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— Encore un journaliste ! pensa-t-elle.

Elle demanda la carte de visite de l’interlocuteur.

Celui-ci tendit un bristol sur lequel Caroline lut ce simple nom : Mix.

Il n’y avait pas de qualité, pas d’adresse.

— De quel journal ? demanda-t-elle.

— Je n’appartiens pas à un journal.

Puis l’homme, qui s’impatientait, ajouta :

— J’insiste pour que vous apportiez ma carte à M. Drapier.

Caroline reprit son air guindé.

— Je vous dis, moi, que monsieur ne reçoit personne, et que seule madame reçoit les journalistes. C’est de bien bonne heure pour la voir.

Sans se départir le moindrement de son calme, l’individu, qui s’entêtait, ajouta encore :

— Je n’ai rien à dire à M me Drapier, je veux voir M. Drapier !

— Mais enfin, qu’avez-vous à lui dire ?

— Des choses importantes et graves. Assurez-lui qu’il ne regrettera pas de m’avoir vu et reçu.

Subjuguée par l’ascendant de cet homme, Caroline se décidait à aller trouver son maître.

Le visiteur la rappela.

— Dites à M. Drapier, fit-il, qu’il s’agit de l’affaire de Firmain.

— Bien, monsieur !

Quelques instants après, dans sa chambre à coucher où il achevait de se vêtir, M. Drapier voyait entrer un homme qui n’était autre que le visiteur auquel Caroline avait tout d’abord déclaré que son maître ne recevait pas, puis qu’elle avait annoncé ensuite.

Tout en enfilant sa jaquette, Drapier, se tournant vers le nouveau venu, lui demanda d’un air rogue :

— Vous êtes ce M. Mix qui m’a fait passer sa carte à l’instant ?

L’homme s’inclina légèrement.

— Je suis ce M. Mix qui vous a fait passer sa carte à l’instant.

— Votre insistance est peut-être un peu exagérée, monsieur, ce qui fait que je vous reçois, contrairement à mes habitudes.

— Contrairement à mes habitudes, monsieur, rétorqua l’individu, j’ai sollicité de vous voir alors qu’en temps ordinaire c’est moi qui suis supplié de recevoir les visiteurs !

— Qu’est-ce à dire, monsieur ? Et quel rôle remplissez-vous donc ?

L’individu esquissait un léger sourire.

— Je suis Mix.

— Je ne prétends pas le contraire !

— Il ne manquerait plus que ça ! Et cela ne vous dit donc rien ?

— Cela ne me dit rien ! Votre nom m’est inconnu, monsieur Mix !

Le mystérieux visiteur souriait toujours.

— J’aurais dû m’en douter, en effet, car jusqu’à présent vous n’avez jamais eu affaire à la justice.

— Et j’espère, interrompit Léon Drapier, que je n’aurai pas affaire à elle de longtemps !

L’interlocuteur du directeur de la Monnaie reprocha d’un air scandalisé :

— Vous avez une mémoire détestable, monsieur, car vous avez précisément affaire à la justice en ce moment… et il est à craindre pour vous que vous ayez affaire à elle pendant longtemps encore !

— Que savez-vous donc ? s’écria Léon Drapier.

— Tout ! fit l’homme. Ou rien… à votre goût !…

De plus en plus, Léon Drapier était interloqué et il se demandait à qui il avait affaire. Il balbutia, considérant fixement son interlocuteur :

— Je ne vous comprends pas du tout, monsieur. Que signifie ce « tout ou rien » ?

Enfin, l’homme paraissait disposé à fournir des explications.

Il posa son chapeau sur un coin de table, prit place dans un fauteuil sans y être invité, croisa ses jambes l’une sur l’autre et, regardant le plafond comme pour s’inspirer, il commença, s’exprimant avec élégance, faisant entendre une voix harmonieuse et séduisante.

— Vous allez comprendre, monsieur Drapier !

« Vous avez devant vous un personnage… mettons une personne, un monsieur. Ce monsieur s’appelle Mix, et il exerce la profession de policier, disons, pour être plus exact, de détective, car en France, ce qualificatif qui désigne à l’étranger les professionnels de la police, s’applique chez nous aux policiers privés.

