— C’était le bracelet d’Hélène, c’était un signal. Hélène est prisonnière à l’Escurial.
***
Après avoir ligoté le malheureux garde civil qu’elle avait si habilement dupé, et l’avoir jeté dans l’une des caves du Palais, la Recuerda s’était engagée dans l’un des escaliers qui conduisaient aux étages de l’Escurial.
La jeune femme paraissait s’orienter avec une extraordinaire facilité dans l’immense monument. Elle suivait de longs corridors, traversait des galeries, puis, appuyant sur une pierre, démasquait une porte secrète. Quelques instants plus tard, la Recuerda était dans les appartements de l’infant don Eugenio et pouvait se convaincre que celui-ci n’habitait pas l’Escurial pour le moment.
— Ce n’est pas de chance, murmura la Recuerda. Avoir risqué ce que j’ai risqué pour rencontrer don Eugenio et ne pas le trouver… Bah, il n’empêche. Les autres ne le savent pas, ils viendront.
De qui parlait la Recuerda ?
La jeune femme visita minutieusement les somptueux appartements réservés à l’infant. Elle tressaillit, émue, en découvrant une chambre meublée comme une chambre de jeune fille. Elle s’occupait à passer en revue les pièces de l’appartement où elle se trouvait, demeurant de longues minutes dans chacune d’elles, bouleversée. Dans la chambre de jeune fille, où elle pénétrait en dernier lieu, la Recuerda ouvrait un écrin qui traînait sur la cheminée. La pièce était en désordre, d’ailleurs, et paraissait avoir été quittée précipitamment peu de temps auparavant.
— C’est extraordinaire, murmurait la Recuerda.
De l’écrin, elle tira un bracelet d’or qu’elle examina, étonnée, qu’elle finit par se passer au bras. Quelques instants plus tard, la Recuerda devait être sortie de l’appartement de don Eugenio, car tout y était calme, tout y était silencieux, nul bruit ne s’y entendait plus.
La Recuerda cependant n’était pas loin. Elle avait gagné une sorte de logette comme il en est dans toutes les demeures espagnoles, formant un véritable petit oratoire, logette blanchie à la chaux, à ciel ouvert, à fenêtres grillées et d’où l’on dominait la campagne environnante. Or, la Recuerda, de cette logette, aperçut Fandor.
Elle ne pouvait, d’où elle était, reconnaître évidemment Fantômas lorsqu’il se dressa en face du jeune homme, le revolver à la main, mais en revanche elle ne se trompait pas à l’attitude des deux combattants.
— Ils vont se tuer, murmura la Recuerda. Miséricorde, il ne faut pas que cela soit.
Ce bracelet qui avait fait croire à Fantômas et à Fandor qu’Hélène était prisonnière à l’Escurial, c’était la Recuerda qui l’avait lancé entre les deux combattants, et attaché à un fil, pour leur donner le change.
***
À onze heures du soir, alors que le palais semblait plongé dans un profond sommeil, la Recuerda, restée dans la logette d’où elle avait si opportunément jeté un bracelet, demeurait l’œil collé à la serrure, frémissante, angoissée au plus haut point.
Que voyait donc la Recuerda ?
Elle était le témoin d’un spectacle étrange.
Vers dix heures et demie, un homme avait mystérieusement pénétré dans la chambre de don Eugenio, voisine de la logette. Cet homme s’éclairait d’une lanterne sourde et paraissait prendre grand-garde à ne point faire le moindre bruit. Il hésita quelques instants, semblait-il, puis il prit une résolution, cela se devinait à ses mouvements rapides. L’inconnu, que la Recuerda cherchait vainement à reconnaître, car son visage était dans l’ombre, fouilla les meubles, parcourut l’appartement, revint enfin, portant un habit de cour qu’il se mit en devoir d’endosser.
Or, tandis qu’elle guettait à la porte de la chambre de don Eugenio, la Recuerda entendit des bruits de pas dans une chambre voisine.
— Que la Madone me sauve, songeait la Recuerda.
Elle était blême, affolée. L’œil collé à la serrure, en effet, la Recuerda avait nettement distingué la qualité de l’arrivant : c’était un garde civil, elle ne voyait point son visage, mais aux parements de sa manche, elle apercevait son matricule.
