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— Nom de Dieu de nom de Dieu. Je ne vais pourtant pas crever là.

Une idée lui vint. Dans sa poche, il saisit, tant bien que mal, de sa main gauche, car maintenant, son bras droit pendait inerte, brisé peut-être, les bijoux volés. Il les lâcha, il les jeta, espérant ainsi attirer l’attention. Mais ou moment précis où Ribonard ouvrait la main, lançant les diamants volés, le sonneur venait de réussir à donner toute son amplitude au mouvement de la cloche.

Le malheureux Ribonard était précipité avec tant de force contre l’intérieur de la grosse savoyarde, qu’il se brisait le crâne, qu’il se rompait les os, qu’il mourait dans une atroce agonie.

À peine sur le sol, les diamants furent suivis d’une pluie de gouttes de sang.

***

Deux heures plus tard, tandis que les obsèques du marquis de Tergall, tragiquement troublées, s’achevaient au cimetière voisin, tandis que les psaumes ultimes résonnaient sous la voûte du ciel bleu, Charles Pradier, demeuré à la sacristie en compagnie du médecin, examinait le cadavre de Ribonard que l’on venait de descendre du clocher.

Et Charles Pradier disait :

— Mon Dieu, mon Dieu, c’est à devenir fou. Quel peut donc être cet individu ? qui nous dira jamais son nom ? Comment deviner par quel hasard il était suspendu à l’intérieur de la grosse cloche, et tenait dans ses mains les bijoux volés à M. Chambérieux ?

Le médecin ne répondait rien.

— Au fait, mon cher praticien, dit alors le juge d’instruction, je vais vous demander une seconde de patience. Dans l’intérêt de la justice, je vais emporter, pour les remettre au greffe, les perles et les diamants que l’on a retrouvés dans l’église. Vous voudrez bien signer le procès-verbal à titre de témoin ?

— Mais certainement.

Pradier eut peine à dissimuler un sourire ironique, cependant qu’il enfouissait dans sa poche les bijoux retrouvés.

— À coup sûr, songeait Pradier-Fantômas, Ribonard, hier soir, s’est moqué de moi, mais ce matin, je me suis bien vengé.

Ce fut toute l’oraison funèbre du misérable.

24 – RAFLE AU BAL CHAMPÊTRE

— Sicoche.

— Oui, brigadier.

— Sicoche, je vous dis, qu’il va s’agir d’ouvrir l’œil et le bon. Nous nous rendons par la grand-route jusqu’à la limite de l’octroi de la localité de Bouloire, vous vous en êtes aperçu ?

— Oui, brigadier, je m’en suis rendu compte en marchant derrière vous à la distance que doit s’imposer tout bon gendarme à l’égard de son supérieur.

— Sicoche, vous avez raison, et je suis convaincu qu’avec les excellentes notes trimestrielles qui vous ont été données, vous ne tarderez pas à devenir brigadier comme moi. C’est-à-dire presque mon égal, car j’aurai toujours sur vous, n’est-ce pas, la supériorité de l’ancienneté ?

— Évidemment, brigadier.

Les deux représentants de la maréchaussée cheminèrent quelques instants en silence. Il faisait une nuit noire, froide et pluvieuse, et les gendarmes, en petite tenue, avaient relevé le collet de leur capote sombre. Il était environ neuf heures, et depuis une demi-heure environ ils marchaient. Le brigadier Boulinard et le gendarme Sicoche avaient reçu l’ordre de l’adjudant de quitter la gendarmerie sitôt après le dîner et de rejoindre leurs collègues de la brigade de Bouloire que renforceraient encore des agents en civil de la Sûreté du Mans.

Pourquoi faire ?

Les deux gendarmes n’étaient pas très renseignés et n’éprouvaient d’ailleurs à ce sujet qu’une curiosité relative, bien qu’on leur eût dit de faire très attention à leurs personnes, de se munir de menottes et de garnir les étuis de leurs revolvers.

— M’est avis, reprit le brigadier, que nous allons procéder à une opération importante. Peut-être même à des arrestations.

— C’est aussi mon avis.

Le chef poursuivit :

— Hein, tout de même, ça remue, dans le pays, depuis le commencement de l’hiver, et surtout depuis quelques jours, depuis l’installation à Saint-Calais de M. Pradier, le nouveau juge d’instruction. En voilà un qui n’a pas l’air de badiner et qui se donne du mal. Tout ce qu’il entreprend a l’air de lui réussir.

