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« M. Drapier, qui n’est pas mauvais homme à l’ordinaire, voit rouge, sitôt qu’il s’agit d’un danger couru par sa propre tranquillité personnelle. Il apprend que Firmain était, non point l’amant de sa maîtresse, mais le frère de cette femme. Il se rend compte qu’elle va être interrogée si ce n’est déjà fait, qu’elle va parler, révéler qu’elle était la maîtresse de M. Léon Drapier ; une altercation s’ensuit, M. Léon Drapier tire sur Paulette de Valmondois et s’enfuit terrifié, très heureux que la police, décidément bien maladroite, prenne le drame pour un vulgaire suicide… »

Une fois encore Léon Drapier interrompit.

— Ah çà, monsieur, c’est de la pire folie ! Vous imaginez tout cela ! Votre roman ne tient pas debout ! Car c’est un roman…

M. Mix regardait la pendule, il articula à mi-voix :

— Huit heures trente-quatre et demie, encore trente secondes !… C’est effectivement un roman, monsieur, mais un roman parfaitement plausible et je sais qu’à l’heure actuelle c’est la version officielle qui prévaut dans les milieux policiers !

« Il y a en outre des preuves qui paraissent convaincantes à votre égard !

« On a mis sous scellés, aussi bien chez vous que chez Paulette de Valmondois, des objets qui vous appartiennent. Lorsque la justice reconstituera les deux crimes, vous y serez si directement mêlé qu’il faudra bien que vous fournissiez des explications aux magistrats… Encore quatorze secondes ! Si je vous parle, monsieur Drapier, c’est parce que je sais que d’ici demain matin vous serez inculpé d’un double crime. Encore dix secondes !… et que je suis le seul homme capable qui peut vous tirer d’affaire, car seul je possède les preuves de votre innocence. Encore trois secondes pour les derniers mots !… et que seul je suis capable de les faire valoir !

« Les cinq minutes sont écoulées, monsieur Drapier, vous avez jusqu’à huit heures quarante pour réfléchir sur la situation !

« De deux choses l’une : ou vous allez vous débattre entre les magistrats, les inspecteurs de la Sûreté, le Parquet et les fonctionnaires de votre administration, ou vous allez en vous confiant à moi éviter d’être même inquiété un seul instant…

« De deux choses l’une : ou vous allez risquer un scandale et le divorce ensuite, la perte de l’héritage de votre tante enfin, si l’on apprend que vous étiez l’amant de Paulette de Valmondois, ou alors grâce à moi, nul ne pourra jamais déclarer que M. Léon Drapier a été, fût-ce cinq minutes, en relations avec la fille Poucke !

« Vous ne risquez rien à m’employer, décidez-vous, monsieur Drapier !

Quelques instants, le directeur de la Monnaie demeurait profondément perplexe.

Il se méfiait de cet individu qu’il ne connaissait point, et d’autre part l’homme parlait avec une telle assurance, il venait de formuler une chose si juste que, malgré lui, M. Drapier était bien tenté de lui accorder sa confiance.

— Après tout, qu’est-ce que je risque ? se disait-il. Il n’est pas interdit d’avoir un homme d’affaires lorsqu’on a des soucis dans une entreprise commerciale, et je ne crois pas qu’il soit malséant d’avoir son détective privé si, d’aventure, on risque des ennuis avec la justice criminelle !… Cet homme doit avoir raison. Il m’offre ses services, si je le paye, il me sera dévoué.

Léon Drapier n’était pas l’homme des hésitations longues.

Il se tourna vers Mix et lui déclara :

— Monsieur, c’est une affaire entendue. Vous me proposez la défense de mes intérêts. Vous avez, dites-vous, d’excellents arguments, non point pour prouver mon innocence, c’est inutile, je ne suis pas criminel, mais pour que ma mise hors de cause s’effectue sans scandale. Eh bien, soit ! je suis d’accord avec vous, j’accepte votre proposition…

Pas un muscle du visage de M. Mix ne bougea.

— C’est bien ! fit-il, nous sommes d’accord ! Mille francs par mois, trois mois garantis, vous allez me faire un papier.

