Литмир - Электронная Библиотека
A
A

Fantômas était assis dans un coin d’ombre. Il semblait vouloir se dissimuler et, chaque fois que la porte du bouge s’ouvrait dans le jardin, il jetait un regard inquiet à l’arrivant, un regard qui s’éclairait seulement lorsqu’il reconnaissait un individu appartenant au monde de la pègre.

Fantômas, cependant, n’obtenait pas les renseignements qu’il voulait, car il paraissait d’humeur détestable.

— Tais-toi, Bedeau, dit-il.

Et comme le Bedeau, qui avait commencé à chantonner, lui jetait un regard mauvais, Fantômas reprit :

— Si tu n’es pas content, d’ailleurs, va-t-en.

Dans la troupe où il y avait Beaumôme, Mort-Subite, le Barbu, des grognements s’élevèrent.

— Dis donc, Fantômas, commença Beaumôme, ça ne t’a pas rendu aimable, la prison, et puis, tout de même, faudrait voir à nous raconter comment que tu t’es débiné.

— Tais-toi, dit le bandit.

Et il se tourna vers l’entrée de la tonnelle. L’homme qui s’approchait n’était autre que Bouzille. Fantômas l’appela :

— Viens ici !

Mais Bouzille était entre deux vins.

— C’est pour boire un coup ? demanda-t-il. Pour boire un coup à la santé de la mariée ? Eh bien, je reviens de la noce.

L’ancien chemineau titubait, essayait des entrechats qui menaçaient de compromettre son équilibre et d’occasionner une chute grotesque.

Fantômas se leva, il bondit plus qu’il ne courut vers l’homme et, le secouant :

— Bouzille, me reconnais-tu ?

— Le patron ? dit Bouzille. Pas possible ? Eh bien ! Et comment que ça va ?

— Bouzille, sais-tu où est ma fille ?

— Ta fille, Fantômas, ah, oui, ta fille… Eh bien dame, ça, c’est dommage…

Et il s’interrompit. Mais Fantômas l’avait empoigné à nouveau :

— Parle donc, misérable, hurla-t-il, où est Hélène ?

— Chez Isolino.

— Chez qui ?

— Chez Mario, avec Nadia.

— Où cela ?

— Dans leur cave.

— Mais, que fait-elle là ?

Bouzille grogna quelque chose d’inintelligible, puis porta la main à son gosier :

— Pas possible de parler, faisait-il d’une comique voix de fausset. J’ai tellement soif que mes paroles tombent en poussière.

— Bois, dit le Maître du Crime à Bouzille.

Le chemineau lampa l’alcool d’une seule gorgée et, en faisant claquer sa langue, déclara :

— Et alors, patron, qu’est-ce qu’il y a pour votre service ?

— Tu disais que ma fille était chez Mario Isolino avec Nadia dans la cave. Est-ce vrai ?

— Oui, c’est vrai, c’est même pour cela que je suis soûl. J’ai vu la chose, ça m’a fait de la peine et j’ai décidé de me taper la tête.

— Mais quoi ? Qu’as-tu vu ? Parle donc !

— Eh bien, voilà : paraît qu’Hélène les a floués. La demoiselle leur avait indiqué un coup à faire. Mario et Nadia y ont été avec elle, et puis, quoi, maintenant, elle ne veut plus partager, elle dit qu’elle n’a pas pris de pèze.

— Alors ?

— Alors le Mario et la Nadia l’ont chopée en douce, l’ont ficelée par les pattes et maintenant, dans leur cave, je crois qu’ils lui font chauffer les pieds, histoire de lui faire dire où elle a caché la galette.

Fantômas, d’une poussée, envoya rouler Bouzille. Son attitude avait pris quelque chose de dur, d’impénétrable :

— Les aminches, demanda-t-il d’une voix sifflante, vous savez où habitent Nadia et Isolino ?

— Oui, à deux pas, répondit le Bedeau.

— Alors venez tous avec moi. C’est ma fille qu’il faut sauver de là.

Une certaine hésitation se manifesta parmi les groupes. Ce que demandait Fantômas était grave. Mario Isolino et Nadia logeaient en effet dans un petit pavillon au fond d’une cour derrière un grand immeuble habité par de nombreux locataires. Dans ces conditions comment tenter un coup ?

Mais Fantômas avait l’habitude qu’on lui obéît. Le bandit avait tiré de sa poche une liasse de billets de banque :

— Il y en a pour tout le monde, dit-il. Quand je demande un service je paye.