— C’en est un, proféra Sicoche, qui veut arriver et se faire une belle carrière ; peut-être qu’un jour il sera procureur général.

Le brigadier haussa les épaules et, considérant Sicoche avec un air de pitié, reprit sentencieux :

— Vous n’y entendez rien, gendarmes. Un juge d’instruction n’appartient pas à la magistrature debout comme le procureur. Par conséquent, il doit rester toute sa vie dans la magistrature assise, mais il est exact qu’un magistrat comme M. Pradier peut arriver aux plus hautes situations, tel que président du Tribunal, conseiller à la Cour d’appel, à la Cour de cassation même.

— Ça, observa Sicoche admiratif, c’est ce qu’on appelle une situation. Préférable à celle de gendarme.

— Tout dépend de la manière de voir, fit le brigadier.

Cependant, les deux hommes, au détour du chemin, voyaient s’approcher plusieurs de leurs collègues dont le galon d’argent du képi scintillait à la lueur des lanternes que portait l’un d’eux. C’étaient les délégués de la brigade de Bouloire qui venaient, avec les agents en civil du Mans, à la rencontre de leurs collègues de Saint-Calais.

Un vieux brigadier, plus ancien encore que Boulinard, commandait le petite détachement et il expliqua à ses subordonnés :

— Voici les ordres qu’il s’agit d’exécuter. Nous sommes commandés de service pour aller les uns et les autres séparément, mais sans nous perdre de vue, afin de pouvoir nous prêter main-forte, au lieu dit de la Mare-aux-Oies, à trois kilomètres d’ici. Il s’agit de surveiller une bande d’individus suspects qui, depuis quelque temps, se donnent rendez-vous au bal public qui s’est installé à proximité dudit lieu de ladite Mare-aux-Oies. Nous aurons sur place deux inspecteurs de la Sûreté du Mans, qui nous donneront les instructions définitives, et nous feront connaître les gens à arrêter s’il y a lieu.

Et le vieux brigadier, prenant familièrement le bras de son collègue Boulinard, ajouta, se penchant à son oreille :

— Je crois même que le juge d’instruction de Saint-Calais, votre nouveau juge, se trouvera présent.

— Sapristi, s’écria Boulinard, voilà ce que M. Morel n’aurait jamais fait.

— Il aurait eu bien trop peur, tout au moins pour ses rhumatismes, de s’aventurer dehors la nuit.

Puis, les chefs ayant donné encore à leurs hommes quelques instructions de détail, se remirent en marche, les précédant en direction de la Mare-aux-Oies.

***

Le bal qui s’était installé à proximité de Bouloire, à l’extrémité d’un champ, à la lisière d’un petit bois, était une nouveauté dans le pays. Des forains venus là, avec deux roulottes tramées par des chevaux étiques. Des hommes d’équipe avaient posé sur le sol une sorte de plancher qu’ils avaient surmonté d’une grande tente à peu près imperméable. Ils avaient disposé à l’intérieur un éclairage sommaire. Dans un angle de la tente, un comptoir de zinc avec quelques bouteilles de vin ou d’alcool, et de part et d’autre, ce comptoir était flanqué de barriques de cidre destinées, elles aussi, à étancher la soif de la future clientèle. Sur la porte, un écriteau : « Bal public ».

Puis, par des prospectus multicolores, les entrepreneurs avaient avisé le voisinage, à trois lieues à la ronde, que tous les soirs, de huit heures à onze heures, on pourrait venir danser à la Mare-aux-Oies moyennant un droit de dix centimes pour les cavaliers et de cinq centimes pour les dames.

Depuis quinze jours que le bal public était installé, et bien que ce fût la mauvaise saison, il faisait des affaires d’or. C’était en effet l’époque où les travailleurs de la terre ne sont pas très occupés et où celle-ci n’exige pas que l’on soit au travail aux premières lueurs du jour. Pourtant, le local où l’on conviait les danseurs à venir se réunir n’avait rien de bien engageant. Le plancher était raboteux, mal joint, l’orchestre uniquement constitué par un vieil orgue de Barbarie que tournait, le moins souvent possible, une espèce d’Arabe qui, dans la journée, allait essayer de vendre dans les fermes des peaux de biques et des tapis d’Orient. La caisse était tenue par une grosse femme à laquelle des cheveux blancs ne réussissaient pas à donner un air respectable.

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