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Pas de bruit, pas de lumière. Fandor s’approcha, sonna. Long bruit de la clochette. Rien. Mais la porte était entrebâillée.

« Allons-y », se dit Fandor qui franchit le seuil, mais il hésitait sur la marche à suivre quand il entendit des gémissements, un cri :

— Au secours ! Délivrez-moi !

C’était la voix du jeune Faramont.

Que lui était-il arrivé ?

Fandor ouvrit la première porte, craqua une allumette : la pièce était vide. La porte du fond était fermée à clé. De derrière elle venait, plus nette, la voix de Jacques qui continuait d’appeler.

— Me voilà, cria Fandor, courage !

Un léger bruit surprit le journaliste. Il se retourna : la porte par laquelle il était entré venait de se refermer brusquement. Il y courut, la secoua. Trop tard. La clé avait tourné. Fandor, à son tour, était prisonnier. Le journaliste n’était pas près de se décourager. Il avisa la fenêtre, l’ouvrit. Des volets cadenassés en interdisaient l’accès. Par les jours de ceux-ci, il aperçut une forme blanche, cependant qu’un grand cri d’angoisse déchirait le silence de la nuit.

Soudain, derrière la forme blanche avait surgi une autre silhouette, et Fandor frissonna. Une ombre venait de glisser le long de la maison, au ras de la fenêtre, tout contre les volets derrière lesquels Fandor était posté.

Le journaliste poussa un sourd grognement, puis, ayant pris son browning dans sa poche, par les interstices des volets, il tira.

En effet, il avait vu, à n’en pas douter, la silhouette tragique du Maître de l’Effroi se profiler, noire sur fond de nuit. Était-ce possible, puisque Fantômas était en prison ?

— Ah par exemple ! s’écria le journaliste, c’est plus fort que tout, il faut que je sache, que j’en aie le cœur net !

Et ses doigts impuissants à ouvrir les volets s’ensanglantaient sur les persiennes qui résistaient à ses efforts. Tout en agissant de la sorte, il regardait par les interstices ce qui se passait dans le jardin. Une nouvelle stupeur le cloua sur place. Une femme passait à travers le parc. Elle courait, et, comme à un moment donné elle traversait le rayon lumineux d’un réverbère, Fandor la reconnut :

— Sarah Gordon !

C’était en effet l’Américaine. Fandor n’eut pas le temps de s’interroger longuement et de se demander par suite de quelles circonstances, curieuses, l’Américaine se trouvait là.

Quelqu’un courait après elle, la saisissait par le bras : ce quelqu’un avait la silhouette de Fantômas que Fandor voyait nettement désormais, enveloppé dans son grand manteau noir.

Sarah Gordon poussa des hurlements de terreur qui, soudain, s’arrêtèrent.

Fandor avait pris son arme, mais n’osait tirer. En visant Fantômas, il risquait d’atteindre l’Américaine.

Et dès lors, ses efforts se concentraient sur le volet qu’il s’efforçait d’arracher de ses gonds. À un moment donné, Fandor poussa une exclamation de joie, il lui semblait que le volet cédait.

« Encore quelques instants, se disait-il, et je serai, moi aussi, dans le jardin. »

Au même moment, un bruit de portes enfoncées retentit et quelqu’un surgit dans la pièce où était Fandor. C’était Jacques Faramont qui venait de démolir la porte de la pièce voisine où il était enfermé.

— Fandor ! appela-t-il d’une voix angoissée.

— Venez, cria le journaliste, je suis enfermé moi aussi, aidez-moi donc à démolir ce volet.

Les deux jeunes gens unirent leurs efforts.

***

Cependant, Sarah Gordon avait quitté ses hôtes à dix heures moins le quart exactement, sur le conseil de M. de Keyrolles, qui voulait lui éviter de manquer son train.

Elle était venue dans l’allée, surprise de ne pas rencontrer Jacques Faramont. Et tandis qu’elle faisait les cent pas devant la maison, elle s’était rapprochée de la grille de la maison abandonnée, voisine de celle des Keyrolles.

L’Américaine, alors, avait entendu des bruits insolites provenant de l’intérieur de l’habitation. Audacieuse et curieuse aussi, elle s’était introduite dans le jardin, mais aussitôt elle avait poussé un cri, car une forme blanche, une forme féminine avait passé brusquement devant elle.

