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— En effet, monsieur, répliqua l’infant, qui raconta en détail à Juve les conditions dans lesquelles la porte de sa remise avait été fracturée, puis comment la voiture avait disparu.

Et Juve, à son tour, dit à l’infant d’Espagne les incidents survenus la veille au soir.

Or, tandis qu’il parlait, l’infant était très pâle. Il se troubla tout à fait, lorsque Juve lui déclara :

— Ce qu’il y a de curieux, monseigneur, c’est que, à quelques exceptions près, les manifestations de ce fantôme extraordinaire se produisent toujours dans le voisinage immédiat du caveau de la famille de Gandia. Pourriez-vous en conclure quelque chose ?

— Non, balbutia l’infant.

Juve, après une minute d’hésitation, interrogea encore :

— Permettez-moi, monseigneur, puisque j’ai l’honneur de vous rencontrer, de vous demander de préciser certains détails de votre existence.

— Parlez.

— Voilà, fit Juve. On s’est étonné, à Paris de l’existence de M lle Mercédès de Gandia, existence que l’on a connue surtout le jour de son décès.

— Ma nièce, observa l’infant, vivait très retirée. Son père était mort, il y a de cela six mois à peine, et ni l’un ni l’autre n’avaient jusqu’alors habité Paris, c’est pour cela que Mercédès était peu connue de mon entourage parisien.

Juve poursuivit :

— Permettez-moi, monseigneur, une question plus délicate. Vous êtes célibataire, n’est-il pas vrai ?

— Oui, monsieur.

— Dès lors, monseigneur, comme tout célibataire j’imagine que vous avez des relations féminines. Des aventures galantes, parfois, et des personnes un peu de tous les mondes ?

L’infant rougit, esquissa un sourire.

— Mon Dieu, monsieur, évidemment, mais je ne comprends pas ?

— Est-il vrai, monseigneur, qu’il y a deux mois environ, vous avez cherché à enlever, étant à Biarritz, une femme, une femme mariée, connue sous le nom de Delphine Fargeaux ?

L’infant baissa la tête. Fort gêné, mais sincère, il se mit en mesure de répondre :

— Vous êtes bien renseigné, monsieur. Il y a beaucoup de vrai. Tout au moins dans les intentions. Mais l’affaire n’a pas eu de suite. L’enlèvement ne s’est pas effectué.

— Je le sais, fit Juve, mais n’avez-vous pas essayé d’enlever en son lieu et place une autre personne ?

— Non, monsieur. Si on a fait courir le bruit que j’avais enlevé une autre femme, c’est là une accusation fausse.

— Je n’insiste pas, déclara Juve, qui s’inclina.

De son côté, l’infant n’insista pas pour retenir le policier et le reconduisit avec empressement. Sur le seuil de la porte, Juve, cependant, s’arrêta :

— Permettez-moi, fit-il, encore une question.

— Parlez, monsieur.

— Par le fait du décès de M lle Mercédès de Gandia, vous héritez, n’est-il pas vrai, de son immense fortune ?

L’infant d’Espagne eut un sursaut. Il toisa le policier.

— Monsieur, pourquoi cette question ?

— C’est un simple renseignement, monseigneur, que je sollicite de votre obligeance.

— Dans ce cas, fit-il, je veux bien vous répondre. Il est exact, en effet, que j’hérite de ma nièce.

Juve s’inclina :

— Merci, monseigneur.

 Cette fois, il s’en alla pour de bon. L’Altesse royale le reconduisit jusqu’à l’entrée du jardin.

— Adieu, monsieur, déclara don Eugenio, qui semblait fort satisfait de voir enfin se terminer cet entretien.

— Au revoir, monseigneur. Je ne vous dis pas adieu, mais au revoir.

19 – CONDAMNÉ À MORT

— Mon frère, je viens vous voir pour vous rappeler que la vie est peu de chose et que l’éternité est tout.

— Jamais de la vie, vous venez pour m’embêter.

— Mon frère, je viens vous supplier de songer à la félicité éternelle.

— Je m’en contrefous !

— Mon frère, il faut vous repentir.

— Allons donc, je suis un petit saint.

— Si vous continuez à être sacrilège, vous brûlerez dans les tourments de l’enfer.

— Eh bien, ça me réchauffera. J’ai eu froid toute ma vie.

— Mon frère, le remords ne vous laissera pas de répit tant que vous ne vous serez point confié à la miséricorde du Seigneur.

— Ah non, je vous en prie, foutez-moi la paix ! Je ne sais pas ce que c’est que le remords et je dors sur mes deux oreilles. Aussi, la ferme, hein ? D’abord, quelle heure est-il ?

