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« Eh bien, voilà, c’est fini, dit-il.

— Non, répliqua Rampa. Ce n’est pas fini, vois-tu. Pas du tout.»

Maintenant, les nuages se trouvaient au-dessus d’eux, et ils se tordaient comme une casserole de tagliatelles bouillant au grand galop.

« Tu vois », poursuivit Rampa, la voix emplie d’une noirceur fataliste, « rien n’est aussi simple. On pense que les guerres commencent parce qu’un vague duc s’est fait tirer dessus, que quelqu’un a coupé l’oreille de quelqu’un d’autre, ou qu’on a installé des missiles à l’endroit qu’il ne fallait pas. Ça n’est pas ça du tout. Ce sont juste desc eh bien, des raisons,mais elles n’ont aucun rapport. En réalité, les guerres commencent parce que deux factions ne peuvent plus se supporter. Alors, la pression monte de part et d’autre, et finalement, le premier prétexte venu fait l’affaire. N’importe quoi. Comment t’appelles-tuc euhc mon garçon ?

— C’est Adam Young », annonça Anathème en arrivant sur les lieux, Newt sur ses talons.

« C’est ça : Adam Young, confirma Adam.

— Bien joué. Tu as sauvé le monde. Prends une demi-journée de repos, lui dit Rampa. Mais ça ne changera rien.

— Je crois que tu as raison, dit Aziraphale. Je pense que les miens ont envie de voir s’accomplir l’Apocalypse. C’est très triste.

— Est-ce que quelqu’un aurait l’obligeance de nous expliquer ce qui se passe ? » intima sévèrement Anathème en croisant les bras.

Aziraphale haussa les épaules. « C'est une très longue histoirec

Anathème redressa le menton. « Eh bien, allez-y.

— D'accord. Au Commencementc »

Un éclair jaillit, frappa le sol à quelques mètres d’Adam et resta en place, en une colonne trépidante qui s’élargit à la base, comme si l’électricité emplissait un moule invisible. Les humains reculèrent jusqu’à la jeep.

La foudre disparut. Un jeune homme de feu doré se tenait au même endroit.

« Ô misère ! fit Aziraphale. C’est lui.

— Lui qui ? demanda Rampa.

— La Voix de Dieu, répondit l’ange. Le Métatron. »

Les Eux écarquillaient les yeux.

Puis Pepper déclara : « Non, c’est pas lui. Le Métatron, il est en plastique, pis il a des canons laser, pis il peut se transformer en hélicoptère.

— Tu confonds avec le Mégatron Cosmique, intervint Wensleydale d’une petite voix. J’en ai eu un, mais la tête s’est cassée. Je crois que celui-là, c’est autre chose. »

Le beau regard vide se posa sur Adam Young, puis se détourna brusquement pour considérer le béton à côté de lui, qui était entré en ébullition.

Une silhouette monta du sol en fusion à la façon d’un roi des démons dans une pantomime. Mais de cette pantomime-là, personne ne serait sorti vivant, et il aurait fallu incendier le théâtre sous la supervision d’un prêtre après la représentation. Elle ne différait guère de la silhouette précédente, sinon que ses flammes étaient rouge sang.

« Hem, bafouilla Rampa en tentant de se ratatiner dans son fauteuil. Euh, salutc »

La chose rouge ne lui accorda que le plus bref des regards, comme si elle enregistrait sa présence en vue de consommation ultérieure, puis elle dévisagea Adam.

Quand elle parla, sa voix évoquait le décollage précipité d’un million de mouches.

Le démon bourdonna un mot qui donna aux auditeurs humains l’impression de sentir une lime remonter le long de leur colonne vertébrale.

Il s’adressait à Adam, qui répondit : « Hein ? Non, j'vous l’ai déjà dit. Je m’appelle Adam Young. » Il toisa le nouveau venu. « Et vous ?

— Belzébuth, lui annonça Rampa. C’est le Seigneur desc

— Merzzi, Rampza, dit Belzébuth. Il faudra que nous zzzayons une converszzation zzérieuzze. Je zzzuis zzzer-tain que tu as beaucoup de chozzes à me dire.

— Hem, vous voyez, en fait, ce qui s’est passé, c’est quec

— Zzzilenzze !

— Bien. Très bien, s’empressa de dire Rampa.

