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— C’est moi.

— Mais t’es donc cavale dé prison ? t’as donc joué la fille de l’air ? Ah, cré nom, en v’là une histoire, vrai, elle me reste sur l’estomac. J’peux pas croire ce que mes yeux voient. Excusez du peu. Fantômas ici, au Mans, à deux pas de Saint-Calais. Ah, mince alors, c’est toi Fantômas ? Dis, vrai Dieu, c’est toi ? j’en suis comme deux ronds de flan. La sueur m’en coule, au long de la gouttière. Ah, pour une surprise, c’en est une. Mais qu’est-ce que tu viens foutre là tout de même ? C’est bien toi Fantômas ?

— Eh oui, Bébé, si étrange que cela te paraisse, c’est bien moi. Tout ce qu’il y a de plus moi.

L’Insaisissable se tut, puis changeant de voix, il reprit :

— C’est moi, le Maître, Bébé. Et je ne te cacherai pas que je ne suis pas très satisfait de la façon dont toi et Ribonard vous vous disputiez tout à l’heure. Suffit-il maintenant que je sois absent quelques heures pour que les Ténébreux en viennent à se menacer les uns les autres ?

Ribonard voulut intervenir :

— Hé là, cherre pas tant, Fantômas, tu dis que tu as été absent « quelques heures », mince, combien qu’il t’en faut, de campagne, pour que tu comptes un jour ?

— Assez, tu parleras quand je te le dirai.

Fantômas se retournait vers Bébé :

— Qu’aviez-vous à vous disputer tous les deux ? qu’exigeais-tu de Ribonard ?

— Ah bien, on ne peut pas t’expliquer cela comme ça, Fantômas. C’est compliqué. Sais-tu ce qu’on a fait à Saint-Calais ?

— Peu importe ce que je sais, parle, je comprendrai.

— Eh bien, voilà, continua Bébé, on a fait trois choses : primo et d’une, on a volé des bijoux. Bon c’est moi qui ai fait le coup. Deuxièmement et de deux : on a refait deux cent cinquante mille francs, ça c’est l’ouvrage à Ribonard et à moi. Troisièmement et de trois : on a zigouillé un ponte, un nommé Chambérieux.

— Alors ?

— Alors, Fantômas, qu’est-ce que tu veux ? Voilà ce qui s’est passé : les bijoux faits, je les ai confiés à Ribonard qui les a cachés dans un endroit que je ne sais pas. Bref, ce cochon-là, maintenant, il ne veut plus les rendre.

Ribonard protesta :

— Si, si, je veux bien rapporter les bijoux, mais je ne veux pas que Bébé les garde en entier. Faut partager. C’est-y pas la justice, Fantômas ?

Fantômas ordonna encore :

— Tais-toi, Ribonard. Et l’argent, où est-il. Bébé ?

— L’argent, je l’ai confié à ma maîtresse, une poule que tu connais pas, Fantômas, une nommée Rosa qu’est « bonnet-blanc » chez la marquise de Tergall.

Bébé ajouta :

— Ça l’argent, elle est en sûreté. Je suis tout prêt à la rapporter pour faire un partage satisfaisant. Mais je veux tout de même pas que Ribonard garde les bijoux entiers.

Fantômas haussa les épaules :

— C’est bien, en voilà assez sur ce sujet.

L’extraordinaire bandit posa la main sur l’épaule de Ribonard qui ne put s’empêcher de pâlir.

— Écoute, tu seras après-demain, à trois heures de l’après-midi au pied de la cathédrale du Mans, en bas de l’escalier, près du bassin, je t’y rejoindrai. Nous irons ensemble chercher les bijoux et c’est moi qui ferai le partage. Ne t’avise pas de manquer à mon rendez-vous, tu sais, n’est-ce pas, Ribonard, qu’on ne désobéit pas impunément à Fantômas ?

— Je sais.

— Bien. Alors va-t’en et à après-demain.

Fantômas se tourna vers Bébé, il ajouta :

— Toi, reste. J’ai à te parler.

En vérité, Fantômas était bien le Maître, le chef respecté de tous ceux qui font du vol et du crime leur profession habituelle.

***

Deux heures plus tard, en pleins champs, loin de la ville du Mans, Fantômas s’entretenait encore avec Bébé.

Le bandit venait de se faire raconter en détail comment Bébé avait réussi les deux premiers vols de Saint-Calais, tentés, affirmait l’apache parisien, pour se procurer l’argent nécessaire à l’évasion de Fantômas.

