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Mais l’huissier, fidèle à la promesse qu’il avait faite, articula :

— Y a M. Valleret, l’employé de la comptabilité, qui sollicite une audience de monsieur le directeur.

— Ah ! très bien, fit Léon Drapier, qu’il entre avant tout le monde.

Cependant que l’huissier s’éloignait lentement, de ce pas majestueux et tranquille qui caractérisait sa solennité, Léon Drapier, sans même jeter un coup d’œil sur le courrier amoncelé devant lui, se prit la tête dans les mains comme un homme excédé.

Depuis quarante-huit heures, Léon Drapier ne dormait plus. Les aventures les plus mystérieuses se produisaient, les drames les plus tragiques éclataient autour de lui. Il avait l’impression qu’un filet se resserrait autour de sa personne, filet aux mailles invisibles dont il sentait l’influence sans les voir.

Léon Drapier avait également l’impression qu’au fur et à mesure que le temps passait il devenait personnellement suspect à son ministre, aux membres du gouvernement. Des faits incompréhensibles s’étaient produits en effet, et les pièces d’or monnayées qui avaient disparu constituaient un fait qui n’était pas pour le réhabiliter dans l’esprit du ministre, d’autant plus que, malgré ses efforts, Léon Drapier n’avait pas pu découvrir l’origine de ces fuites.

Puis, ce matin-là, à la lecture des journaux qu’il avait faite en se levant, Léon Drapier avait été abasourdi ; les détails du drame de la veille étaient pour lui comme un coup de massue qu’il recevait sur la tête.

Il avait espéré que les apaches que l’on avait arrêtés porteurs des pièces d’or non encore mises en circulation se décideraient à faire des aveux et que leurs déclarations mettraient sur la piste de leur pourvoyeur d’argent, c’est-à-dire de l’audacieux coupable qui volait à la Monnaie.

Or voici que ces misérables venaient d’être atrocement mutilés, et qu’il apparaissait certain que cette mutilation avait été faite par quelqu’un qui avait le plus haut intérêt à les terroriser par quelques représailles, afin de les empêcher de parler.

Quel était le formidable bandit assez féroce pour avoir imaginé un aussi cruel supplice ?

Spontanément, un nom était venu aux lèvres de Léon Drapier, nom qu’il avait trouvé d’ailleurs imprimé en toutes lettres dans les journaux qu’il lisait, nom qui, certainement, était dans la pensée de tous :

Fantômas !… Fantômas !… Fantômas !…

Dès lors, à l’anxiété curieuse qu’il éprouvait, au désir impérieux qu’il ressentait en lui de savoir la vérité sur ce qui s’était passé, sur ce qui se passait, se mêlait une inquiétude effroyable, une crainte affreuse à l’idée que peut-être lui-même Léon Drapier était involontairement mêlé à une aventure de Fantômas.

Malgré lui le directeur de la Monnaie en revenait toujours aux deux crimes mystérieux qui s’étaient produits l’un à son domicile, l’autre rue Blanche.

Il savait qu’il n’était pas coupable, il savait qu’il n’avait pas tué le valet de chambre Firmain, pas plus qu’il n’avait assassiné sa maîtresse, Paulette de Valmondois.

La mort inexpliquée de Firmain, le décès tragique de Paulette n’étaient pas faits pourtant pour le rassurer.

En somme, c’étaient là, bien nettement, des crimes à la manière de Fantômas, des drames comme seul le Génie du crime était capable d’en imaginer.

Léon Drapier s’étonnait de ne pas avoir vu depuis quarante-huit heures le seul homme en qui désormais il avait confiance, le détective privé, M. Mix, qui jusqu’à présent, croyait-il, l’avait fort adroitement guidé dans le labyrinthe de mystère, alors que peut-être, s’il avait un peu mieux réfléchi, il se serait rendu compte que M. Mix paraissait plutôt l’observer, lui, Léon Drapier, et s’inquiéter de ce qu’il faisait que de le protéger et de le défendre.

Le directeur de la Monnaie en était là de ses réflexions, lorsque M. Valleret entra dans son cabinet.

L’employé de la comptabilité se confondit en salutations plates et obséquieuses devant le grand chef, mais Léon Drapier mettait fin, d’un geste bref, à ces cérémonies.

