« Mc moi ? » demanda-t-il.
Le silence se prolongeait interminablement, une seule note capable de noyer toutes les autres rumeurs du monde.
« Mais j’aurai Tadfield », répondit Adam.
Ils le regardèrent.
« Et puisc et puis Lower Tadfield, et Norton, et Norton Woodsc »
Ils continuaient à le regarder.
Le regard d’Adam passa sur leurs visages tour à tour.
« J’ai jamais rien voulu d’autre », dit-il.
Ils secouèrent la tête.
« Je peux les avoir, si je veux », insista Adam, la voix teintée d’un défi boudeur, et ce défi se parait soudain d’un liseré de doute. « Je peux aussi les améliorer, en plus. Des arbres bien mieux à grimper, des mares plus chouettes, desc »
Sa voix s’éteignit.
« Non, tu ne peux pas, déclara froidement Wensleydale. Ce n’est pas comme l’Amérique et tous les autres pays. C’est un endroit qui existe en vrai. Et puis, il nous appartient à tous. C’est à nous.
— Et puis, tu pourrais pas le changer en mieux, dit Brian.
— Et même si tu y arrivais, on verrait tous la différence, dit Pepper.
— Oh, si c’est ça qui vous inquiète, faut pas, répliqua Adam d’une voix détachée, passque je pourrais vous faire faire tout ce que je veuxc »
Il s’interrompit, quand ses oreilles captèrent, horrifiées, les mots que sa bouche venait de prononcer. Les Eux reculèrent.
Toutou se couvrit la tête de ses pattes.
Le visage d’Adam sembla retracer la chute d’un Empire.
« Non, dit-il d’une voix rauque. Non. Revenez ! Je vous l ’ordonne ! »
Ils se figèrent à mi-course.
Adam les regarda.
« Non, j'voulais pasc commença-t-il. Vous êtes mes copains. »
Une décharge électrique parut secouer son corps. Sa tête se rejeta en arrière. Il leva les bras et frappa le ciel de ses poings.
Son visage se tordit. Le sol de craie se fendit sous ses tennis.
Adam ouvrit la bouche et hurla. C’était un son dont une simple gorge humaine n’aurait pas dû être capable ; il serpenta hors de la carrière, se mêla à la tempête et fit tourner le lait des nuages, créant de nouvelles formes hideuses.
Le cri se prolongea.
Il résonna à travers l’univers entier, qui est bien plus petit que les physiciens ne le croient. Il fit vibrer les sphères célestes.
C’était un cri de deuil, et il ne s’arrêta pas avant très longtemps.
Mais il s’arrêta enfin.
Quelque chose disparut.
Adam baissa à nouveau la tête. Ses yeux s’ouvrirent.
On ne sait ce qui avait pu occuper la carrière auparavant, mais désormais, Adam Young était là. Un Adam Young plus avisé, mais Adam Young quand même. Et peut-être plus Adam Young qu’il ne l’avait jamais été auparavant.
Le terrible silence de la carrière fut remplacé par un silence plus coutumier, plus confortable : la simple et banale absence de bruit.
Libérés, les Eux se plaquèrent contre la falaise de craie, le regard fixé sur Adam.
« Tout va bien, dit tranquillement Adam. Pepper ? Wensley ? Brian ? Revenez. Tout va bien. Tout va bien.
Je sais tout, maintenant. Et il faut que vous m’aidiez. Sinon, tout va arriver. Ça va vraiment avoir lieu. Tout va se passer si on n’y fait rien. »
La tuyauterie du cottage des Jasmins chuinta, trembla et aspergea Newt d’une eau de couleur légèrement kaki. Mais elle était froide. C’était probablement la douche la plus froide que Newt ait jamais prise de sa vie.
Elle resta sans effet.
« Le ciel est rouge », annonça-t-il en revenant. Il se sentait sous l’emprise d’une légère démence. « À quatre heures et demie de l’après-midi. En plein mois d’août.Qu’est-ce que ça annonce ? En termes de satisfaction pour le personnel maritime, à ton avis ? Parce que si ciel rouge au matin réjouit le marin,il faut quoi pour faire plaisir au type qui tripote les consoles d’un superpétrolier ? À moins que ce soit le cœur du pèlerin qui soit réjoui ? Je ne me souviens jamais. »
Anathème regarda le plâtre qu’il avait dans les cheveux. La douche ne l’en avait pas débarrassé ; elle l’avait juste un peu mouillé et étalé, de telle sorte que Newt semblait porter un chapeau blanc garni de cheveux.
