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Néanmoins, Juve, par le raisonnement, arrivait au même résultat.

Son intuition, sa perspicacité le convainquaient que, selon toute probabilité, c’était Wilhelmine qui était venue apporter le pieux hommage de son souvenir sur la tombe de lady Beltham.

Et Juve, en y réfléchissant, se demandait encore s’il ne connaissait pas, d’autrefois, la blonde Wilhelmine aux yeux clairs et profonds, s’il n’avait pas eu l’occasion de rencontrer, enfant, celle qui était aujourd’hui une grande et belle jeune fille ?

Mais qui savait que lady Beltham n’était pas morte ? Il y avait, bien entendu, lady Beltham elle-même. Évidemment aussi, son amant et son complice : Fantômas. Jérôme Fandor enfin, qui était au courant de la substitution, enfin lui, Juve, et personne d’autre.

***

Se courbant vers le sol, reprenant avec une habileté consommée sa personnalité de Vagualame, le policier refit en sens inverse le parcours qui l’avait conduit devant la mystérieuse sépulture.

— En somme, se disait Juve, que cherche-t-on ? L’autorité militaire, représentée par le Deuxième Bureau, veut retrouver un document volé… L’autorité civile, représentée par la Sûreté, veut découvrir un assassin, coupable de deux crimes… le meurtre de Brocq et celui de Nichoune. L’assassin de Brocq, c’est assurément Vagualame ; le meurtrier de Nichoune, je ne sais pas encore qui cela peut être, tout au moins sous quelle forme le meurtrier a commis son crime… mais ce dont je suis certain, c’est que l’auteur de ce double forfait ne peut être, n’est autre que Fantômas.

15 – L’APPRENTISSAGE DE TRAÎTRE

Bien que depuis quatre jours Fandor fût devenu le plus ponctuel des caporaux français, bien qu’il remplaçât de son mieux le malheureux Vinson, ce n’était point sans un certain effarement qu’il se réveillait chaque matin dans la vaste chambrée.

N’ayant pas fait son service militaire puisque légalement il n’existait pas, Fandor avait à peu près tout à deviner de son rôle de caporal.

Fandor ne voulait pas s’avouer à lui-même la témérité de sa conduite.

— À chaque jour suffit sa peine, pensait-il, attendons les événements !… Et il s’efforçait de vivre l’heure présente sans prendre souci de l’heure qui suit. Or, ce matin-là, Jérôme Fandor s’éveilla avec un sentiment d’inquiétude, plus précis encore que jamais.

La veille, l’adjudant de semaine l’avait attiré à part :

— Vous avez votre permission de la journée, Vinson, avait-il fait… Mes félicitations d’ailleurs ! vous n’avez pas rejoint le corps depuis quatre jours et vous trouvez déjà moyen d’obtenir votre soirée… mazette !

Fandor avait souri et était allé se coucher… Mais longtemps le sommeil avait fui ses paupières.

— Ma permission de la journée ? pensait-il. Du diable si j’ai jamais demandé une permission !… qu’est-ce que cela veut dire ? qui donc a signé pour moi ?

Et il songeait que le matin même, à la levée de dix heures, le vaguemestre lui avait remis une carte postale, dont l’adresse était libellée à la machine, qui avait été mise à la poste à Paris et qui représentait la route de Verdun à la frontière…

Vainement, Fandor avait cherché une phrase quelconque qui lui eût permis de deviner qui lui avait envoyé cette carte et ce qu’elle voulait dire : il n’avait rien trouvé qui fût capable de le renseigner !

Mais maintenant la lumière se faisait dans son esprit.

Alors qu’il recevait le caporal Vinson – le vrai caporal Vinson – dans son appartement, celui-ci ne lui avait-il pas déclaré :

— Ce qu’il y a d’effrayant dans l’espionnage c’est qu’on ne sait jamais à qui l’on obéit, de qui l’on doit suivre les ordres, qui est votre ami, qui est votre chef… un beau jour vous apprenez que vous êtes en permission… ce jour-là vous recevez d’une manière quelconque l’indication d’un lieu quelconque aussi… vous y allez, vous y rencontrez des gens que vous ne connaissez pas, qui vous posent des questions parfois insignifiantes, parfois graves… À vous de deviner si vous êtes en face de vos chefs, si au contraire vous n’êtes point tombé dans un piège, tendu par la police.