— De quoi s’agit-il, monsieur Valleret ? dit-il. Parlez rapidement, je suis très pressé.

M. Valleret déposa son dossier sur le bureau du directeur. Il l’ouvrit lentement, puis, mouillant son doigt, se mit à tourner des pages et des pages sur lesquelles figuraient d’interminables colonnes de chiffres.

Quelques secondes, Léon Drapier le regardait faire, puis, impatienté, nerveux, il interrogea :

— Voyons, de quoi s’agit-il, monsieur Valleret ?

— De la balance de l’enquête, monsieur le directeur !

— Eh bien, quoi, la balance ? Qu’est-ce qui se passe ?

— Il se passe, monsieur le directeur, que je ne suis pas d’accord avec le trésorier.

— Allons, donc ! À quel point de vue ?

M. Valleret prit un temps pour répondre. Au fond, il était très satisfait d’avoir quelque chose d’important à signaler à M. le directeur. Il semblait que cela le rehaussait dans l’esprit de son chef, et que désormais il allait être dépositaire d’un de ces graves secrets comme il en est parfois dans les administrations et que tout le monde connaît dans les bureaux au bout de cinq minutes.

— Monsieur le directeur, commença-t-il, mon service, ainsi que vous ne l’ignorez pas, est chargé d’établir chaque jour au point de vue comptable, et d’après les états fournis quotidiennement par les ateliers de fabrication, le montant de l’encaisse or et argent. Je ne m’occupe point du bronze, qui doit figurer à la trésorerie. Voilà douze ans que j’appartiens à l’administration, et pendant douze ans nous avons toujours été d’accord, M. le trésorier et moi. Mais, hélas ! les meilleures choses ont une fin, comme dit le proverbe…

Léon Drapier s’exaspérait, il frappa du poing sur son bureau.

— Quand vous aurez fini de discourir ! gronda-t-il. Est-ce que par hasard vous vous moquez de moi ?

— Oh ! monsieur le directeur ! fit Valleret d’un air profondément scandalisé. Comment pouvez-vous penser un seul instant que je sois capable d’une telle incorrection !

— Résumez ! fit sèchement M. Léon Drapier. En deux mots, qu’est-ce qu’il y a ?

— Il y a, monsieur le directeur, qu’il manque vingt mille francs d’or au trésorier, comme il en manquait vingt mille, d’ailleurs, il y a trois jours !

Léon Drapier considéra le comptable d’un air hagard.

— Il manque vingt mille francs d’or ! fit-il, comme il y a trois jours !… Que dit le trésorier ?

— Le trésorier affirme, monsieur le directeur, que c’est moi qui me trompe… Moi j’affirme que c’est lui !

Léon Drapier appuya sur un timbre, l’huissier se présenta.

— Je ne recevrai personne ce matin, déclara-t-il, renvoyez tout le monde !

Puis il ajoutait :

— Faites venir immédiatement le trésorier, dites que je l’attends dans mon bureau !

Tandis que les solliciteurs, qui étaient venus dans l’espoir d’être reçus par M. le directeur de la Monnaie, se retiraient maussades, indifférents ou furieux selon l’importance qu’ils attachaient à leur visite, un groupe de personnes se présentait quai Conti à la façade principale de l’hôtel des Monnaies.

La grande porte venait de s’ouvrir, car il était dix heures du matin, et dès lors le concierge de l’important immeuble faisait pénétrer tous ces gens dans une petite salle à côté de sa loge.

À voir ces gens, on déterminait aisément leur nationalité et leur profession. C’étaient des touristes, pour la plupart des étrangers, des Anglais et des Allemands, qui, respectueusement fidèles à un programme arrêté d’avance par leur guide, s’étaient réunis ce matin-là au quai Conti dans le but de visiter la Monnaie.

Le concierge s’approchait d’un des leurs, un personnage aux cheveux très bruns, à la moustache hérissée comme une moustache de chat.

— Salut, monsieur ! lui dit-il en lui tendant la main, voilà longtemps qu’on ne vous avait pas vu !

Le personnage sourit, il serra cordialement les doigts du fonctionnaire.

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