Литмир - Электронная Библиотека
A
A

« Super », fit Pepper, tandis que le reste de la troupe s’écroulait, « t’as fait ça comment ?

— Eh ben, répondit Adam avec prudence, tu te souviens de cette histoire d’hypnotisme qu’on n’a jamais réussi à faire marcher, dans le Guide pour les garçons des 101 façons de s’amuser ?

— Oui ?

— Eh ben, voilà, c’est un peu ça, sauf que j’ai trouvé comment il faut faire. » Il se retourna vers le centre de communications.

Il se prépara, et son corps se déplia, abandonnant son habituelle attitude avachie, pour une posture droite qui aurait fait la fierté de M r Tyler.

« Bien », dit-il.

Il réfléchit un instant

« Venez et voyez », dit-il ensuite.

Si on retirait la Terre en ne laissant en place que l’électricité, elle ressemblerait à la plus belle dentelle jamais tissée – une boule de fils d’argent scintillant, avec çà et là la la flèche chatoyante d’un faisceau satellite. Même les zones sombres luiraient, grâce aux ondes radar et aux réseaux de radios commerciales. L’ensemble pourrait constituer le système nerveux d’un immense animal.

Par-ci, par-là, les grandes villes forment des nœuds dans la toile, mais pour l’essentiel, l’électricité n’est que du muscle, si l’on peut dire, employé aux travaux grossiers. Pourtant, depuis une cinquantaine d’années, les gens ont doté l’électricité d’un cerveau.

Et maintenant, elle vivait, tout comme le feu est vivant. Des circuits se fermaient et se soudaient en place. Des relais fondaient. Au cœur de puces de silicone dont l’architecture microscopique ressemblait à un plan miniature de Los Angeles s’ouvraient de nouvelles avenues. À des centaines de kilomètres de là, des alarmes retentissaient dans des chambres fortes confidentielles et des hommes horrifiés contemplaient ce qu’affichaient leurs écrans. De lourdes portes d’acier se refermaient délibérément sur des montagnes secrètement évidées, laissant de l’autre côté les gens marteler le vantail de leurs poings et se colleter avec des fusibles fondus. Dans certains déserts ou toundras, des pans de terrain s’escamotaient pour ouvrir à l’air libre des tombes climatisées, et des silhouettes massives se mettaient pesamment en position.

L’électricité désertait ses cours normaux pour irriguer des zones qui auraient dû lui être interdites. Dans les villes, les feux de circulation s’éteignirent, vite imités par l’éclairage urbain, et enfin par toutes les lumières. Les ventilateurs ralentirent, hésitèrent et s’arrêtèrent. Les résistances des radiateurs virèrent au noir. Les ascenseurs se bloquèrent. Les stations de radio s’étranglèrent, leur musique douce réduite au silence.

On a prétendu que vingt-quatre heures et deux repas chauds étaient tout ce qui séparait la civilisation de la barbarie.

La nuit s’étendait lentement sur la Terre en rotation. La planète aurait dû être piquetée de lumières. Ce n’était pas le cas.

Il y avait cinq milliards d’êtres humains, là en bas. À côté de ce qui allait bientôt se passer, la barbarie allait ressembler à un banal pique-nique – chaud et pénible, avant que les fourmis n’attaquent.

La Mort se redressa. Il semblait écouter attentivement. Quoi ? La question restait entière.

Il est arrivé, dit-il.

Les trois autres levèrent la tête. Il y eut un changement quasi impalpable dans leur attitude. Un instant avant que la Mort ne parle, leur être, la partie de leur être qui ne marchait pas, qui ne s’exprimait pas comme des êtres humains, avait été déployée sur le monde. Maintenant, ils étaient de retour.

Plus ou moins.

Ils avaient en eux quelque chose d’étrange. Comme on peut porter des vêtements mal ajustés, ils portaient des corps qui ne leur allaient pas. Famine ressemblait à une radio mal réglée sur la station émettrice, si bien que le signal dominant – celui d’un homme d’affaires agréable, entreprenant, comblé – commençait à s’enliser sous les très anciens et très horribles parasites de sa personnalité de base. L’épiderme de Guerre luisait de transpiration. Celui de Pollution luisait, simplement.

