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— Je vais prier sur une tombe.

— Me permettrez-vous de vous accompagner ?

— Je vous demanderai, fit-elle, de me laisser aller seule, j’ai l’habitude de prier sans témoins… Qu’avez-vous donc, Henri ?

— Écoutez, Wilhelmine, j’aime mieux tout vous dire… Oh ! vous allez mal me juger, mais ce secret me pèse. Notre rencontre de tout à l’heure n’est pas fortuite, mais bien voulue… en ce qui me concerne du moins. Depuis quelques jours je suis inquiet, préoccupé… jaloux… Certes, jamais dans votre attitude, je me plais à le reconnaître, vous ne m’avez donné de motifs qui me permettent de douter de vos sentiments à mon égard…

La jeune fille, abasourdie, regarda le lieutenant :

— Je ne vous comprends pas ? murmura-t-elle.

— Je serai franc, Wilhelmine, vos dernières paroles m’ont encore torturé… Allez-vous prier sur la tombe du capitaine Brocq ?

— Et quand ça serait ? ferais-je donc mal en priant pour le repos de l’âme de l’infortuné Brocq qui était au nombre de mes meilleurs amis ?…

— Ah ! s’écria Henri de Loubersac avec un tremblement, l’aimiez-vous donc ?

— Si vous m’aviez suivie, monsieur, depuis déjà quelque temps, vous vous seriez aperçu que je venais à ce cimetière bien avant la mort du capitaine Brocq, par conséquent…

Mais Henri de Loubersac, soudain rasséréné, la remerciait avec un élan de franchise si spontané, si sincère, qu’il aurait touché le cœur de la femme la plus rude… Or, Wilhelmine était sensible au suprême degré.

Et sans intonation méchante, lorsque l’officier lui eut demandé à nouveau pour qui donc elle allait prier encore, à qui elle destinait le gros bouquet de violettes qu’elle tenait à demi dissimulé dans son manchon, la jeune fille murmura :

— C’est un secret.

Henri de Loubersac supplia :

— Wilhelmine, permettez-moi de vous accompagner ?

Finalement, l’officier l’emporta dans son désir. Le lieutenant de Loubersac et Wilhelmine pénétrèrent ensemble dans le cimetière Montmartre.

***

Ils venaient à peine de disparaître derrière la grille que Bobinette, repartie dans la direction du boulevard de Clichy, eut un sursaut. Devant elle se dressait le sinistre Vagualame.

Se dressait… ou pour mieux dire se courbait, car le vieillard, fléchissant, semblait-il, sous le poids de son accordéon, était encore plus incliné vers la terre que d’habitude. Oui, il les avait suivis et ce Vagualame n’était autre que Juve, continuant son enquête avec l’espoir d’éclaircir la série des mystères dont elle était semée.

Juve, après avoir interrogé le lieutenant de Loubersac, s’était dit qu’il lui faudrait se renseigner sur les relations qu’entretenait Bobinette avec Fantômas, que la jeune femme connaissait évidemment sous le seul déguisement de Vagualame.

La qualité de son déguisement fut d’ailleurs confirmée rapidement. Bobinette venait à lui, sans inquiétude, sans méfiance, et l’apostrophait :

— Vous voilà, vous ?

La jeune femme, malgré ses propos familiers, avait dans l’intonation de ses paroles une nuance de respect que Juve remarqua aussitôt. Sans doute Vagualame jouait un rôle de maître, vis-à-vis de la belle fille rousse ?

— Que voilà longtemps, observa-t-elle, avec une certaine ironie malicieuse, qu’on a eu le plaisir de vous voir, mon cher monsieur Vagualame…

Le policier hochait la tête, sans répliquer, ne sachant trop comment il soutiendrait la conversation.

— Il faut croire, dit Bobinette, que depuis votre dernier crime vous redoutez de vous montrer.

— Mon dernier crime ?

— Faites donc pas la bête ! Avez-vous oublié que vous m’avez raconté comment vous avez assassiné le capitaine Brocq ?

— Oui… non… c’est de l’histoire ancienne et je n’ai peur de personne… D’ailleurs, ai-je donc raconté cela ? insinua-t-il, avec l’espoir d’obtenir quelques détails complémentaires.

— Quelle démarche vous avez !

