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Place Saint-Michel, cependant, malgré son avarice extrême, le père Martin se fendit d’un omnibus. Il pleura mentalement, lui aussi, sur les six sous qu’il fallait dépenser encore, mais une demi-heure plus tard il arrivait à Montmartre, non sans satisfaction.

— Maintenant, pensait le père Martin, s’agit voir à voir à trouver un moyen de se débrouiller !… Sûrement que ça ne sera peut-être pas commode, mais, tout de même, ça doit pleuvoir des sous, cette histoire-là !

Le père Martin, en effet, n’avait confié à sa femme que la moitié de ses projets. Il avait bien l’intention d’abandonner le gosse si la mère ne voulait point raquer, mais il gardait l’espoir qu’elle raquerait, et gros encore !

— Je m’en vas m’faire bonnasse, pensait-il, je lui dirai comme ça qu’on s’est attaché à son fiston, qu’on veut bien l’garder encore, mais qu’y faut qu’elle donne un louis de plus. Ce louis-là, parbleu, la mère, elle n’en saura rien !…

Le père Martin, en somme, tout comme sa femme, avait bien l’intention de faire délicatement sauter le plus d’argent possible et de profiter de son voyage à Paris pour s’amuser un brin.

Rue Blanche, cependant, le nourricier devait déchanter. Il se heurtait, en effet, à une concierge qui n’avait pas l’air commode.

— Voilà ! expliquait Martin. C’est rapport à c’gosse-là que j’viens. C’est bien ici qu’habite M me Poucke ?

La concierge considérait Martin avec des yeux étonnés.

— M me Poucke ? disait-elle, on n’a pas ça dans la maison…

Alors Martin se frappa le front d’un air d’intelligence.

— Ah mais, c’est vrai ! reprenait-il, je m’gourre… on m’a donné un aut’nom, attendez voir…

Il sortit de sa poche un carnet crasseux, il mouilla son doigt, feuilleta longuement les pages. Soudain, il tressaillit de satisfaction.

— Ah, voilà !… fit-il. Pardon, erreur, excuse… C’est moi que j’me gourrais en effet. C’est pas M me Poucke que j’viens voir, c’est une dame Paulette, Paulette de Valmondois.

La concierge, cette fois, parut fort intéressée.

— Tiens ! fit-elle, curieusement. Pourquoi alors que vous l’appeliez Poucke ?

— Parce que c’est le nom de son gosse, fit le père Martin. La dame nous a prévenus, rapport à la déclaration. Mais elle… c’est pas Poucke, qu’elle s’appelle, c’est Valmondois…

Et il disait cela en riant, l’air amusé, tout gaillard à la pensée qu’évidemment M me de Valmondois s’appelait Poucke en réalité et qu’elle avait pris un nom de guerre.

La concierge, de son côté, examinait le gosse avec des airs intéressés, des regards qui luisaient d’amusement.

— Et c’est son fils ? demandait-elle. Tout d’même, c’est-y rigolo, quand on a des gosses, de n’pas les élever soi-même !… Moi, tenez j’ai qu’un chien, mais j’m’en séparerais pas !

Le père Martin, à ce moment, ne savait trop que répondre. Il ne voulait pas s’engager.

— Oh, c’est selon ! fit-il. Chez nous, l’môme, n’était pas malheureux. D’abord, on aime les gosses. Hein, c’est pas vrai, ça ? Dis bonjour à la dame, Gustave !

L’enfant ne broncha pas naturellement. Il était si bien habitué à être appelé numéro quatre qu’il ignorait à peu près son prénom.

Martin, pourtant, s’entêtait. Par habitude, il gifla le môme.

Mais la concierge, à ce moment, l’interpellait :

— Eh, laissez-le donc ! faisait-elle. On ne connaît pas la politesse, à son âge !

Puis, appuyée sur son balai, elle demandait encore :

— Alors, comme ça, vous le menez voir sa mère ? Vous vouliez parler à M me de Valmondois ?

— Oui. Elle est là ?

— Non, riposta tranquillement la concierge. Elle a été assassinée, elle est à l’houstot.

— Nom de Dieu !… s’étonna Martin. Elle est à l’hôpital !… Ah ! c’est bien ma veine !

Et, de colère, il asséna au gosse une formidable gifle.

— Bon sang ! vas-tu finir de chialer, toi ?… Que j’t’entende encore et tu vas pleurer pour quelque chose !