— L’heure du châtiment.

— Jésuite, va ! Quelle heure est-il, sacré bon sang ! À quelle heure est-ce que vous servez le châtiment, ici ?

Secouant la tête, scandalisé par les propos impies qu’il venait d’entendre, le moine qui depuis quelques minutes tâchait d’émouvoir Fandor se retirait lentement, sans ajouter un mot.

Derrière lui, la porte se ferma, Jérôme Fandor, au comble de la rage, tendit le poing.

— Dieu, qu’ils sont embêtants, rasoirs, monteurs de coups et balanstiqueurs, ces individus !

Il se recoucha rageusement, essaya de fermer les yeux.

Où était donc Jérôme Fandor ?

Lorsque, avec une audace incroyable, Fantômas, déguisé en don Eugenio, vêtu des habits de cour de l’infant, avait désigné Jérôme Fandor aux gardes civils qui accouraient à son appel, le journaliste avait été si ahuri par l’extraordinaire audace du bandit qu’il n’avait pas tout d’abord songé à protester.

Fandor ne se rendait point compte d’ailleurs très précisément de la gravité des charges qui pesaient sur lui.

— Ça va mal, se déclara tout bonnement Fandor au moment où les gardes le jetaient dans une cellule dont ils fermèrent la lourde porte.

Quelques instants plus tard, le malheureux journaliste était beaucoup moins tranquille.

Non seulement il se rendait mieux compte de ce qui s’était passé, mais encore il avait peur de trop bien deviner ce qu’il allait advenir de lui :

— Misère de sort ! jurait Fandor, moins gai que précédemment et pourtant s’efforçant de plaisanter encore, ces sacrés imbéciles-là vont avoir découvert le corps du garde civil à moitié écrabouillé par l’exquise Recuerda, de plus ils vont m’accuser d’être entré avec de mauvais desseins dans leur château, tout cela pourrait bien me jouer un vilain tour.

Qu’était devenue la Recuerda d’ailleurs ?

En y réfléchissant Jérôme Fandor se rappelait parfaitement que la jeune femme n’était plus dans la pièce lorsque les gardes civils avaient fait leur apparition.

— La Recuerda sait jouer la fille de l’air, se dit Fandor, elle a dû deviner que Fantômas appuyait sur une sonnette quand il s’est reculé, chose dont moi-même je m’apercevais. La Recuerda en somme m’a joué un assez sale tour, car elle m’a proprement laissé en face de Fantômas.

Fandor, toutefois ne pouvait guère en vouloir à la femme apache de la fâcheuse situation où elle l’avait mis. Si Fantômas vivait encore en effet, c’était bien parce que Fandor l’avait sauvé du poignard de la Recuerda.

— J’ai eu une jolie idée de protéger Fantômas, bougonna Fandor. Si jamais Juve apprend cela, il m’en fera une vie.

Mais le temps n’était plus aux réflexions. Fandor, quelques instants plus tard, était tiré de sa songerie par l’apparition d’un moine vêtu de noir, l’air rébarbatif.

— Prisonnier, déclarait le religieux, recommandez votre âme à Dieu.

Et comme Fandor s’apprêtait à protester de son innocence, le moine, d’un geste, lui imposa silence.

— Prisonnier, recommença-t-il, tais-toi ! Il n’est point nécessaire que tu dises un mot car tu appartiens désormais à la justice, au tribunal de l’Escurial et je ne suis pas ici pour t’entendre.

Fandor fut vite renseigné. Le moine tira de la poche de son froc un long grimoire dont il donna lecture à Fandor. C’était un acte d’accusation parfaitement en règle. Il s’y trouvait énoncé d’étranges choses et notamment que Jérôme Fandor était un diable, un démon de la pire espèce, qu’il se livrait à des pratiques de sorcellerie.

Le prisonnier, affirmait l’acte, s’est présenté au garde civil Pedro, retrouvé à moitié mort dans les caves de l’Escurial sous les aspects d’une exquise ballerine, il a déclaré alors qu’il s’appelait la Recuerda et qu’il désirait accomplir une marque. C’est en invoquant ce sortilège, en se servant de pareils mensonges que le prisonnier s’est introduit furtivement à l’Escurial ; une fois dans les murs du Palais, il a ligoté le malheureux Pedro, l’a jeté dans un soupirail et est monté aux appartements de l’infant don Eugenio, qu’il a voulu tuer après avoir repris sa forme et son apparence d’homme.

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