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Était-ce bien vers le vol que la fille de Fantômas conduisait Isolino et Nadia ?

À vrai dire, il eût fallu peu connaître Hélène pour la croire capable d’une pareille chose. Il ne fallait pas songer davantage qu’elle conduisait ses misérables compagnons à une souricière, qu’elle se préparait à livrer à la police les coupables de la tentative de Ville-d’Avray.

Certes, Hélène était honnête. Certes la pure jeune fille avait horreur de ceux qui l’accompagnaient, mais elle était cependant trop loyale pour jamais trahir ceux qui se confiaient à elle, pour jamais les livrer à la police.

Hélène avait de tout autres desseins.

La jeune fille avait appris, en effet, le vol dont Juve avait été victime. De plus, elle connaissait le coupable. Elle savait que Dick était l’auteur de ce vol. Elle savait que ses papiers, ces fameux papiers qui jadis avaient fait couler tant de sang au Transvaal, se trouvaient entre les mains du terrible acteur, et c’était cela, maintenant, qu’elle voulait aller reprendre de force à Dick.

Or, tandis que le tramway filait sur Enghien, tandis qu’Hélène réfléchissait à la tentative désespérée qu’elle allait entreprendre, Dick et Sarah se promenaient lentement, amoureusement enlacés dans le grand jardin de l’hôtel où, sur l’ordre de Juve, Sarah Gordon continuait d’habiter.

Dick était en train de faire à la jeune femme une brûlante déclaration d’amour :

— Ma chère, affirmait l’acteur d’une voix prenante, sa voix des scènes de tendresse, ma chère, vous avez douté de moi et c’est de là que viennent tous nos malheurs, il fallait être plus confiante, il fallait savoir que je n’étais pas l’homme à vous déclarer un amour que je n’aurais pas éprouvé. Il fallait comprendre aussi que si je vous suppliais de demeurer en France, c’est qu’en réalité, je ne pouvais pas m’en aller au moment où vous le désiriez.

— Taisez-vous, dit la jeune femme. Vous me parlez de confiance, et vous devriez pourtant savoir que la confiance est impossible désormais entre nous.

— Impossible, pourquoi ?

— Parce que je sais assez de choses pour me rendre compte que je suis folle de vous aimer. Parce que je n’ai plus de doute, vous vous moquez de moi, vous avez une maîtresse, vous aimez une autre femme.

Or, à ces mots, Dick éclatait de rire :

— Sarah, ma bonne Sarah, répondait-il, en prenant de force le bras de la jeune femme et en le serrant amoureusement, je vous jure que vous déraisonnez ! J’ai peut-être eu besoin d’éprouver votre amour, peut-être ai-je voulu savoir si vous m’aimiez assez pour être jalouse de moi. Peut-être même, ai-je simplement voulu jouer un peu avec votre cœur. Mais de grâce, n’imaginez point qu’il soit une autre femme au monde que j’aime autant que vous.

— Vous mentez. J’ai vu cette Hélène. Je sais qu’elle est votre maîtresse. Elle me l’a dit.

— Sottise !

— Non, vérité, Dick. Oh n’essayez pas de m’abuser. J’ai bien compris qu’elle vous aimait et que vous l’aimiez !

— Sarah, j’ai un moyen pour vous convaincre. Si vous voulez ne pas douter de mon amour, acceptez ce que je vais vous proposer.

— Quoi donc ?

— Voulez-vous que nous partions en Amérique ?

— Quand ?

— Demain, ce soir, si vous voulez ?

— Je voudrais vous croire. Je voudrais oser accepter votre offre. Mais elle me semble trop belle.

Elle se taisait, elle réfléchissait, puis soudain, elle frissonna.

Le grand parc de l’hôtel dans lequel Sarah et Dick se promenaient ainsi, était planté d’épais massifs que l’ombre de la nuit faisait encore plus touffus et plus mystérieux. Les deux jeunes gens s’étaient éloignés des bâtiments, ils se trouvaient au bout du jardin et le silence de la nuit semblait peser de tout son poids.

— Avez-vous entendu ?

— Non, je n’ai rien entendu.

— Vous me jurez, Dick, que vous n’aimez pas Hélène ?

— Oui, je vous le jure.

— Si je vous prenais au mot, si j’acceptais de partir en Amérique, nous partirions immédiatement ?

— Oui, nous partirions.

— Si vous m’aimiez ? commençait Sarah.