Puis il interrogea, la voix tremblante :

— Non, vrai, c’est pas des blagues ? Vous dites qu’elle est à l’houstot ?

Une heure plus tard, dans un bouge du boulevard de la Chapelle, on faisait vacarme, on applaudissait, on riait, on semblait s’amuser ferme.

Il y avait là toute une bande de braves gens qui n’étaient autres que : Œil-de-Bœuf, Bec-de-Gaz, Dégueulasse, Fumier, Mon-Gnasse, d’autres encore.

Les femmes n’étaient pas les moins nombreuses. La Puce s’appuyait sur l’épaule de Gueule-de-Bois. Adèle, un peu plus loin, se disputait ferme avec la Grande Lucie, qui, la veille au soir, avait voulu lui prendre sa place sur le trottoir.

Au comptoir, enfin, l’Empoisonneur trônait, les manches relevées jusqu’au coude, remuant d’un air las, dans une cuve pleine d’eau sale, de petits verres.

Il régnait chez ce mastroquet une chaleur étouffante. Un parfum de tabac se mélangeait à des relents d’alcool et tout semblait poisseux, comme humide de liqueur renversée.

Quelques instants plus tôt, l’assemblée avait accueilli avec des cris de satisfaction l’entrée de deux personnages qui n’étaient autres que Martin et le numéro quatre.

Martin n’avait pas toujours été le nourricier de Longjumeau. Longtemps, il avait, aux Halles, rempli les fonctions de balayeur. Il était connu, estimé, on savait que par deux fois il avait fracturé la caisse d’un maraîcher et que, s’il avait été cassé de son emploi, c’était qu’un beau soir, étant ivre, il avait, pour un pari ridicule, à moitié assommé un bourgeois en lui jetant sur la tête, du haut du pavillon, un énorme sac de carottes.

Martin avait conservé des amis parmi les poteaux de la Villette, comme parmi les gars des Halles. On le voyait rarement, mais quand il apparaissait on lui faisait toujours fête.

— Ah ! bon Dieu ! criait l’Empoisonneur, patron du bouge, qui possédait une extraordinaire voix et ne quittait jamais l’abri de son comptoir de zinc. Voilà l’Ours !

On s’était alors levé en désordre, on avait couru au père Martin dont le sobriquet était évidemment assez compréhensible.

— Non, ma vieille ! criait-on. Pas possible !… C’est toi qui rappliques ?… Et alors, quoi de neuf ? Et ta gonzesse ?… Et tes mômes ?… C’est un produit, que tu nous amènes ?

Tout heureux de se retrouver dans une atmosphère amicale, Martin avait serré les mains tendues, affirmé qu’il n’y avait rien de neuf, que sa gonzesse engraissait toujours et que le numéro quatre était en effet un produit de son élevage.

— Et puis, c’est pas tout ça ! concluait-il. J’ai une thune qu’y faut que j’casse, aboulez des vertes, l’Empoisonneur ! C’est ma tournée pour les aminches !

Instantanément, une formidable beuverie s’organisait alors. L’absinthe remplissait les grands verres, on trinquait, on causait, on échangeait des nouvelles, cependant que les tournées succédaient aux tournées, personne ne voulant être en reste et chacun tenant à offrir la sienne.

Le gosse, cependant, étourdi par l’odeur d’absinthe, effaré par les cris qu’il entendait, était demeuré debout au milieu du cabaret avec sa petite figure timide, son air d’enfant battu qui n’ose risquer un mouvement sachant bien que le moindre de ses gestes lui vaut une taloche.

Une pierreuse l’aperçut :

— Ah ! le Jésus ! s’écriait-elle. Est-il mignard !

Et, brave fille, s’échappant du banc sur lequel l’avait poussé brutalement peut-être son homme, elle courait au numéro quatre.

— Hein, faisait-elle. On est sage ? Comment que tu t’appelles, dis-voir ?

Le gosse ne répondait pas, le bras levé au-dessus de sa tête, prêt à pleurer encore, escomptant surtout quelque gifle formidable…

La pierreuse, pourtant, le cajolait avec douceur :

— C’est qu’il est mignon comme tout ! faisait-elle. On dirait un page ! Bon sang, elle n’t’a pas raté, ta mère, quand elle t’a fait !

Maintenant, elle avait pris le gosse dans ses bras, elle revenait s’asseoir à sa table, elle demandait :

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