— C’est très bien, tu n’as pas mal agi, approuva l’Insaisissable. Il va de soi que j’obtiendrai de Ribonard qu’il rende les bijoux. Je te ferai savoir d’ici quelques jours où, toi-même, tu devras venir me consigner l’argent volé au marquis et que Rosa détient actuellement. Nous verrons à partager le tout. Bon passons maintenant à un autre ordre d’idées. Pourquoi, Bébé, as-tu tué Chambérieux ?

— Pourquoi j’ai tué Chambérieux ? D’abord Fantômas, comment sais-tu que c’est moi qui ai fait le coup ?

— C’était bien malin à deviner. L’assassin était certainement, n’est-il pas vrai, parmi les voyageurs d’une automobile qui a passé la nuit du crime sur la route de Bessé à Saint-Calais, donc…

— Pourquoi dis-tu que l’assassin était certainement parmi ces voyageurs ? interrogeait-il. Nous n’avons pas laissé de traces ?

— Imbécile, vous avez perdu une chambre à air.

— C’est vrai.

— Naturellement. Je ne parle pas au hasard. Eh bien, sur cette chambre à air, Bébé, j’ai relevé la trace d’un poignard, dont la lame a été retrouvée, cassée à demi, dans le corps même de Chambérieux…

Et Fantômas poursuivit ironique :

— Comme il était difficile, n’est-ce pas, de deviner que les assassins venus en automobile avaient eu l’occasion de manipuler cette chambre à air, de la glisser sous un coussin, de l’appuyer, par exemple, contre le poignard, dissimulé au même endroit. Il était bien difficile, après, sachant que l’assassin était venu en automobile, de retrouver au Mans le garage où cette automobile avait été louée et, ayant trouvé tout cela, de songer à visiter la toiture du garage où Bébé et Ribonard se cachaient, justement dans l’intention de revenir fouiller l’automobile et d’y reprendre le poignard égaré ?

— Fantômas, tu instruis les affaires, tu conduis les enquêtes comme un vrai juge d’instruction.

Mais Bébé ne vit pas le sourire du Maître de l’Épouvante.

Fantômas, d’ailleurs, feignit de ne pas entendre le compliment.

— Tout cela ne me dit pas pourquoi tu as tué Chambérieux. Allons, parle.

Bébé confessa.

— Dame, patron, j’ai zigouillé le pante parce que ce n’était pas de la poudre d’imbécile. Figurez-vous que j’ai appris qu’il chauffait ma maîtresse, Rosa, une gosse, vous savez, patron, ça n’a pas d’expérience. Bref, voilà-t-y pas que ma môme lui avait écrit. Le Chambérieux avait des lettres de Rosa. Si je l’ai tué, c’est tout bonnement pour les lui reprendre.

— Et tu les as reprises ?

— Non, j’ai pas eu le temps. Au moment où je fouillais le bonhomme pour lui chauffer les papiers compromettants, il y a des types qu’ont rappliqué dans la forêt, et j’ai tout juste pu cavaler sans ennuis.

— Alors ? ces lettres doivent être au greffe du tribunal maintenant, entre les mains du juge d’instruction ?

— Oui, c’est le « curieux » de Saint-Calais qui possède les papelards. Oh, mais, sois tranquille, Fantômas, foi de Bébé, ce juge d’instruction ne les a pas pour longtemps. Je suis bien décidé à lui faire son affaire. Le juge d’instruction de Saint-Calais. Ah, nom de nom, il n’y coupera pas, vrai de vrai. Je le condamne à mort, sais-tu bien, Fantômas.

— Je te défends de toucher à un seul des cheveux de M. Pradier. Il faut que ce juge d’instruction vive, Bébé.

Bébé, surpris, allait demander pourquoi. Il n’en eut pas le temps.

Alors que Bébé levait les yeux, en effet, il poussa une exclamation d’étonnement, de stupéfaction, d’angoisse.

Une seconde avant, il était à côté de Fantômas, et maintenant il était tout seul.

Fantômas avait disparu. Fantômas s’était évanoui. S’enfuyant dans la nuit. Fantômas n’était plus là.

— Ah, mince alors, finit par monologuer Bébé, tout juste rassuré. Pas plus de bonsoir que de bonjour. Il en a des façons le frère, pour s’amener dans la société et pour mettre les bouts de bois.

Quelques secondes plus tard. Bébé reconnaissait pourtant, avec une franchise qui n’était pas feinte :

— Tout de même, quel type, quel costaud, que Fantômas. Le voilà revenu. Sûr qu’on n’a pas fini de rigoler.

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