— Si, confirma le juge d’instruction, précisément.
Et comme M. Gabert était quelque peu bavard, il entrait immédiatement dans la voie des confidences.
— Il s’agit bien de lui, confirma-t-il, et le plus étrange, c’est que malgré sa haute situation ce personnage paraît des plus compromis.
M. Gabert, là-dessus, résumait sa pensée au Dr Tillois, qui l’écoutait avec un intérêt un peu distant.
Assurément, il était invraisemblable que l’on pût soupçonner un personnage de l’importance de Léon Drapier. Son rôle pourtant était des plus louches. La tentative d’assassinat contre Paulette de Valmondois était en somme la seconde affaire criminelle à laquelle il se trouvait mêlé en quinze jours.
D’abord, on a tué, tué chez lui son valet de chambre, disait le juge d’instruction. Maintenant, on tue sa maîtresse… Évidemment, tout cela peut être le fait de coïncidences malheureuses, mais enfin, c’est troublant, troublant et même inquiétant !…
Le juge d’instruction avait un petit ricanement pour ajouter d’un air convaincu :
— D’autant plus qu’en somme l’attitude de ce monsieur est bizarre, oh ! très bizarre !…
Il allait peut-être ajouter d’autres paroles, préciser davantage sa pensée, lorsqu’à ce moment la porte de la chambre s’ouvrait, M lle Berthe apparaissait.
L’infirmière qui, d’ordinaire, avait le visage quelque peu sévère et se montrait toujours un tantinet brutale, souriait à ce moment et paraissait toute douce et de fort bonne humeur.
— Monsieur le docteur, demandait-elle, est-ce qu’on peut faire entrer ? Justement on vient de demander au service des nouvelles de la blessée et on lui amène son fils à embrasser.
Si M lle Berthe, en effet, avait un visage tout souriant, contrairement à son habitude, c’est qu’elle tenait par la main un bambin qui n’était autre que le petit Gustave, celui-là même que le père Martin avait joué au zanzibar et dont il s’était débarrassé sous prétexte que ses mois de nourrice n’étaient pas régulièrement payés.
M lle Berthe, comme toutes les pierreuses de la veille, venait d’être touchée par la grâce de l’enfant qu’elle tenait par la main.
— On peut laisser entrer ? répéta-t-elle.
Le Dr Tillois eut un geste de mécontentement.
— C’est insupportable ! déclarait-il. Cela va encore la fatiguer. Enfin, faites entrer son gosse, qu’il l’embrasse et qu’il s’en aille !
La permission était donnée, c’était tout ce que voulait M lle Berthe. Elle prenait le bambin dans ses bras, elle s’approchait du lit.
Paulette de Valmondois, cependant, évidemment épuisée par les efforts qu’elle avait faits pour écouter le juge d’instruction et lui répondre, avait fermé les yeux.
— Tenez ! appela l’infirmière, regardez qui vient vous voir !…
Et elle penchait le gosse sur le lit.
Alors, l’ordinaire miracle de l’amour maternel se produisit. Il parut brusquement que Paulette reprenait conscience d’elle-même, qu’elle recouvrait une subite santé. Ouvrant les yeux, elle avait aperçu le visage de son fils. Le petit la reconnaissait à peine, vaguement effrayé par cette dame qui était si pâle et qui bougeait si peu.
Paulette, elle, le mangeait littéralement des yeux.
— Oh, mon chéri ! murmurait-elle. Comme je suis contente de te voir !…
Et Paulette ajoutait, pensant au père et à la mère Martin, ne pouvant se douter de la vérité :
— Quels braves gens, tout de même… Ils ont dû lire le drame dans les journaux, ils ont conduit le petit m’embrasser…
Elle s’agitait cependant, et le Dr Tillois s’en apercevait.
— Assez ! ordonnait-il. Allons, embrassez-le encore une fois, et qu’il s’en aille…
L’infirmière allait déjà remporter le petit Gustave lorsque celui-ci, brusquement, paraissait se souvenir d’une leçon apprise et récitait des paroles qui avaient dû lui être répétées sur tous les tons :
— Tiens, madame, commençait-il, on m’a dit de te dire bonjour et de te donner ça, c’est pour toi !
