Les Eux se détendirent un peu. Avec les OVNIs, ils se trouvaient en terrain plus familier. Toutefois, les OVNIs New Age les laissaient sceptiques ; ils avaient poliment écouté Adam en discuter, mais les OVNIs modernes manquaient un peu de punch, quelque part.
« Eh ben moi, si j’étais une extratresse », déclara Pepper en exprimant l’opinion générale, « j’irais pas raconter à tout le monde des histoires d’harmonie mystique cosmique. Je dirais » et sa voix se fit rauque et nasillarde, comme quelqu’un que muselle un diabolique masque noir : « “Chechi est un canon lajer, alors obéisshez aux ordres, chien de rebelle.” »
Tout le monde l’approuva. Un de leurs jeux préférés dans la carrière s’inspirait d’une série de films très populaires, avec des lasers, des robots et une princesse dont la coiffure ressemblait à un casque stéréo™. (On avait tacitement décidé que si quelqu’un devait jouer le rôle de la princesse, il était hors de question que ce soit Pepper.) Mais le jeu s’achevait généralement par une bagarre pour déterminer qui porterait le seau à charbon™ et ferait exploser les planètes. Adam était le plus doué dans ce rôle – quand il était le méchant, on l’aurait vraiment cru capable de faire sauter le monde. De toute façon, les Eux penchaient en faveur des exploseurs de planètes, pourvu qu’ils puissent égalementsauver les princesses.
« J’suppose qu’ils faisaient ça, dans le temps, fit Adam. Mais ils ont changé. Ils sont tous entourés d’une espèce de lumière bleue brillante et ils voyagent pour faire le bien. Des espèces de policiers galactiques. Ils vont partout dire à tout le monde de vivre dans la paix et l’harmonie et tout ça. »
Il y eut un instant de silence pendant qu’ils méditaient sur ce scandaleux gaspillage d’OVNIs.
« Ce que je comprends pas, intervint Brian, c’est pourquoi on appelle ça des OVNIs, alors qu’on sait que c’est des soucoupes volantes. Je veux dire, c’est des Objets Volants Identifiés, maintenant.
— C’est parce que le gouvernement veut étouffer l’affaire, répondit Adam. Y a des millions de soucoupes volantes qui atterrissent tout le temps et le gouvernement veut tout étouffer.
— Pourquoi ? » s’étonna Wensleydale.
Adam hésita. Ses lectures n’avaient pas fourni de réponse simple à cette question ; le Nouvel Aquarien tenait simplement comme un des fondements de sa foi — celle de la revue autant que de ses lecteurs – le fait que le gouvernement étouffait tout.
« Parce que c’est le gouvernement, répondit simplement Adam. Ils font comme ça, les gouvernements. Y a un grand immeuble à Londres, il est plein de livres avec toutes les choses qu’ils ont étouffées. Quand le Premier ministre arrive pour travailler, le matin, la première chose qu’il fait, il lit une énorme liste de tout ce qui s’est passé pendant la nuit, et il met un gros tampon rouge dessus.
— Eh ben, moi, je crois plutôt qu’il commence par prendre une tasse de thé et ensuite, il lit le journal », fit Wensleydale qui, en une occasion mémorable pendant ses vacances, avait visité à l’improviste le bureau de son père, où il avait conçu certaines certitudes. « Et il discute de ce qui est passé la veille à la télé.
— Ouais, bon, d’accord, mais après ça, eh bien, il prend son grand livre et le gros tampon.
— Où y a marqué “à étouffer”, ajouta Pepper.
— Où y a marqué “Top Secret” », riposta Adam, irrité par cette tentative de créativité bipartisane. « C’est comme les centrales nucléaires. Elles sautent tout le temps, mais personne le sait jamais parce que le gouvernement étouffe toujours tout.
— Elles ne sautent pas tout le temps, s’indigna Wensleydale. Mon papa dit qu’elles sont drôlement sûres et que, grâce à elles, on n’est pas obligés de vivre dans une serre. Et puis, il y a une grande image de centrale dans ma BD 25 et personne ne dit nulle part qu’elles sautent tout le temps.