« Toutc est en place », annonça Guerre, s’exprimant avec difficulté. « Il ne reste plusc qu’à laisser faire.

— Il n’y a pas que le nucléaire, développa Pollution. Il y a les produits chimiques. Des milliers de litres de produits dans dec petits réservoirs dispersés dans le monde entier. Des liquides splendidesc avec des noms à dix-huit syllabes. Et lesc vieux classiques. On dira tout ce qu’on voudra. Le plutonium peut bien nuire pendant des millénaires, mais l’arsenic est éternel.

— Et ensuitec l’hiver, compléta Famine. J’aime tant l’hiver. L’hiver donne une impression dec pureté.

— Ils vont récolterc ce qu’ils ont semé, déclara Guerre.

— Finies les récoltes », annonça froidement Famine.

Seule la Mort n’avait pas changé. Certaines choses ne changent jamais.

Les Quatre quittèrent le bâtiment. On remarquait que Pollution, quoiqu’il marchât, donnait l’impression de se répandre.

Et Anathème et Newton Pulsifer le remarquèrent.

C’était le premier bâtiment vers lequel ils se dirigeaient. Il semblait plus prudent de se mettre à l’abri plutôt que de rester dehors, où tout le monde s’agitait beaucoup. Anathème avait poussé une porte couverte de panneaux qui laissaient entendre que c’était une fatale erreur. Le vantail s’était ouvert docilement, pour se refermer et se verrouiller derrière eux.

Ils n’avaient guère eu le temps d’en débattre, après le passage des Quatre.

« C’était qui ? demanda Newt. Un genre de terroristes ?

— D'une façon très belle et bonne, je crois que tu as mis dans le mille, fit Anathème.

— Et cette conversation bizarre, c’était à quel sujet ?

— Peut-être bien la fin du monde, si tu veux mon avis. Tu as remarqué leurs auras ?

— Je peux pas vraiment dire, non.

— Pas belles du tout.

— Oh !

— En fait, c’étaient des auras négatives.

— Ah ?

— Comme des trous noirs.

— Et c’est pas bon, ça ?

— Non. »

Anathème jeta un œil noir sur les rangées d’armoires métalliques. Pour une seule et unique fois, en cet instant précis, simplement parce que ce n’était plus pour de rire mais bien réel, la machinerie qui allait provoquer la fin du monde, ou du moins de la tranche de monde qui s’étendait entre deux mètres de profondeur et la couche d’ozone, n’obéissait pas aux clichés traditionnels. On ne voyait aucun grand bidon rouge environné de lumières clignotantes. Pas de fils électriques entortillés, avec une pancarte « Coupez ici ». Pas d’écran digital affichant des numéros d'une taille suspecte, comptant à rebours vers un zéro qu’on parviendrait à éviter à quelques secondes de la fin. Ici, les armoires métalliques paraissaient massives, pesantes et tout à fait imperméables à un quelconque héroïsme de dernière minute.

« Il ne reste plus qu’à laisser faire quoi ? demanda Anathème. Ils ont déclenché quelque chose, non ?

— Il y a peut-être un interrupteur ? Je suis sûr qu’en cherchant un peuc

— Ce genre d’appareil est directement connecté à l’alimentation électrique. Ne dis pas de bêtises. Je croyais que tu connaissais parfaitement ces machines. »

Newt lui adressa un hochement de tête désemparé.

Il était loin des articles de L’Électronique à la portée de tous. Pour se donner une contenance, il jeta un coup d’œil derrière les armoires.

« Communications à l’échelle mondiale, marmonna-t-il. On pourrait pratiquement tout faire. Moduler la puissance principale, se brancher sur les satellites. Absolument tout. On pourrait » tchak« aïe, on pourrait » fritch« ouille, demander aux choses de faire » zaaakk« nnngh, à peu près » tschaaff« ouhc

— Comment tu te débrouilles là-dedans ? »

Newt se suçota le bout des doigts. Jusqu’ici il n’avait rien trouvé qui ressemblât à un transistor. Il s’enveloppa la main dans un mouchoir et arracha deux ou trois cartes à leur logement.

79
{"b":"221328","o":1}