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Le voyageur n’acheva même pas sa pensée.

— Ma foi, songeait-il, j’en aurai le cœur net. Je vais dépasser encore une fois cet individu et si je suis certain qu’il s’est grimé, j’avertis le commissaire spécial.

Pressant le pas, le voyageur voulut rejoindre celui qu’il soupçonnait, mais qu’il était certes fort loin d’identifier pour le redoutable Fantômas. Mais, à ce moment, malheureusement, les voyageurs commençaient à arriver. Le quai, de plus, fort étroit, était momentanément encombré par un groupe de postiers qui déchargeaient sur le sol les lourds sacs du courrier, si bien que le voyageur n’avait pu rejoindre le mystérieux inconnu.

— Ah çà, où est-il passé ? se demandait-il.

Vexé de s’être laissé jouer, le voyageur qui, de plus en plus, se passionnait pour la recherche bénévolement entreprise, revint sur ses pas, longeant le convoi prêt à partir depuis la locomotive jusqu’au fourgon de queue.

— Peut-être est-il déjà monté en wagon ?

Il fouilla d’un regard avide tous les compartiments, il n’y aperçut pas la silhouette de l’homme qu’il cherchait.

— En voiture, pressons un peu, messieurs, dames.

Les portières claquaient, les employés pressaient leur monde, le train allait s’ébranler et le voyageur, de plus en plus intrigué, continuait toujours ses recherches. Soudain, il tressaillit :

— Eh là, pensa-t-il, je vais rater mon train.

Cette crainte était justifiée, en effet, le convoi venait de siffler, s’ébranlait, lentement, par bonheur.

— Sapristi, songea encore le voyageur furieux, ce serait trop bête de manquer ainsi cet omnibus.

En même temps il prit sa course, prêt à sauter sur le marchepied de la dernière voiture de troisième classe et comptant bien, à la première station, rejoindre le compartiment de première dans lequel il avait déposé ses bagages.

Or, comme ce voyageur courait de toute la vitesse dont il était capable le long du train, voilà que, dépassant un wagon de marchandises dont la porte était demeurée entrebâillée, il poussa un cri de surprise.

En même temps, avec une extrême précipitation et sans tenir compte des exclamations furieuses des employés, le voyageur sauta dans ce wagon de marchandises.

Toute cette petite scène n’avait duré que quelques instants, déjà le train omnibus sortait de la gare de Saumur, déjà il prenait de la vitesse, déjà il se trouvait en rase campagne.

***

— Que me voulez-vous ?

— Qui êtes-vous ?

— Si vous bougez, si vous appelez, je vous jette par la fenêtre.

— Vous n’oseriez pas.

— Ah çà, vous plaisantez ? Vous devez savoir que j’ose tout ?

— Je ne sais rien du tout.

— Alors pourquoi êtes-vous monté ici ?

— Et vous pourquoi vous êtes-vous mis une fausse moustache ?

— Je vous ai dit déjà de ne pas vous occuper de moi.

— Je n’ai pas d’ordres à recevoir.

— Eh bien je vous en donne quand même.

— Taisez-vous.

— Non.

— Décidément, vous avez mauvais caractère. Je vais vous en guérir.

Un bras se tendit, un bras menaçant, armé d’un revolver.

— Je vous l’ai dit : encore un mot et je vous tue.

À peine le voyageur avait-il sauté dans le wagon de marchandises, que le drame s’engageait. Mais que s’était-il passé ?

Au moment où le voyageur inconnu, courant à toute vitesse le long du convoi, avait longé le compartiment de marchandises, désespérant presque de pouvoir rejoindre les voitures de voyageurs, car le train accélérait son allure, il avait aperçu dans l’obscurité même de ce wagon de marchandises deux yeux qui luisaient étrangement dans une face pale, blafarde presque, puis la silhouette à demi visible dans la pénombre de l’inconnu qu’il recherchait.

Sauter dans ce wagon de marchandises, autant pour ne point manquer le départ du train que pour avoir l’explication de la conduite curieuse de l’homme à la moustache postiche avait été pour le curieux voyageur un geste machinal.