— Ouais, fit Brian, ben, tu me l’as prêtée après, ta BD, et je sais quel genre d’image c’était. »
Wensleydale hésita, puis déclara, la voix chargée d’une patience qui arrivait à bout : « Brian, ce n’est pas parce qu’il y avait marqué Vue éclatéec »
La conversation déboucha sur la courte bagarre traditionnelle.
« Bon, se fâcha Adam, si vous voulez pas que je vous parle de l’Air du Cerceau, vous le dites ! »
La bataille s’apaisa. Les pugilats n’étaient jamais bien sérieux dans la confrérie des Eux.
« Bien. » Adam se gratta l’occiput. « Voilà ! Avec tout ça, j’ai oublié où j’en étais resté.
— Les soucoupes volantes, fit Brian.
— Oui. C’est ça. Bon, eh ben, si vous en voyez un, d’OVNI volant, les types du gouvernement, ils viennent vous engueuler », reprit Adam, en retrouvant son élan.
« Dans une grosse voiture noire. Ça arrive tout le temps, en Amérique. »
Les Eux opinèrent d’un air entendu. Sur ce point au moins, le doute n’était pas de mise. Pour eux, l’Amérique était l’endroit où vont les Justes après leur mort. Ils étaient prêts à croire que tout pouvait arriver, là-bas.
« Ça doit faire des tas d’embouteillages, poursuivit Adam, tous ces types en voitures noires qui vont engueuler les gens qui ont vu des OVNIs. Ils vous disent que si vous continuez à en voir, il va vous arriver un Regrettable Accident.
— Se faire écraser par une grosse voiture noire, sans doute », fit Brian en grattant une croûte sur son genou sale. Son visage s’illumina. « Vous savez, mon cousin, il m’a dit qu’en Amérique, y a trente-neuf parfums de glaces ? »
La nouvelle réduisit même Adam au silence, brièvement.
« C’est même pas vrai, contra Pepper. Ça existe pas, trente-neuf parfums, dans tout le monde entier.
— Si, c’est possible, si on les mélange », intervint Wensleydale, en clignant des yeux comme un hibou. « Tu sais. Fraise et chocolat. Chocolat et vanille. » Il chercha d’autres parfums anglais. « Fraise et vanille et chocolat, ajouta-t-il, plus piteux.
— Et puis, y a l’Atlantide », jeta Adam en forçant la voix.
Là, il avait capté leur attention. L’Atlantide, ça leur plaisait. Les cités qui disparaissent sous les flots entraient tout à fait dans les cordes des Eux. Ils écoutèrent avec passion une histoire confuse de pyramides, de cultes bizarres et de secrets millénaires.
« Ça s’est passé d’un coup, ou lentement ? s’inquiéta Brian.
— Plus ou moins d’un coup, etlentement, répondit Adam, passqu'y en a plein qui sont partis en bateau dans d’autres pays pour leur apprendre les maths et l’anglais et l’histoire et tout ça.
— C’était vraiment pas une bonne idée, fit Pepper.
— Ça devait être bien, quand ça a coulé », fit Brian, rêveur, en se souvenant d’une inondation à Lower Tadfield. « Les gens qui livrent le lait et le journal en bateau et puis, pas pouvoir aller en classe.
— Si moi, j’avais été un Atlantidais, je serais resté. »
Cette remarque de Wensleydale fut saluée par des rires sarcastiques, mais il insista. « Il suffirait de porter un casque de plongeur, c’est tout. Et puis de clouer toutes les fenêtres et de remplir les maisons d’air. Ça serait super. »
Adam accueillit cette proposition avec le regard glacial qu’il réservait à tout Eux qui avait exprimé une idée qu’il aurait aimé avoir le premier.
« Ouais, ils auraient pu, concéda-t-il un peu lâchement. Après avoir envoyé les maîtres d’école en bateau. Peut-être que tous les autres sont restés quand ça a coulé.
— Ils auraient pas été obligés de se laver », nota Brian, que ses parents forçaient à se laver au-delà des nonnes tolérables en matière de salubrité, à son avis. Ce qui ne changeait rien. Brian manifestait une qualité d’incrustation. « Parce que tout resterait toujours propre. Et puisc et puis, on pourrait faire pousser des algues et des trucs dans le jardin, et on chasserait le requin. Et on aurait des pieuvres apprivoisées, et tout ça. Et y aurait pas d’école ou de trucs comme ça, parce qu’ils se sont débarrassés de tous les maîtres.