— Miséricorde, songeait encore la malheureuse jeune femme, un garde civil ! De plus, c’est le garde civil que j’ai ligoté, c’est Pedro !
Un instant, la Recuerda songea alors, pensant que les minutes étaient précieuses, qu’il fallait à tout prix décider quelque chose.
La logette dans laquelle elle s’était cachée n’avait d’autre issue que les deux chambres. Dans l’une, elle voyait toujours l’homme occupé à se vêtir d’habits de cour, dans l’autre, le garde civil approchait.
— Bah, se dit soudain la Recuerda, Pedro m’aime. Je trouverai moyen de lui conter une histoire.
Dès lors, elle n’hésita plus. Elle ouvrit brusquement la porte à laquelle elle s’appuyait. Elle se jeta au-devant du garde civil. Mais à peine avait-elle surgi dans la pièce, à peine le garde civil, surpris, eut-il braqué son revolver, que la Recuerda s’immobilisait, anéantie par la surprise, cependant que, de son côté, le garde civil paraissait parfaitement ahuri :
— Vous, la Recuerda ?
— Vous, Fandor ?
Et une explication confuse, suivit. Il conta en deux mots comment, par un soupirail, il avait pu se glisser dans les caves de l’Escurial, où il voulait pénétrer pour chercher Hélène, comment, dans ces caves, il avait découvert un garde civil à demi-mort qui lui avait fait l’effet d’un dément.
— J’ai laissé le bonhomme attaché, disait Fandor, mais je lui ai volé ses habits, pensant que cela m’aiderait à passer inaperçu dans ce palais qui, en ce moment, d’après ce que j’ai pu comprendre, est complètement désert. Don Eugenio n’est pas là. Le garde civil me l’a juré. Mais Hélène doit y être. Elle m’a jeté un bracelet.
La Recuerda éclata de rire :
— Hélène n’est pas là, dit-elle lentement, c’est moi qui vous ai jeté le bracelet. Quant à don Eugenio vous vous trompez. Il est tout à côté de nous, dans l’autre chambre, et…
Mais la Recuerda s’interrompit. En causant avec Fandor, elle avait oublié, emportée par sa nature véhémente, de parler bas. Au bruit que les deux interlocuteurs avait fait, l’homme qui s’habillait dans la pièce voisine surgit :
— Qui va là ? demanda-t-il.
Il tenait un revolver à la main, il semblait menaçant et farouche, et, à son apparition, la Recuerda et Fandor contemplant enfin son visage en pleine lumière, poussèrent un même cri :
— Fantômas !
C’était en effet Fantômas qui sortait de la chambre de l’infant. Si Fandor était parvenu à se glisser à l’intérieur de l’Escurial pour y chercher Hélène, qu’il croyait enfermée, depuis l’incident du bracelet, Fantômas, de son côté, avait réussi à gagner les appartements de don Eugenio. Et, tandis que Fandor se déguisait en garde civil pour ne point attirer l’attention, Fantômas, de son côté, n’hésitait pas à s’habiller en infant afin de tenter l’un de ces coups d’audace dont il était coutumier.
À peine la Recuerda eut-elle hurlé le nom de Fantômas qu’elle tirait de son sein un poignard effilé et se précipitait vers le Génie du Crime.
— Fantômas, hurlait la Recuerda, c’est toi que j’étais venu chercher ici ! Ah, tu pensais y trouver ta fille, et c’est la Mort qui t’attend ! Allons, je vais venger Backefelder, je vais venger mon amant !
Elle s’était si brusquement jetée sur le bandit que Fantômas, n’avait pas eu le temps de se mettre en garde.
La Recuerda leva son poignard, inexorable. Elle allait frapper. Or, Fandor, si stupéfait qu’il fût, avait déjà retrouvé son sang-froid. Un meurtre allait se commettre sous ses yeux. Il ne pensa même pas que c’était Fantômas qui allait en être victime. C’est sans réfléchir, qu’il se précipita en avant, se saisit de la Recuerda, la força à reculer, lui tordant la main, lui arrachant son poignard.
Mais Fandor allait être mal récompensé de son action généreuse. Fantômas, lui aussi, s’était ressaisi. Délivré de la Recuerda en une seconde, il retrouvait son habituelle présence d’esprit.