Et il paya en effet. À ces bandits il distribua les billets bleus.

— Vous venez ?

— Oui ça va. On radine.

Huit hommes sortirent du cabaret, derrière Fantômas. Si la police les avait rencontrés, ces huit individus, elle les eût arrêtés tous les huit et sans doute, quelques mois plus tard, leurs huit têtes fussent tombées sous le couteau de Deibler, mais les rues de Montmartre étaient désertes. C’est sans faire nulle rencontre, sans apercevoir aucun passant que la petite troupe atteignit le logis d’Isolino et de Nadia.

Alors, l’affaire ne traîna pas.

D’un coup d’épaule le Barbu fit sauter la porte, puis pêle-mêle, en se bousculant, la bande envahit la cave où Nadia et Isolino s’occupaient, en effet, à torturer la malheureuse Hélène.

— Bandit, misérable ! hurla Fantômas.

Il sauta à la gorge de l’Italien qui roula sur le sol. En même temps une clameur formidable s’éleva :

— Bravo, Fantômas !

Nadia, déjà, était réduite à l’impuissance.

La lutte n’avait duré qu’un instant.

Fantômas se retourna, cherchant des yeux Hélène.

— Ma fille ? demanda-t-il.

Hélène n’était plus là.

Devenu blême, Fantômas dut s’appuyer à la muraille pour ne point choir. Le monstre avait évidemment une terrible envie de revoir sa fille et il devait éprouver une déception cruelle à s’apercevoir qu’elle lui avait échappé une fois de plus.

Pourtant, après un instant d’abattement, Fantômas se rapprochait de Nadia qui, attachée, sur ses ordres, gisait sur le sol :

— Tu me paieras tout cela, hurla-t-il au visage de la pierreuse. Ce qui arrive est de ta faute.

Il allait continuer à parler, il allait menacer encore la Circassienne, lorsqu’il crut surprendre sur son visage une extraordinaire expression, presque une invite au silence.

Fantômas se baissa. Il s’agenouilla sur le sol, approcha son visage du visage de Nadia et répéta avec une haine effroyable, de façon à ce que les apaches présents pussent l’entendre :

— Tu torturais ma fille. Tu mourras dans la torture.

Mais la Circassienne lui disait :

— Tais-toi et fais sauver les copains, j’ai à te parler. Fantômas, j’ai une commission à te faire de la part de la dame de Ville-d’Avray.

***

Pendant ce temps, folle de terreur, Hélène fuyait dans la nuit.

Hélène se demandait à haute voix :

— Était-ce bien mon père ? Était-ce bien Fantômas, qui est venu me sauver tout à l’heure ou bien était-ce l’autre ?

Sa main froissait sous son corsage les précieux papiers dérobés la veille à Enghien.

11 – L’HOMME QUI A TUÉ

— En somme, toute l’affaire est arrangée maintenant. J’en suis bien content.

C’était Jacques Faramont qui venait d’exprimer ainsi son optimisme.

Fandor releva la tête :

— Arrangée ? Qu’entendez-vous par là ?

— J’entends, mon cher ami, que la fâcheuse agression dont mon père a été victime n’a pas eu les conséquences tragiques que l’on pouvait redouter. Papa est complètement guéri de la secousse morale et physique qu’il a éprouvée. Il va et vient comme auparavant, s’occupe activement de ses affaires, aussi bien de celles qui concernent le Palais, que de ses objets d’art. Ce brave Érick Sunds, grâce à la perspicacité de M. Juve, a été complètement innocenté.

— Oui, tout cela est exact.

— Et, ce qui n’est pas pour me déplaire, mon cher Fandor, le secret de mes amours avec Brigitte a été bien gardé. Je vous en remercie sincèrement, vous avez été à mon égard, dans cette affaire, d’une discrétion et d’une délicatesse que je n’oublierai jamais.

— Comme vous dites, tout cela est terminé, mais le plus important n’est pas fait. Il reste à trouver les auteurs de l’agression.

Le fils du bâtonnier était venu voir Jérôme Fandor chez lui. Il lui avait demandé par lettre un rendez-vous. Les deux jeunes gens s’étaient retrouvés dans l’appartement du journaliste, rue Richer, vers cinq heures de l’après-midi. Il y avait déjà un quart d’heure qu’ils étaient en tête à tête, Jacques Faramont n’avait encore dit que des choses insignifiantes.

29
{"b":"176524","o":1}