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            Je vous conseille aussi de goûter à leur pâté en croûte au foie gras et à la pistache qui se mariera parfaitement avec les tanins veloutés d’un bourgogne de la côte de Nuits. Si vous trouvez un gevrey-chambertin de 2006, jetez-vous dessus !

            Voilà mes suggestions. Vous verrez, c’est meilleur que la pizza surgelée…

            Emma

            P-S : Je viens de vérifier sur Internet : de Beacon Hill, vous pouvez même aller à Zellig Food à pied, mais dépêchez-vous, le magasin ferme à 22 heures…

            Matthew secoua la tête devant son écran. Personne ne s’était préoccupé de son bien-être depuis si longtemps… Puis il se reprit et s’insurgea aussitôt. De quel droit cette Emma Lovenstein se permettait-elle de lui dicter son emploi du temps de la soirée ?

            Agacé, il quitta sa messagerie électronique pour lancer son navigateur. Cédant à la curiosité, il tapa « Emma Lovenstein + sommelière » et lança la recherche. Il cliqua sur la première occurrence : un article en ligne de la revue Wine Spectator. Le papier datait de l’année dernière. Intitulé « Dix jeunes talents à suivre », il brossait le portrait de la nouvelle génération de sommeliers. Étonnamment, la majorité de ces « jeunes talents » étaient des femmes. L’avant-dernier portrait était celui d’Emma. Il était illustré d’un cliché tout en profondeur, pris dans la cave high-tech du restaurant Imperator. Matthew zooma sur la photo pour l’agrandir. Aucun doute possible : la jeune sommelière de l’article était bien la même personne que la femme qu’il avait aperçue sur les clichés de vacances trouvés sur le disque dur de l’ordinateur. Une jolie brune aux yeux rieurs et au sourire malicieux.

            Étrange…Pourquoi avait-elle prétendu que cet ordinateur ne lui appartenait pas ? Gêne ? Pudeur ? C’était probable, mais, dans ce cas, pourquoi avait-elle poursuivi leur conversation ?

            Le bruit du minuteur annonça la fin de la cuisson de la pizza.

            Au lieu de se lever, Matthew décrocha son téléphone pour appeler ses voisins. Il demanda si leur fille Elizabeth était disponible pour veiller sur Emily pendant une petite demi-heure. Il avait une course à faire chez Zellig Food et il devait partir tout de suite : le magasin fermait ses portes à 22 heures…

            *

            Boston

            Quartier de Back Bay

            1 heure du matin

            Le pub vibrait au rythme des basses d’un tube electro-dance. April joua des coudes pour s’extraire de la foule du Gun Shot et fumer une cigarette.

            Oups, je suis un peu pompette, moi…songea-t-elle en trébuchant sur la bordure du trottoir. L’air frais de la nuit lui fit du bien. Elle avait trop bu, trop dansé, trop dragué. Elle rajusta la bretelle de son soutien-gorge en regardant sa montre. Il était déjà tard. Avec son portable, elle commanda une voiture auprès d’une compagnie de taxis puis porta une cigarette à ses lèvres tout en cherchant du feu dans son sac.

            Où est passé ce fichu briquet ?

            – C’est ça que tu cherches ? demanda une voix derrière elle.

            April se retourna et découvrit une jeune femme blonde au sourire lumineux. Julia, la fille qu’elle n’avait cessé de dévorer des yeux pendant toute la soirée et qui n’avait répondu à aucune de ses avances. Cheveux courts californiens, regard pétillant, silhouette gracieuse de sylphide juchée sur des escarpins stratosphériques : tout à fait le genre d’April.

            – Tu l’as oublié sur le comptoir, expliqua la jeune femme en faisant jaillir une flamme d’un briquet en nacre et en laque rose.

            April se rapprocha pour allumer sa cigarette. Hypnotisée par la peau diaphane, la bouche sensuelle et les traits délicats de celle qui lui faisait face, elle sentit un désir fébrile éclore au creux de son ventre.

            – On ne s’entend plus parler à l’intérieur, remarqua Julia.