— Parfait. Adam Young, dit le Métatron, même si nous avons apprécié ton aide jusqu’ici, bien entendu, nous insistons pour que l’Apocalypse ait lieu tout de suite. Il y aura probablement quelques inconvénients passagers, mais ils peuvent difficilement entraver l’instauration du plus grand Bien.

— Ah, souffla Rampa à l’adresse d’Aziraphale, il veut dire que nous devons détruire le monde pour le sauver.

— Quant à zzavoir ce qu’ils zzzentravent, zzze n’est pas zzencore dézzzidé, zonzonna Belzébuth. Mais la dézziz-zion doit zzze faire immédiatement, mon garzzon. Tel est ton dezztin. C’est écrit ainzzi. »

Adam prit une profonde inspiration. Les spectateurs humains retinrent leur souffle. Pour leur part, Rampa et Aziraphale avaient oublié depuis longtemps comment on respire.

« Je vois vraiment pas pourquoi il faut que tout le monde et toute la Terre soient brûlés et tout, répondit Adam. Y a des millions de poissons et de baleines, et des arbres etc et des moutons etc tout ça. Et c'est même pas pour une raison importante. C’est juste pour voir qui a la bande la plus forte. C’est comme nous et les Johnsoniens. Mais même si vous gagnez, vous pouvez pas vraiment battre les gens d’en face, parce que vous y tenez pas réellement. Enfin, pas une fois pour toutes, j’veux dire. Vous allez juste recommencer à zéro, et continuer d’envoyer des types comme eux », il indiqua du doigt Rampa et Aziraphale « pour que les gens sachent plus où ils en sont. C’est déjà assez difficile d’être les gens, sans que d’autres viennent vous brouiller les idées. »

Rampa se tourna vers Aziraphale.

« Les Johnsoniens ? » chuchota-t-il.

L’ange haussa les épaules. « Une secte schismatique primitive, je crois, répondit-il. Proche des Gnostiques. Comme les Ophites. » Son front se plissa. « À moins que ce ne soient les Séthites ? Non, je confonds avec les Collyridiens. Ô misère ! Je suis désolé, il y en a des centaines, c’est tellement difficile de ne pas se perdre.

— Des gens à qui on a brouillé les idées, murmura Rampa.

— Tout cela importe peu ! s’écria le Métatron. Le but ultime de la création de la Terre, du Bien et du Malc

— J’vois pas ce qu’il y a de super à créer des gens comme ils sont, et puis à s’énerver parce qu’ils se conduisent comme des gens, intervint Adam avec sévérité. Et puis, de toute façon, si vous arrêtiez de dire aux gens que tout s’arrange après leur mort, ils commenceraient peut-être à mettre leurs affaires en ordre pendant qu’ils sont encore vivants. Si c’était moi le chef, j’essaierais de faire vivre les gens plus longtemps, autant que Mathusalem. Ça serait drôlement plus intéressant. Et puis, ils commenceraient peut-être à réfléchir à ce qu’ils font à l’environnement et à l’écologie, parce qu’ils seraient toujours là dans un siècle.

— Ah ! » dit Belzébuth, et il commença bel et bien à sourire. « Tu veux dominer le monde. Voilà qui rezzemble pluzz à tonPèrc

— J’ai bien réfléchi, et je veux pas », dit Adam en se tournant à demi pour adresser un petit signe de tête encourageant aux Eux. « J’veux dire : y a des trucs qu’il vaudrait mieux changer, mais çhuppose qu’y aurait des gens qui viendraient me voir pour que j’arrange plein de machins tout le temps, que je les débarrasse de leurs ordures, et que je fasse d’autres arbres, et ça sert à quoi, tout ça ? C’est comme s’il fallait que je range la chambre des gens à leur place.

— T'as jamais rangé la tienne, fit Pepper dans son dos.

— J’ai jamais parlé de ma chambre », dit Adam, en faisant référence à une pièce dont la moquette avait disparu à la vue des mortels depuis plusieurs années. « Je parle des chambres en général. Pas de la mienne en particulier. C'est une métaforte. C’est tout ce que je dis. »

Belzébuth et le Métatron se regardèrent.

« Enfin, bref, c’est déjà durde devoir tout le temps imaginer des trucs pour pas que Pepper, Wensley et Brian s’embêtent, mais le monde, j’en ai tout ce qui me faut. Merci bien. »

Le visage du Métatron commença à adopter l’expression caractéristique de tous ceux qui étaient confrontés aux raisonnements bien particuliers d’Adam.

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