« Tu as dû te faire une belle bosse, dit-elle.
— Non, ça, c’est quand je me suis cogné la tête contre le mur. Tu sais, quand tuc
— Oui. » Anathème jeta un regard évaluateur par la fenêtre fracassée. « Tu dirais qu’il est couleur de sang ? demanda-t-elle. C’est très important.
— Je ne dirais pas ça », répondit Newt, le fil de ses pensées temporairement noué. « Pas de vrai sang. Rosâtre, plutôt. La tempête a dû projeter pas mal de poussière dans les airs. »
Anathème compulsait Les belles et bonnes prophéties.
« Qu’est-ce que tu fais ? demanda Newt.
— J'essaie d établir des corrélations. Je ne suis toujours pasc
— Je ne pense pas que ce soit la peine. Je sais ce que signifie le reste du n‹ 3477. Ça m’est venu pendant que jec
— Comment ça, tu sais ce que ça veut dire ?
— Je l’ai vu en arrivant ici. Et arrête de crier. J’ai mal à la tête. Je veux dire que je l’ai vu. C’est marqué à l’entrée de cette fameuse base aérienne. Ça n’a rien à voir avec le mot pays.C'est ”La paix est notre métier”. On inscrit ce genre de truc sur les pancartes à l’entrée des bases militaires. Tu sais bien : RAF 8657745‹Escadrille, Patrouille des démons bleus, la paix est notre métier.Des machins comme ça. » Newt se tenait la tête à deux mains. Pas de doute, son euphorie s’effaçait. « Si Agnès a raison, alors il doit y avoir là-bas un cinglé en train de remonter l’horlogerie de tous les missiles et de foutre en l’air les systèmes de sécurité. Ou je ne sais quoi.
— Non, affirma Anathème.
— Ah bon ? J’ai vu des films ! Donne-moi une bonne raison d’être si catégorique.
— Il n’y a pas de bombes là-bas. Ni de missiles. Tout le monde sait ça, dans la région.
— Mais c’est une base aérienne ! Il y a des pistes d’atterrissage !
— Seulement pour les avions de transport et les trucs comme ça. Ils ne possèdent que du matériel de communication. Des radios, tout le bazar. Rien qui puisse exploser. »
Newt la fixa, les yeux écarquillés.
Regardons Rampa foncer à cent soixante-dix à l’heure sur la M40, en direction de l’Oxfordshire. Même l’observateur le plus résolument distrait constaterait quelques signes inhabituels chez lui. Les dents crispées, par exemple ; ou la lueur rouge et sourde derrière ses lunettes noires. Et la voiture. La voiture était un indice qui ne trompait pas.
Rampa avait commencé le voyage avec sa Bentley, et qu’il soit maudit s’il ne le terminait pas de la même façon. Cela dit, même un mordu de voitures, du genre à posséder une paire de lunettes réservée spécialement à la conduite, aurait été incapable de reconnaître une Bentley de collection. Plus maintenant. Il n’aurait même pas su dire que c’était une Bentley. Quant à seulement affirmer qu’il s’agissait d’une voiture, il n’aurait pris les paris qu’à un contre un.
Pour commencer, elle n’avait plus de peinture. Certes, elle était encore noire aux endroits qui n’apparaissaient pas d’un brun-roux diffus et corrodé, mais, c’était un noir anthracite mat. Elle se déplaçait à l’intérieur de sa boule de feu personnelle, comme une capsule spatiale qui accomplit une rentrée particulièrement critique dans l’atmosphère.
Il restait une mince pellicule de caoutchouc craquelé et fondu autour de la jante des roues, mais comme celles-ci continuaient, on ne sait comment, à tourner, deux ou trois centimètres au-dessus de l’asphalte, la suspension n’en était pas affectée de façon drastique.
Elle aurait dû tomber en pièces depuis des kilomètres.
C’était la concentration nécessaire pour la maintenir en un seul bloc qui crispait les dents de Rampa, et le choc bio-spatial en retour qui allumait un feu rougeoyant dans ses prunelles. Tout ça, et les efforts qu’il déployait pour éviter de se mettre à respirer.