            – C’est vrai. Cette musique, ce n’est plus de mon âge, plaisanta April.

            Un appel de phares attira l’attention des deux fêtardes.

            – C’est mon taxi, expliqua April en désignant la voiture qui s’arrêtait devant le pub. Si tu veux en profiter…

            Pendant quelques secondes, Julia fit mine d’hésiter. C’était elle qui menait le jeu et elle le savait.

            – D’accord, c’est sympa. Ça ne te fera pas un gros détour. J’habite juste à côté, sur Pembroke Street.

            Les deux femmes montèrent à l’arrière du véhicule. Tandis que le taxi quittait les quais de la Charles River, Julia posa délicatement la tête sur l’épaule d’April, qui eut terriblement envie de l’embrasser. Elle n’en fit rien, gênée par le regard insistant de leur chauffeur.

            Si tu crois que tu vas pouvoir te rincer l’œil comme ça…le défia-t-elle en fixant le rétroviseur.

            Le trajet fut rapide et, moins de cinq minutes plus tard, la voiture s’immobilisa au milieu d’une ruelle bordée d’arbres.

            – Si tu veux monter prendre un verre… proposa négligemment Julia. Une de mes anciennes copines de fac m’a envoyé une boisson à la pulpe d’aloès. Un truc étonnant qu’elle fabrique elle-même ! Tu vas adorer.

            April esquissa un sourire, ravie de l’invitation ; pourtant, au moment décisif, quelque chose la retint. Une inquiétude sourde qui la taraudait et contrebalançait son désir. Cette Julia lui avait vraiment tapé dans l’œil, mais elle se faisait du souci pour Matthew. En début de soirée, lorsqu’elle l’avait quitté, il lui avait paru particulièrement déprimé, peut-être même sur le point de commettre une bêtise… C’était sans doute absurde, mais elle ne pouvait s’enlever cette idée de la tête. Elle se voyait rentrer à la maison pour le trouver pendu à une poutre ou dans un coma médicamenteux.

            – Écoute, ça aurait été avec plaisir, mais là, je ne peux pas, bredouilla-t-elle.

            – D’accord, j’ai compris… se vexa Julia.

            – Non, attends ! Donne-moi ton numéro. On pourrait…

            Trop tard. La jolie blonde avait déjà refermé la portière.

            Et merde…

            April soupira puis demanda au chauffeur de la conduire à l’angle de Mount Vernon et de Willow Street. Pendant tout le trajet, elle se rongea les sangs. Elle ne connaissait Matthew que depuis un an, mais elle s’était vraiment attachée à lui et à la petite Emily. Si elle était touchée par sa détresse, elle ne savait malheureusement pas comment l’aider : Matthew portait à sa femme une telle dévotion qu’April ne voyait pas comment une autre prétendante pourrait, à court terme, trouver une place dans sa vie. Kate était brillante, belle, jeune, altruiste. Quelle femme est capable de rivaliser avec une chirurgienne cardiaque au physique de mannequin ?

            La voiture arriva au pied de la townhouse. April régla sa course et ouvrit la porte de la maison en essayant de ne pas faire trop de bruit. Elle pensait trouver Matthew en train de ronfler, affalé sur le canapé, assommé par son cocktail de bière et d’anxiolytiques. Au lieu de ça, elle le découvrit tranquillement installé derrière l’écran de son nouvel ordinateur. Sa tête dodelinait au rythme d’un air de jazz et un sourire guilleret éclairait son visage.

            – Déjà rentrée ? s’étonna-t-il.

            – Ben ça va, cache ta joie de me revoir ! lui répondit-elle, soulagée.

            Sur l’îlot de la cuisine, elle repéra les bouteilles de vin entamées ainsi que les restes de fromages fins et de pâté en croûte.

            – On ne se refuse rien, à ce que je vois ! Tu es sorti faire des courses ? Je croyais pourtant que tu ne voulais pas quitter ta tanière.

            – J’en avais assez de manger des surgelés, se justifia-t-il maladroitement.

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