Mais au même moment, la jeune femme s’interrompit, elle poussa une exclamation d’effroi.

— Mon Dieu, Dick, je ne me trompe pas. On marche ici, à côté, dans le fourré.

— Ma chérie, vous êtes nerveuse et impressionnable et c’est pour cela que vous croyez entendre quelque chose, alors qu’en réalité, il n’y a rien. Non, nous sommes seuls ici.

— Rentrons à l’hôtel, voulez-vous ?

— Soit, rentrons.

Dans le silence calme du soir un coup de sifflet retentit.

— Allons-y ! avait crié une voix.

À quoi une voix de femme répondit :

— Ne lui faites pas de mal ! Il faut seulement l’arrêter !

Trois hommes avaient surgi. Et tandis que Sarah affolée s’élançait en avant, ayant si peur qu’elle ne pouvait même pas crier au secours, Dick était renversé sur le sol, étranglé à moitié. On le fouillait, on lui arrachait son portefeuille.

Trois minutes plus tard, avertis par Sarah Gordon dont l’émotion faisait peine à voir, les gens de l’hôtel, portant des torches et armés de tout ce qui avait pu leur tomber sous la main, accouraient dans les allées du parc.

Or, en arrivant, les domestiques aperçurent l’acteur, un peu pâle, mais cependant très calme.

— Eh bien, que s’est-il passé ? Où sont-ils ?

Dick les rassura d’un mot :

— C’est une déplorable méprise qui vient d’avoir lieu, murmurait-il. C’est une abominable méprise ; je me promenais avec miss Gordon lorsque nous avons rencontré d’autres passants. Nous nous sommes mutuellement pris pour des voleurs et voici pourquoi elle s’est enfuie, voici pourquoi elle a donné l’alarme.

Dick en riant fournit d’autres détails sur sa mésaventure. Il semblait amusé.

Une demi-heure plus tard, cependant, Dick était à genoux devant la malheureuse Sarah, encore toute pâle et dolente, étendue sur une grande chaise longue et Dick lui disait :

— Si vous m’aimez, Sarah, par pitié vous ferez semblant de croire à la fable que j’ai racontée tout à l’heure aux gens de l’hôtel.

— On s’est vraiment jeté sur vous ?

L’acteur se leva. Il baisa doucement les paupières endolories de la jeune femme et lui répondit d’une voix très lasse :

— Oui, Sarah, tout cela est vrai. Et tout cela est terrible. Par pitié, ne m’interrogez pas. Il n’y a qu’une chose que je puisse vous dire : je vous aime et il n’y a point de ma faute dans tout ce qui arrive. Oui, sans doute, on vient de se jeter sur moi. On vient de me voler, de me voler des papiers auxquels je tiens plus qu’à la vie. Mais, je les rattraperai, il faudra bien qu’Hélène…

Or, Dick avait à peine laissé échapper le nom de la fille de Fantômas, qu’il avait parfaitement reconnue parmi ses agresseurs, que Sarah se dressait devant lui :

— Ah je savais bien que vous la voyiez toujours et que cette femme voulait se venger. Dick, si vous m’aimez comme vous le dites, partons, partons tout de suite.

— Non, je ne peux plus partir ce soir. On vient de me voler. Il faut que je rattrape les voleurs.

Et se penchant sur Sarah, il la prenait dans ses bras, il la berçait comme on berce une enfant malade :

— C’est vous que j’aime, murmura-t-il, et c’est vous que j’aime par-dessus tout, par-dessus tous. Jamais il n’y a eu un mot d’amour entre cette Hélène qui vous fait peur et moi.

Sarah ne comprenait plus ce qui s’était passé, Sarah ne devinait pas et ne pouvait point deviner quels étaient les papiers que l’on venait de voler à Dick ; elle frémissait seulement en l’entendant répéter :

— Je me vengerai.

***

Dans les bosquets obscurs du Cabaret des Raccourcis, un groupe d’apaches entourait Fantômas, ou du moins un homme vêtu de noir et masqué.

Depuis une heure, le Génie du Crime – si c’était bien lui – était là, et depuis une heure, au milieu de ceux qui l’avaient aidé à accomplir ses desseins, il interrogeait avec cette autorité qui lui était propre et qui faisait que tous s’inclinaient devant lui, acceptaient ses ordres, exécutaient ses commandements, et cela souvent sans comprendre où le Maître voulait en venir.

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