***

Il était exactement sept heures du matin lorsque Fandor tendit sa permission au sergent qui se tenait à la porte de la caserne :

— Encore un qui va s’amuser toute la journée et toute la nuit, grommela l’autre… passez, caporal…

Fandor eut un sourire joyeux… dans le fond de lui-même il était infiniment moins gai.

Fandor pensa qu’il n’était point mauvais de ruser. Au lieu de se rendre directement sur la route de Verdun, il flâna quelque temps dans la ville, revint sur ses pas, s’assura que nul n’avait suivi sa piste.

Et ce ne fut que lorsqu’il en eut la persuasion, qu’il se décida enfin à gagner la route.

Il faisait beau ; l’air frais, sans être froid, avait un bon goût de pureté. Fandor avança à grands pas.

— Ouvrons l’oeil ! ouvrons l’œil et le bon ! il s’agit de ne pas manquer mes individus, il s’agit qu’ils ne me manquent pas, eux non plus…

Et Fandor se rappelait les avertissements que lui avait donnés Vinson : – Deux indicateurs qui doivent se rencontrer et qui ne se sont jamais vus se reconnaissent, avait affirmé le caporal, à ceci : c’est que l’un et l’autre prévenus qu’ils vont à un rendez-vous causent à tous les gens qui leur semblent susceptibles d’être celui qu’ils cherchent… Ce sont autant d’alibis qu’ils se préparent, autant de preuves manifestes d’une parfaite tranquillité d’âme… et puis, enfin, c’est la certitude que la rencontre aura bien lieu…

Mais, en vérité, Fandor ne voyait personne à qui parler.

La grande route était déserte et les champs eux-mêmes s’étendaient à perte de vue, désolés. Aucun paysan ne travaillait.

Fandor marcha plus d’une heure, droit devant lui, entêté dans sa décision de pousser jusqu’au bout l’aventure, lorsqu’au détour d’un vallon, en haut d’une côte, il aperçut une automobile arrêtée.

— Ce ne sont pas mes gens, pensa le caporal, qui de loin, reconnaissait de riches touristes, mais, enfin je suis content de rencontrer des êtres humains… Et puis je vais flâner près de leur voiture, s’ils sont en panne, cela me fera prendre patience…

Traînant un peu les pieds, car il était fort gêné par les godillots réglementaires, le jeune journaliste s’avança vers l’automobile… Deux personnes l’occupaient : un monsieur, très chic, tout engoncé dans une pelisse de fourrure et un abbé assez jeune, emmitouflé dans plusieurs couvertures.

Au moment où Fandor approchait, il entendit l’abbé qui disait d’une voix aigrelette au chauffeur :

— Alors, mon cher ami, qu’est-ce qui se passe ? qu’a-t-elle encore votre voiture ?

Sombrement, sur un ton de désespoir comique, l’élégant voyageur répondait au prêtre :

— Mon cher abbé, ce n’est plus le pneu avant droit, c’est le pneu arrière gauche qui vient de crever !…

— Dois-je descendre ?

— Nullement ! ne bougez pas !

Fandor n’était plus qu’à quelques mètres de l’automobile, le chauffeur ajoutait, se tournant à demi vers ce passant :

— Malheureusement, mon cric fonctionne mal et je me demande si je vais pouvoir tout seul réussir à le glisser sous l’essieu…

— Évidemment, pensa Fandor, d’après les principes que m’a donnés Vinson, je n’ai pas à hésiter…

Il proposa :

— Si je peux vous donner un coup de main ?

Le chauffeur se retourna souriant :

— Vous êtes bien aimable, caporal… je ne refuserai pas votre aide…

D’un coffre de la voiture, il trouva un cric de fonte qui ne semblait point, à première vue, à l’œil exercé de Fandor, devoir fonctionner si mal que cela… Fandor, d’un coup de main, en homme expérimenté, l’aida à soulever la roue dont le pneumatique, en effet, venait de rendre l’âme…

— Voilà, monsieur, dit-il…

Le journaliste ajouta :

— Dommage tout de même que l’automobile ça ait besoin de pneumatiques… c’est toujours avec les crevaisons des retards à n’en plus finir…

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