Il regardait la pendule.

— Nous avons déjà gagné deux minutes sur l’horaire. Il n’est que huit heures trente-huit au lieu de huit heures quarante !

M. Mix, plus imperturbable, ajoutait encore :

— Nous avons donc sept minutes pour rédiger le contrat, c’est plus qu’il n’en faut !

— Drôle d’homme ! pensa M. Drapier.

M. Mix, cependant, s’était levé. Les bras croisés, il allait et venait dans la pièce, semblant réfléchir profondément. Enfin il articula :

— Mettons-nous en règle d’abord ! Voulez-vous écrire sous ma dictée, monsieur Drapier ?

Et, comme le directeur de la Monnaie prenait une plume en hésitant, Mix le rassura :

— Il s’agit simplement du petit engagement de me payer mes appointements, et non d’autre chose. Vous ne risquez rien à mettre sur ce papier blanc : Je soussigné, m’engage à payer à M. Mix, pour ses bons services, la somme de mille francs par mois, et ce, pendant trois mois consécutifs.Veuillez dater et signer, monsieur Léon Drapier.

Quel pouvait bien être cet étrange personnage qui, en l’espace de quelques instants, avait, par son indiscutable ascendant, capté la confiance du haut fonctionnaire qui dirigeait l’administration de la Monnaie ?

S’agissait-il d’un véritable policier ?

Était-ce au contraire un adversaire de Léon Drapier ?

Nul assurément n’aurait pu le dire, Léon Drapier moins que tout autre. Le directeur de la Monnaie avait réfléchi et il s’était rendu compte qu’en somme il ne risquait rien à faire la promesse demandée. Et puis Léon Drapier avait tellement peur du scandale susceptible de l’amener au divorce qu’il aurait fait n’importe quoi pour l’éviter ; même la plus terrible des maladresses.

IX

Innocentement

La matinée s’annonçait fort belle. Bien qu’il trainât un peu de brouillard à ras de terre, on devinait le ciel bleu, très pur, et tout éblouissant de soleil matinal.

Les berges avaient un air de fête et, dans l’atmosphère de la matinée, tout apparaissait avec un air de neuf, de pimpant, de guilleret, qui eût suffi à disposer à la gaieté les esprits les plus moroses.

Comme un fleuve d’argent, la Seine, qui cependant ne peut prétendre à rouler des flots purs, coulait paisiblement dans l’admirable décor de la Cité, ce décor naturel qui semble cependant, tant il est merveilleux, avoir été composé par quelque artiste de talent.

À droite, on apercevait la masse sombre du Louvre, sa façade merveilleuse, ses colonnades à la fois puissantes et légères ; à gauche, trapu, ramassé en force, l’institut paraissait quelque géant accroupi prêt à happer les passants assez téméraires pour s’engager sur le pont des Arts.

Puis c’était, à la file, dans le pittoresque désordre de leurs casiers ouverts, la théorie des bouquinistes que les passants, les uns après les autres, interrogeaient, marchandaient, et qui, finalement, avaient toujours gain de cause.

Il était à peine huit heures du matin. C’était encore dans les rues un va-et-vient affairé, des écoliers se rendant aux classes, des apprentis se hâtant vers l’atelier, des ouvriers, beaucoup moins pressés, semblait-il, se dirigeant vers leur travail, en fumant tranquillement quelques cigarettes dont la bleuâtre fumée montait en spirale dans l’air pur.

De temps à autre, le cri d’un remorqueur, strident, prolongé, retentissait, on voyait une file de péniches aux ventres rebondis, aux flancs combles de matériaux, s’avancer majestueusement et, dans un tourbillon d’écume, franchir les arches des ponts où la Seine se resserrait avec peine.

À ce moment, une sirène poussa un lugubre hurlement.

Et c’était immédiatement, sur les quais, la galopade rapide d’une foule d’ouvriers qui, les uns après les autres, se hâtaient vers un bâtiment sombre que les passants regardaient avec un air d’intérêt. On entendait des exclamations joyeuses :

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