Bondissant sur le marchepied, s’agrippant à la porte à coulisse du wagon, le voyageur s’introduisit dans le fourgon, assez adroitement, mais avec tant de précipitation qu’emporté par son élan, il tituba, manqua choir, se heurta aux tonneaux qui chargeaient le wagon.

Et tout de suite, alors que le train filait, l’homme caché dans le wagon, bondit vers son poursuivant :

— Que me voulez-vous ? demandait-il, d’une voix âcre, rauque, furieuse.

C’était à coup sûr un bandit.

Le malheureux voyageur qui venait si inconsidérément de se lancer à sa poursuite, n’en douta pas une seconde. Mais, comme c’était un homme brave, il répondit lui aussi par une question, s’efforçant d’intimider son adversaire, payant d’audace.

— Qui êtes-vous ? demandait-il.

— Vous devez savoir que j’oserai tout.

— Hé hé, pensa le malheureux voyageur avec la folle rapidité que l’on met à penser en de pareilles circonstances, hé, hé, pourquoi me dit-il : « Vous devez savoir » ? Il me prend pour un autre. C’est certainement l’homme que l’on poursuivait. Il s’imagine sûrement que je suis un agent de la Sûreté.

C’est alors, que payant d’audace, le malheureux voyageur demanda de nouveau :

— Pourquoi vous êtes-vous mis une fausse moustache ?

C’est peut-être ce qu’il pouvait dire de plus maladroit en la circonstance.

— Qui est cet homme ? se demandait justement Fantômas. Pourquoi me poursuit-il ? Il n’a pas l’air de se douter de ma personnalité, et cependant il me parle sur un ton de commandement, à la façon d’un agent de police.

— Une fausse moustache, répondit l’Insaisissable, ah çà, vous rêvez, vous êtes fou. Savez-vous que je suis ici pour accompagner ces marchandises, que ce compartiment est chargé de tonneaux qui m’appartiennent et que vous n’avez pas le droit de vous y trouver ?

Fantômas essayait de mentir avec le vague espoir de duper son interlocuteur. L’homme que Fantômas menaçait de son revolver braqué, apparaissait en effet comme de moins en moins intimidé, de moins en moins effrayé.

— Assez, venait-il de crier. Vous vous perdez en voulant vous sauver, mon ami. Je vous dis que je vous ai parfaitement reconnu. Vous avez, à Saumur, quitté le train de Nantes, et, j’en suis certain, à Saumur, où l’on vous recherchait, vous avez mis cette moustache postiche qui vous change un peu.

Or, en même temps qu’il parlait, le voyageur tentait une manœuvre désespérée. Négligeant la menace du revolver toujours braqué sur lui, il se précipita en effet sur Fantômas pour lui décocher en plein visage un coup de poing. Il sauta sur le bandit et il lui arracha sa moustache. Pour une fois que Fantômas n’était pas sur ses gardes, il venait d’être joué par un adversaire qu’il ne connaissait même pas.

— Mort de ma vie, jura le bandit, qui n’avait même pas tressailli sous la violence du coup que lui avait porté l’extraordinaire voyageur. Vous venez de vous condamner. Nul avant vous n’avait frappé Fantômas. Vous ne pourrez aller vous vanter de ce coup de poing auprès de personne.

Et en même temps qu’il parlait, en même temps qu’il hurlait ces mots, Fantômas laissant tomber son revolver sur le plancher du wagon, se fiant à sa force herculéenne, empoignait son adversaire à la gorge, l’étranglait à demi, le renversait sur le sol, où, lui mettant un genou sur la poitrine, il l’immobilisait. Fantômas, à coup sûr, allait tuer le malheureux voyageur. Déjà il se penchait à l’oreille de sa victime, qui les yeux dilatés d’effroi, râlait presque, déjà il lui hurlait :

— Apprends que je suis Fantômas, apprends que Fantômas te condamne à mort.

Or, à cette minute même les freins du train se bloquaient, un grand heurt lançait les uns contre les autres les wagons, le convoi venait d’entrer dans une petite gare, faisait halte.

Fantômas alors vécut d’épouvantables secondes.

Il tenait toujours immobile l’homme qu’il pensait étrangler. Mais il le tenait de telle façon que l’une des jambes de la victime était étendue au travers du fourgon, qu’on devait apercevoir du quai, ses pieds qui dépassaient.

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