— Un dimanche ? » dit-elle en l’écartant.

Il eut un mouvement d’épaules fataliste tandis quelle tendait les mains vers le manuscrit jauni et le sortait du coffret.

«  Les Nouvelles belles et bonnes prophéties d’Agnès Barge,lut-elle lentement. Où l'on évoque le Monde qui Eftoit à venir. La Saga continue !Oh, monc »

Elle le déposa avec révérence sur la table et se prépara à tourner la première page.

La main de Newt se posa doucement sur la sienne.

« Regarde les choses sous cet angle : tu tiens vraiment à rester une descendante le reste de ta vie ? »

Elle leva les yeux et ils se regardèrent.

C’était dimanche, le premier jour du reste du monde, aux alentours de onze heures et demie.

St James’s Park était relativement calme. Les canards, experts en realpolitikvue du côté pain, attribuaient cela à un apaisement de la tension internationale. C’était bien le cas, mais beaucoup de gens, dans leur bureau, cherchaient à en comprendre les raisons, à savoir où l’Atlantide avait pu disparaître avec à son bord trois comités d’enquête internationaux, et à tirer au clair ce qui était arrivé la veille à tous leurs ordinateurs.

Le parc était déserté, à l’exception d’un membre du MI9, occupé à recruter quelqu’un qui, à leur futur embarras mutuel, s’avérerait déjà appartenir au MI9, et d’un grand type qui jetait du pain aux canards.

Et il y avait également Rampa et Aziraphale.

Ils se promenaient sur l’herbe côte à côte.

« Pareil pour moi, disait Aziraphale. La boutique est en parfait état. Pas la plus minuscule trace de suie.

— Enfin, je veux dire, on ne peut pas fabriquerune vieille Bentley, répondit Rampa. On ne peut pas imiter la patine. Mais elle était là, grandeur nature. Dans la rue. Impossible de voir la différence.

— Moi, en tout cas, je peux la voir. Je suis bien sûr de n'avoir jamais eu en stock des livres comme Le Club des Cinq sur Mars, Jack Code, Pionnier du Far West,le Guide pour les garçons des 101 façons de s’amuserou Les Pirates de la Mer des Sanguinaires.

— Oh, mince. Toutes mes condoléances », dit Rampa, qui savait quel prix l’ange avait attaché à sa collection de livres.

« Pas de quoi, repartit joyeusement Aziraphale. Ce sont des premières éditions en parfait état. J’ai regardé les cotes dans le Guide Skindle.Je crois que l’expression en vigueur est : aïe aïe aïe !

— Je croyais qu’il devait ranger le monde comme il était.

— Oui. Plus ou moins. De son mieux. Mais il a aussi le sens de l’humour. »

Rampa lui coula un regard de biais.

« Ton côté s’est manifesté ? demanda-t-il.

— Non. Et le tien ?

— Non.

— Je crois qu’ils veulent donner l’impression que rien ne s’est passé.

— Mon côté aussi, je suppose. Les bureaucrates sont comme ça.

— J’ai l’impression que mon côté attend de voir comment les choses vont évoluer », supputa Aziraphale.

Rampa hocha la tête. « Un répit pour reprendre un peu leur souffle. La chance d’effectuer un réarmement moral. Remettre les défenses à niveau. Se préparer pour le Grand Jour. »

Au bord de l’étang, ils regardèrent les canards se ruer sur le pain.

« Pardon ? demanda Aziraphale. Je croyais que le Grand Jour, c’était hier ?

— Je n’en suis pas sûr. Réfléchis. Si tu veux mon avis, le véritable Grand Jour, ce sera Nous tous contre Eux tous.

— Attendsc Tuveux dire le Ciel et l’Enfer contre l’humanité ?

— Évidemment, s’il a tout changé, il s’est peut-être changé lui-même, répondit Rampa avec un haussement d’épaules. Il a pu se débarrasser de ses pouvoirs. Décider de rester humain.

— Oh, j’espère bien. En tout cas, je suis bien certain que l’autre solution ne serait pas autorisée. Euhc Je me trompe ?

— Je n’en sais rien. On ne peut jamais être sûr de ce qui est prévu. Chaque plan en cache d’autres.

— Pardon ?

— Eh bien », répondit Rampa qui avait tant réfléchi à la question qu’il en avait la migraine, « tu ne t’es jamais posé des questions ? Tu sais – ton côté, le mien, le Bien, le Mal, tout ça ? Je veux dire : pourquoi ?

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