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— Non, j’étudie des dossiers en ce moment, je ne suis pas encore assez au fait des instructions en cours pour procéder aux interrogatoires. Ah, j’entends même, à ce sujet, vous donner des ordres.

Fantômas se leva, gagna l’armoire aux formules, prit quelques-unes de celles-ci, dont il remplit les blancs, puis qu’il tendit au gendarme :

— Portez cela au gardien-chef de la prison, ordonna-t-il, ce sont des ordonnances de mise au secret. Je veux et j’entends que les prévenus, dorénavant, ne puissent jamais recevoir de visite sans que j’en sois averti. Allez, gendarme.

— Bien, monsieur le juge.

Le gendarme, pourtant, ne se retirait pas encore.

— Vous avez quelque chose à me dire ?

— Monsieur le juge, c’est pour le rapport ?

— Mais cela concerne le procureur ?

— Le procureur m’a dit, monsieur le juge, de venir trouver M. le juge parce que M. le juge aurait peut-être des choses intéressantes à relever dans mon rapport.

Fantômas sourit, d’un sourire qu’il s’efforçait de faire à la fois blasé et fatigué, puis, il se renversa sur le dossier de son fauteuil :

— Parlez, gendarme, je vous écoute.

À ce moment, on frappa encore à la porte du cabinet du juge d’instruction.

— Entrez.

C’était la concierge du Palais de Justice :

— Monsieur Pradier, commença-t-elle, je ne vous apporte pas le courrier.

— C’est insupportable, je vous ai déjà prévenue, madame la concierge, que je voulais mon courrier tous les matins dès mon arrivée au Palais. Pourquoi ne m’apportez-vous pas le courrier ?

— Je ne vous apporte pas le courrier, monsieur le juge, parce qu’il n’y a rien pour vous ce matin.

Il y avait de quoi être désarmé. Fantômas ne le fut aucunement, car il lui plaisait de se montrer désagréable pour mieux se faire respecter.

— Alors, ce n’était pas la peine de venir me déranger. Allez, madame, allez.

Puis, la concierge une fois sortie, se retournant vers le gendarme, Fantômas interrogea encore :

— Le rapport, mon ami, et vite.

— Monsieur le juge, il n’y a rien au rapport, sauf, cependant, une petite chose.

Au terme de ce préambule, le gendarme prit la voix officielle pour débiter : « Il a été perdu et retrouvé par le gendarme Polydore Marasquin, une chambre à air d’automobile appartenant vraisemblablement à une automobile ayant circulé sur la route de Bessé-sur-Braye à Saint-Calais, portant le numéro apparent 3208 E-7. Cette chambre à air est avariée et en mauvais état, mais pouvant encore faire un long service. »

Fantômas interrompit à cet endroit précis le rapport du brave gendarme :

— Passez. Cela n’a pas d’intérêt pour moi.

Le gendarme, pourtant, ne se démonta pas :

— Faites excuse, monsieur le juge, M. le procureur a dit comme ça que c’était essentiel pour vous, rapport à ce que cette chambre à air avait été perdue à quelque distance de l’endroit du corps de M. Chambérieux, assassiné, et aussi que la voiture étant du Mans.

Fantômas, ahuri, car il ne comprenait pas très bien pourquoi le procureur semblait prendre intérêt au rapport du gendarme, coupa d’un ton sec :

— Il suffit, gendarme. Attendez-moi ici. Je vais voir M. le procureur.

Fantômas abandonna son cabinet personnel, se dirigea vers le Parquet du Tribunal.

M. Anselme Roche suspendit son travail pour accueillir familièrement son collègue.

— Ah, vous voilà, mon cher Pradier ? votre santé est bonne ce matin ? Oui ? vous êtes remis des émotions de votre arrivée ? Allons, tant mieux. Et quoi de neuf ?

— Cher monsieur, répondit Fantômas en serrant amicalement la main de M. Roche, je viens vous voir au sujet du rapport de la gendarmerie. Qu’est-ce que c’est que cette histoire de chambre à air retrouvée ?

— Une histoire très intéressante, mon bon, affirma le procureur, visiblement convaincu. Une histoire extraordinaire. On a retrouvé sur la route de Bessé une chambre à air d’automobile, perdue par une automobile venant du Mans, et cela le jour même où vous arriviez et où Chambérieux était assassiné. J’ai immédiatement pensé que ce pouvait être une piste intéressante pour votre instruction, d’autant qu’en vérité, si je ne m’abuse, la voiture est connue. J’ai pu faire préciser aux gendarmes la chose, c’est une voiture qui est mise en location par un garage du Mans.