Poursuivant l’apparition blanche, surgissait une forme noire qui s’arrêta net en l’apercevant et murmura :

— Sarah !

C’est à ce moment précis que retentit le coup de feu de Fandor, et Sarah Gordon terrifiée, ne comprenant rien, poussa des hurlements de terreur. Elle avait cru reconnaître, elle avait reconnu, il n’y avait pas à en douter, la silhouette tragique et formidable du monstre de l’effroi, du Génie du Crime, de Fantômas, dont elle avait failli être la victime, déjà, quelques semaines auparavant. Mais comment Fantômas se trouvait-il là puisqu’il était en prison ?

Soudain, Sarah Gordon se sentit défaillir. Elle essaya de s’enfuir, elle ne put le faire, elle tomba à genoux dans le gazon. Une main cependant s’était posée sur son épaule, puis cette main, la prenant par le bras, l’obligea à se relever, l’entraîna avec une brusquerie extraordinaire.

Sarah Gordon, furieusement, résista :

— Au secours ! hurla-t-elle.

Puis elle entendit que de l’intérieur de la maison, on lui criait :

— Résistez, nous arrivons !

Sarah Gordon, cependant,, était entraînée par l’effroyable silhouette noire, puis, soudain, au moment où elle sentait chavirer sa raison, une voix connue proféra à son oreille :

— N’ayez donc pas peur, Sarah, reconnaissez-moi donc. C’est moi, venez.

En même temps l’homme se démasqua et Sarah Gordon, blanche de terreur, demeurait interdite à la vue de son visage.

L’homme qu’elle avait devant elle, le Fantômas qui venait de l’appréhender, ce n’était pas le Roi du Crime, qu’elle avait vu une seule fois mais dont les traits s’étaient irréductiblement gravés dans sa mémoire, c’était Dick.

— Venez, répétait le jeune homme.

Et dès lors, Sarah Gordon, incapable de la moindre volonté, mais rassurée, fort perplexe, se laissait entraîner.

Cinq minutes après cette extraordinaire rencontre, Fandor et Jacques Faramont ayant enfin triomphé de la résistance du volet, sautaient dans le jardin, et Fandor, le revolver au poing, s’enfonçait dans la nuit.

Le parc était désert, on n’y entendait plus rien.

Après quelques rapides recherches, Fandor se rapprocha de Jacques Faramont :

— Écoutez-moi, fit-il, cette femme, cette femme blanche, lorsqu’elle est venue vous ouvrir, avez-vous remarqué son visage ?

— Oui.

— Est-ce une femme jeune ou vieille ?

— Elle avait des cheveux blancs, cependant il me semble, bien que son visage soit recouvert d’un voile épais, que ses traits étaient jeunes.

« C’est Hélène, ce ne peut être qu’Hélène, songeait Fandor, qui se dissimule sous ce déguisement, mais pourquoi… ? Oui, pourquoi ? »

Et de même que la mystérieuse dame blanche avait, quelques jours auparavant, recommandé à Faramont de ne parler à personne de leur rencontre, Fandor demanda au fils du bâtonnier de ne rien dire à personne, pour le moment du moins, de ce qui venait de se passer.

***

— Enfin Dick, m’expliquerez-vous ?

En face de Sarah, l’acteur se tenait, très pâle.

Il était une heure du matin environ. Dick et l’Américaine étaient rentrés à Paris. Ils se retrouvaient dans l’appartement du jeune homme.

Au sortir de la villa mystérieuse, Dick avait entraîné Sarah vers une voiture automobile qui les avait emmenés à grande allure, et, dans ce véhicule, il avait dépouillé la cagoule disposée sur son visage, et le grand manteau noir qui l’enveloppait.

En vain Sarah l’avait-elle questionné. Dick l’avait suppliée de se taire, de ne pas lui poser une seule question avant qu’ils ne fussent arrivés chez lui, où ils pourraient s’entretenir sans risque d’être entendus.

Longtemps, Sarah Gordon s’était contenue ; elle avait obtempéré au désir de Dick, s’était abstenue de prononcer une seule parole pendant toute la durée du trajet.

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