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Fantômas, rasséréné, joyeux presque, entra dans les lavabos. Il fit une toilette sommaire, tira de sa valise un col propre, une cravate fraîche, remplaça la casquette qu’il portait par un chapeau mou et même, par surcroît de prudence, s’embellit d’une moustache postiche.

De plus en plus confiant, Fantômas regagna à pas lents le quai où était rangé le train de « 54 », qui devait l’emmener vers Chartres.

— De mieux en mieux, pensait le bandit, s’apercevant que peu de monde prenait place dans les voitures. J’ai eu une excellente idée en songeant à sauter dans ce convoi. Jamais des agents de la Sûreté n’auront la pensée de venir me dénicher dans un omnibus.

Fantômas longea le convoi et, faisant preuve d’une tranquille audace, dépassa la locomotive pour pouvoir inspecter commodément un quai voisin, le quai sur lequel se trouvaient les voyageurs qui allaient remonter dans le rapide de Paris, le rapide qui, précisément, avait conduit Fantômas à Saumur et qui, dans quelques instants, allait repartir.

Or, Fantômas, n’avait pas jeté les yeux sur les voyageurs encombrant encore ce quai proche et se disputant pour s’engouffrer par les portières trop étroites des voitures à couloir, qu’il éclatait de rire :

— Quels imbéciles que les agents.

Il rit de plus en plus fort, amusé de constater que les agents de la Sûreté, qui en effet avaient visité de fond en comble le rapide, se décidaient, n’ayant point trouvé Fantômas, à partir à bord du train pour y continuer leurs perquisitions.

— Allez donc et bonne route, murmura le bandit. Ah, en vérité, ils ne sont pas forts. Aucun d’eux n’a songé même que je pouvais abandonner le train de Paris pour prendre le tortillard qui part pour Chartres.

Or, Fantômas n’avait même pas pivoté sur lui-même, que l’inquiétude déjà le saisissait.

À trois pas devant lui, en effet, le bandit venait d’apercevoir un inconnu élégamment vêtu, l’attitude un peu hautaine et fière, qui l’observait attentivement.

— Miséricorde, songea Fantômas, tournant la tête pour éviter que son regard ne se croisât avec celui de cet individu. Est-ce donc encore un agent de la Sûreté ? Suis-je donc reconnu ?

Fantômas pressa le pas, mais entendit distinctement que l’homme qui venait de le dévisager se mettait, lui aussi, à marcher, et que, lui aussi, hâtait le pas.

La manœuvre était si nette qu’une sueur froide perla aux tempes de l’Insaisissable.

— Je suis pris, murmura-t-il, cette fois, je ne puis échapper à mon sort. Tenter de sortir de cette gare, c’est de la folie : je ne ferais pas trois pas sans être appréhendé par les argousins. Rester sur ce quai, c’est accepter d’avance que cet agent me mette la main au collet. Monter dans le train ne m’avancerait à rien.

Marchant droit devant lui, se mordant les lèvres au sang, un éclat de fureur dans les yeux, Fantômas avançait toujours.

Oh, il reconstituait parfaitement la marche des événements qui tournaient pour lui de si tragique façon.

Léon et Michel, de Nantes, avaient télégraphié son signalement à Saumur. Les agents avaient visité le train venant de Saumur et allant à Paris, n’y ayant pas trouvé Fantômas, ils s’étaient séparés en deux bandes.

Presque tous, ils étaient partis avec le convoi pour Paris, les autres étaient demeurés dans la gare, et maintenant surveillaient les départs des petits trains allant dans d’autres directions.

— C’est un agent, ce bonhomme-là, se répétait à satiété Fantômas, qui, cette fois, sentait une angoisse folle lui tenailler le cœur. Il va appeler ses collègues. Que faire ? Il me reste peut-être dix minutes pour agir. Hum je n’invente rien. Vais-je donc me laisser prendre de cette stupide façon ?

Fantômas, qui marchait toujours droit devant lui, arrivait au bout du quai. Prêt à tout, résigné déjà, Fantômas pivota sur lui-même.

Or, comme il revenait vers la locomotive du train, comme il recommençait à longer le convoi, il ne put s’empêcher de tressaillir.