« Ce Mix, c’est-à-dire moi, c’est donc un policier privé. Je vis de ma profession, monsieur, et comme je prétends en bien vivre, je ne donne point mes conseils et ma protection pour rien ! Par contre, lorsqu’on me paie, et vous êtes capable de bien me payer, j’accorde ma protection tout entière à mes clients.

« De là ma devise : “Tout ou rien”, c’est simple comme vous le voyez !

Léon Drapier frémissait.

— Très simple, en effet, monsieur Mix. Si je crois bien comprendre, vous êtes une sorte de maître chanteur. Vous avez appris les ennuis que j’éprouve actuellement et vous venez me menacer !

M. Mix se leva :

— Je ne menace jamais, monsieur. Je fais quelquefois des promesses qui se réalisent toujours. Quant à vous faire chanter, non, monsieur ! Cela n’est point mon rôle. Et pour parler net, pour résumer, je viens vous offrir simplement ceci :

« Vous m’avez accordé cinq minutes d’attention, vous réfléchirez cinq minutes à ce que je vais avoir l’honneur de vous dire, et cinq minutes après, vous m’aurez signé un engagement de trois mois à raison de mille francs par mois, en échange duquel je m’engage à vous débarrasser de tous les soucis que vous éprouvez à l’heure actuelle et à vous donner tous les éléments de votre innocence dans l’affaire Firmain comme dans l’affaire de la fille Poucke. Cela fait au total un quart d’heure. Il est maintenant, si j’en crois votre pendule, huit heures et demie du matin, à neuf heures moins un quart nous en aurons terminé !

Léon Drapier voulut placer une parole, son interlocuteur l’en empêcha :

— Inutile ! fit l’homme, je commence. Notez l’heure, je vous prie, huit heures trente et une !

L’individu, dès lors, s’installait à nouveau dans le fauteuil qu’il venait d’abandonner. Il sortit de sa poche un étui à cigarettes, en offrit une à Léon Drapier qui refusa et, nullement vexé, se mit à fumer.

— Résumons les faits, déclara cet homme étrange.

« Dans la nuit du 26 au 27, le valet de chambre que M. et M me Drapier ont engagé de la veille est mystérieusement assassiné dans le cabinet de travail de son maître.

« Celui-ci, qui couche dans la chambre voisine, déclare n’avoir rien entendu alors que M me Drapier, qui habite l’autre extrémité de l’appartement, a été réveillée par des bruits suspects. Première invraisemblance. M. Léon Drapier est un homme fort bien constitué et qui n’est aucunement atteint d’une infirmité connue sous le nom de surdité !

« Pourquoi donc M. Léon Drapier n’a-t-il rien entendu ?

« Oh ! la chose est fort simple ! M. Drapier n’a pas voulu entendre. M. Drapier, au surplus, pendant une bonne partie de la nuit, était absent de son domicile. Où était-il, M. Drapier ?… Il était chez une certaine demoiselle Poucke, connue dans la galanterie sous le nom de Paulette de Valmondois. C’était sa maîtresse, et M. Drapier en était fort jaloux. Quelle fut, au cours de cette nuit, la conversation intervenue entre M lle Poucke, dite Paulette de Valmondois, et son amant M. Léon Drapier ? Nul ne le sait, mais il faut croire que M. Léon Drapier apprit certaines choses et notamment les relations qui existaient entre la demoiselle et son nouveau valet de chambre Firmain. Il a cru, à tort d’ailleurs, que Firmain était l’amant de sa maîtresse. M. Drapier est alors rentré chez lui. C’est un homme vif et coléreux.

« Il a trouvé dans son cabinet ce Firmain qui y faisait je ne sais trop quoi, les deux hommes se sont disputés, battus, M. Léon Drapier a eu le dessus… il a assassiné le domestique !

— Qu’en dites-vous, monsieur ? hurla Léon Drapier.

— Je dis, poursuivit l’homme qui répondait au nom de Mix, il n’est que huit heures trente-trois et j’ai encore deux minutes à vous consacrer pour mon discours, conformément à mon programme fixé… La police survient, ne comprend rien à ce qui s’est passé et M. Léon Drapier se rassure, au fur et à mesure que s’écoulent les heures qui succèdent au drame.

« Toutefois, lorsqu’il vient chez sa maîtresse, il lui fait une scène épouvantable et lui reproche les faux certificats grâce auxquels Firmain a pu s’introduire chez M. Drapier.

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