Il levait sa petite main, il tendait un humble bouquet de violettes.
Alors Paulette de Valmondois oublia son mal, son inquiétude et ses souffrances. Elle prit le bouquet de violettes que lui apportait son fils, elle l’approcha de ses lèvres, elle le huma avec transport.
— Ah, mon amour !… commença Paulette.
Mais la parole s’arrêta sur ses lèvres. Brusquement, ses yeux se révulsaient. Le bouquet qu’elle tenait encore tombait sur le sol.
Et, tandis que l’infirmière, effrayée, se rejetait en arrière, posait le petit Gustave sur le sol en lui disant :
— Ne bouge pas !
Le Dr Tillois se précipitait vers Paulette.
— Nom de Dieu ! jura le praticien.
Il oubliait en un instant sa pose, sa morgue d’homme savant, toute son attitude de grand médecin.
— Nom de Dieu !… fit-il encore.
Il s’était penché sur le visage de Paulette ; du pouce, il soulevait les paupières retombées.
Alors, il eut un cri de rage :
— Syncope foudroyante… mort subite… Ah, sapristi !…
Puis, un instant plus tard, le Dr Tillois se relevait :
— Ah, ça, murmurait-il, il y a déjà la coloration de l’orbite ! Qu’est-ce que cela veut dire ? Un empoisonnement ?
Le juge d’instruction tremblait de tous ses membres, M lle Berthe était blanche d’émotion.
Brusquement, des cris perçants retentirent.
C’était le petit Gustave qui avait pris peur et qui éclatait en sanglots. M lle Berthe alors emporta l’enfant. Le Dr Tillois le suivit pensivement des yeux.
— Ah çà, grommelait-il, est-ce donc lui, l’assassin ?
Une heure après, le Dr Tillois se trouvait dans son laboratoire. Il avait le visage masqué et le préparateur qui l’aidait était masqué, lui aussi.
Devant eux, dans des fioles remplies de réactif, des violettes macéraient.
Ils paraissaient fort émotionnés. Depuis trois quarts d’heure, le chirurgien n’avait pas dit un mot. Enfin, il rompit le silence :
— C’est abominable ! déclarait le Dr Tillois. Il n’y a aucun doute à conserver, et c’est à croire que nous sommes revenus à l’époque des Borgia… Cette Paulette de Valmondois est morte empoisonnée, empoisonnée par les fleurs que lui a apportées son fils… Qui donc envoyait l’enfant, par exemple ?
Le préparateur ôtait son masque, il eut un geste de doute :
— Ça, c’est plus curieux, remarquait-il. J’ai vu M lle Berthe il y a un quart d’heure, il paraît que c’est une femme qui a amené le petit, mais cette femme a disparu… Personne ne sait ce qu’elle est devenue…
— Naturellement ! dit Tillois.
Le chirurgien, à deux reprises, se passait la main sur le front.
— C’est abominable ! murmurait-il. Un crime comme cela, cela vous donne le frisson !…
Et le grand chirurgien, le célèbre Dr Tillois, celui-là même qui, par ses opérations osées, tentait la mort chaque jour, ne pouvait s’empêcher de pâlir.
Le Dr Tillois était un jeune marié, il avait un enfant un peu moins âgé que le petit Gustave. Le chirurgien oubliait la science, l’homme s’épouvantait d’un drame dont il comprenait brusquement toute l’atrocité.
Un instant, il resta silencieux, puis il déclara froidement :
— Il faudra prendre les dispositions pour prévenir la famille, si cette femme a de la famille. En tout cas, je vais aujourd’hui même avertir la police, le crime n’est pas douteux, l’assassinat est flagrant !
XII
Pour défendre l’autre
— Ba be bi bo bu… ba be bi bo bu…
— Ah ça, tais-toi donc, mon général !… Tu deviens assommant, à la fin !
— Ba be bi bo bu… ba be bi bo bu…
— Animal, va ! Voyons, rappelle-toi plutôt la prise de Solférino…
— Ah ! çà, c’était une bataille ! Ba be bi…