L’homme, le voyageur élégant qui l’avait dévisagé quelques minutes avant, était toujours sur ses traces, et le dévisageait encore avec une fixité gênante.

— Parbleu, pensa Fantômas qui, à ce moment, considérait son arrestation comme à peu près faite, parbleu, ma moustache postiche me change un peu et c’est ce qui le fait hésiter. Hélas, cela, c’est l’affaire de quelques minutes. Dans quelques minutes, fatalement, l’homme se sera habitué à ma moustache, il me reconnaîtra malgré elle.

Et, pour se donner du courage, Fantômas se répétait :

— Je suis pris, bien pris.

Fantômas était même si absorbé, il connaissait si bien l’épouvante, en ce moment, lui, le Roi de l’Effroi, il fuyait si réellement au hasard, incapable de trouver une idée nette, d’inventer une ruse satisfaisante, qu’il allait heurter une théorie d’hommes qui s’avançaient vers le train en partance, surchargés de gros sacs. C’étaient des postiers.

Fantômas s’excusa, un instant, se mêla à eux. Mais, pour la troisième fois, il tournait la tête, l’homme élégant lui marchait toujours sur les talons.

15 – UN MORT SUR MESURE

— Ou je suis le dernier des imbéciles ou je n’ai plus la moindre notion de la façon dont opèrent les agents de la Sûreté ou, véritablement, il se passe ici un drame que je ne suis peut-être pas le seul, en dehors des intéressés, à soupçonner.

L’homme qui se faisait ces réflexions, en gare de Saumur, était un voyageur assez élégant, qui venait de déposer dans un compartiment de première classe de l’omnibus de Chartres, une valise en peau de vache marquée des deux initiales : C. P.

L’inconnu songeait toujours.

— Évidemment, je ne me trompe pas, car enfin comment expliquer, si ce n’est pas une recherche de police, l’étrange enquête à laquelle on s’est livré tout à l’heure, tant auprès de moi qu’auprès des autres personnes qui se trouvaient dans mon compartiment ? Si l’on ne recherchait pas quelqu’un, pourquoi nous aurait-on demandé, aux uns et aux autres, nos qualités, noms, professions et domicile ?

Or, comme le rapide avait démarré, comme il disparaissait au lointain, Fantômas se retourna, regarda l’inconnu qui se trouvait derrière lui, puis s’éloigna à grands pas.

Il était à coup sûr naturel que les deux hommes se fussent regardés, ils étaient tous deux dans un endroit désert du quai, fortuitement aussi bien que volontairement, ils pouvaient avoir échangé un coup d’œil. Fantômas, cependant, ne s’y était pas trompé.

— Bigre, avait murmuré le bandit, cet homme observe.

En fait, Fantômas n’était pas loin de la vérité. L’esprit mis en éveil par l’enquête à laquelle il venait d’être soumis, le voyageur, en effet, n’avait pas vu sans un mouvement de vive surprise le visage du bandit.

— Ah ça, avait pensé le voyageur, si étonné qu’il demeurait immobile, puis qu’il s’était précipité sur les traces de Fantômas, ah çà, je ne me trompe pas ? ce monsieur, c’est bien le compagnon de route que j’avais tout à l’heure en quittant Nantes, à quelques tables de moi au wagon-restaurant ? Et pourtant.

Certes, il lui semblait que l’individu qu’il venait de croiser était bien le consommateur du wagon-restaurant, il en avait l’allure, la démarche, la taille, la corpulence, les cheveux, et pourtant il en différait par quelques détails difficiles à préciser.

— C’est le même visage et pourtant.

À ce moment, Fantômas, parvenu au bout du quai, devait pivoter sur ses talons, croiser à nouveau l’homme qui le suivait.

Cela suffit au voyageur pour, tout d’un coup, avec une netteté évidente, deviner ce qui l’intriguait si fort.

— Oh, oh, pensa l’inconnu, si je ne me trompe, ce serait bigrement grave. Non seulement, cet individu a changé quelque chose à sa tenue, son faux col, sa cravate, son chapeau, je ne sais quoi, mais encore, si je ne m’abuse, il s’est mis une fausse moustache. Est-ce que, par hasard, les recherches que l’on opérait tout à l’heure…

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