— Je me tiens courbé, parce que l’âge s’appesantit sur mes épaules, quand tu seras vieille…

Mais Bobinette rit aux éclats :

— Pensez-vous, Vagualame, que je vous prends pour un vieillard ! ah ! je sais trop bien que vous êtes déguisé, grimé, admirablement peut-être, mais vous êtes un homme jeune… pour cela, j’en suis sûre !

Juve voulut interroger encore Bobinette, mais du fond du cimetière deux silhouettes surgissaient, se rapprochaient de l’avenue Rachel.

Bobinette inquiète murmura :

— Sauvez-vous, les voilà qui reviennent !

Juve ne tenait pas non plus à se montrer au lieutenant de Loubersac qui, non seulement aurait été surpris de le voir, mais encore aurait pu lui demander des explications au sujet du dernier rendez-vous, auquel Vagualame-Juve ne s’était pas rendu et pour cause, puisqu’il n’avait pu savoir dans quel « Jardin » l’officier de cuirassiers avait l’habitude de rencontrer son agent secret, le vrai Vagualame.

Toutefois Juve n’en savait pas encore assez. Il insista auprès de Bobinette, à mots pressés…

— Il faut que je te voie encore…

— Quand ?…

— Ce soir…

— Impossible…

— Alors, demain ? pria Juve.

— Vous savez bien que demain je serai partie…

— Pour où ?

— Et c’est vous qui le demandez !… mais voyon !… je vais… à la frontière…

— Alors, à quand ?

— Voulez-vous mercredi prochain ?

— Oui, fit Juve…

Et le policier ajoutait :

— Nous irons… au théâtre… oh ! c’est-à-dire au cinéma…

— Toujours des endroits sombres !

— À huit heures, devant le cinéma de la rue des Poissonniers, adieu…

L’instant d’après, le joueur d’accordéon avait disparu dans la boutique d’un marchand de vins.

L’officier, très pâle, et Wilhelmine, dont les yeux étaient rouges, la rejoignirent… ils s’éloignèrent lentement.

***

Lorsque le trio eut quitté l’avenue Rachel, le faux Vagualame sortit du cabaret dans lequel il s’était dissimulé, hésita un instant, ne sachant s’il allait suivre les amoureux et la complice de Fantômas, ou si, au contraire, il irait dans le cimetière, chercher à découvrir ce qu’avaient pu y faire les deux jeunes gens ?

Juve se rallia à ce second parti.

Tandis que le crépuscule lentement tombait, le policier s’acheminait lentement par l’allée principale et avait la chance, le sol étant humide et détrempé, de voir très nettement les traces de pas qu’avaient imprimées Wilhelmine de Naarboveck et le lieutenant de Loubersac sur le sable des allées.

Juve, suivant ces traces, prenait un petit sentier à droite, longeait des mausolées, et s’arrêtait un instant devant une tombe fraîchement fermée, celle du capitaine Brocq, humble sépulture, modestement ornée.

Quelques violettes étaient éparses autour, toutes fraîches, provenant, à n’en pas douter, du bouquet apporté par Wilhelmine de Naarboveck, mais les empreintes des pas conduisaient Juve plus loin encore, par de nombreux détours, presqu’au fond du cimetière. Juve était en face d’un caveau, richement décoré de sculptures merveilleuses, où, sur une plaque de bronze, se détachait en lettres d’or, un nom que maintes fois le policier avait eu l’occasion de prononcer :

Lady Beltham

Lady Beltham ! Des années durant Juve avait vécu, poursuivant derrière elle la grande ombre du Maître de l’Épouvante.

Or, voilà que l’enquête à laquelle il se livrait depuis quelque temps, au cours de laquelle il avait découvert que Vagualame, l’assassin et l’agent secret du Deuxième Bureau, n’était autre que Fantômas, voilà que cette enquête le conduisait jusqu’à cette tombe, vide du reste.

Juve qui voyait devant la porte du caveau le gros bouquet de violettes de Wilhelmine, dont quelques fleurs seulement avaient été distraites en faveur de la sépulture de l’infortuné capitaine Brocq, se demandait lequel des deux jeunes gens était venu prier sur la tombe de la grande dame anglaise.

Ah ! s’il avait entendu leur conversation au moment où Wilhelmine et Henri de Loubersac étaient entrés au cimetière, le policier n’aurait pas eu à se poser ce problème. Les propos échangés par les deux jeunes gens lui en auraient donné la solution immédiate.

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