— En effet, monsieur le procureur, répondit Fantômas du ton le plus sérieux, c’est peut-être une piste. Et, de toutes façons, rien n’est à négliger. Qui a cette chambre à air ?

— Le gendarme. Il ne vous l’a pas remise ?

— Je vais la lui demander immédiatement…

— C’est cela. Voyez s’il n’y a rien d’intéressant à chercher de ce côté. Au besoin, vous pourriez envoyer une commission rogatoire au parquet du Mans ?

— Soyez tranquille. Je fais le nécessaire, monsieur le Procureur.

Fantômas, de plus en plus amusé par les multiples occupations incombant à sa charge de magistrat instructeur, retourna auprès du gendarme qui, patiemment, l’avait attendu, debout, immobile, n’osant pas s’asseoir.

— Gendarme, vous avez la chambre à air en question.

— La voici, monsieur le juge.

De son bissac, le gendarme tira en effet une chambre à air qu’il tendit au magistrat.

***

— Toi, mon vieux, j’aime autant ne pas te mâcher la viande, tu commences à me corner dans les oreilles. Et, sûr de sûr, si tu fais encore le malin, je m’en vas être amené à te mesurer la figure avec mes cinq phalanges.

— Tais-toi donc. Bébé. Tu sais bien que ce que je te dis, c’est la raison même. Au juste poids.

— Eh ben, t’as pas peur.

— Sûr que non, que j’ai pas peur.

— Oui, mais ça va bien mon colon. Tu veux faire le malin ? Eh bien, je te dis : j’en ai ma claque. Ah mince alors. C’est pas la règle du jeu, ça. Tu poses un et tu retiens tout.

— Non, je retiens pas tout, je prétends voir seulement à ce que tu ne me rafles pas le magot.

— Traite-moi de voleur, alors ?

— Parbleu, Bébé, je m’en priverai.

— Ribonard, mon vieux, ça va tourner mal. J’ai le caractère doux, mais faut pas m’agacer les dents.

— Calme-toi, Bébé. Inutile de me la faire « à l’oseille ». Tu ne m’avaleras pas, tout de même.

— J’te piquerai bien.

— Oh ! faudrait voir, on est deux.

— J’dis pas le contraire, mais je crois tout de même qu’en face de mézigue, tu pèserais pas lourd. Et puis, c’est pas tout ça, où ce qu’est l’argent, où ce que sont les bijoux.

— L’argent ? j’l’ai pas. Tu l’sais bien. Pour ce qu’est des bijoux, j’t’en donnerai ta part. Et voilà tout.

— Autant dire que tu me conseilles de me brosser ? Eh bien, mon vieux, je ne marche pas.

Depuis une heure déjà, Bébé et Ribonard échangeaient des propos aigres, nichés – c’est le terme exact – sur le toit d’une sorte de hangar dressé dans l’un des faubourgs de la ville.

Bébé était de plus en plus furieux. Ribonard s’obstinait.

Bébé, à bout d’argument, répéta :

— Non, je ne marche pas. Plutôt que d’être « fait » par toi, mon poteau, j’aimerais mieux faire parler le petit bijou que voici.

L’apache montrait un revolver. En proie à une colère froide, il compta :

— Si, à trois, tu ne m’as pas renseigné, fais tes prières, Ribonard, c’est sérieux. Allez, parle, un, deux.

— La paix.

Alors, entre les deux complices stupéfaits, un homme se précipita, un homme grand, mince, bien découplé, dont le visage était recouvert d’un masque noir.

Si subite avait été l’arrivée de cet inconnu que Ribonard et Bébé, l’un comme l’autre, demeurèrent quelques secondes incapables d’un mouvement, littéralement figés sur place.

Ribonard, le premier, reprit son sang-froid.

— Qu’est-ce que tu veux, toi ? commença-t-il.

Mais déjà Bébé s’était redressé :

— Ah, nom de Dieu faisait le bonimenteur qui parlait d’une voix tremblante, ah, nom de Dieu, si je m’attendais à celle-là. J’en cracherai ma langue. C’est toi, Fantômas ? Toi ?

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