Mario Isolino devait se jeter sur l’homme à terre et lui fouiller les poches.
Malgré l’émotion, Nadia, qui était également terrorisée par l’attitude de son amant, avait réalisé sans trop de difficulté la première partie du programme. Et alors que le bâtonnier tombait par terre, la Circassienne se félicitait de son adresse, s’étonnait même de la facilité avec laquelle une faible femme pouvait renverser un homme, lorsque celui-ci ne s’y attendait pas. Une foule de pensées se pressait en même temps dans l’esprit de Nadia qui songeait aussitôt :
— Du moment que j’ai réussi à le renverser, Mario Isolino ne le tuera pas.
En précipitant à terre le bâtonnier, la Circassienne était tombée, elle aussi, mais à genoux, dans l’allée. Elle se releva. À ce moment, elle poussa un cri terrible et, de même, elle entendit deux autres cris. L’un poussé par le bâtonnier, l’autre par son amant : une effroyable douleur la prenait aux yeux, il lui semblait que du feu courait sous ses paupières, lui incendiait la pupille. Puis, soudain, elle se sentit entraînée par la main. Trébuchant, aveugle, et souffrant le martyre, elle se laissa emmener en gémissant. Quelques secondes après, elle se rendait compte qu’elle était hors de la propriété, dans l’avenue déserte. La personne qui l’entraînait, qui l’avait pour ainsi dire arrachée de l’allée, emportée, c’était son amant.
Et Mario Isolino, d’une voix contractée par l’angoisse, articulait cependant qu’il geignait, lui aussi :
— Sauvons-nous, sauvons-nous, c’est du sortilège.
***
— Eh bien, comment vous sentez-vous, mon pauvre Faramont ?
Le bâtonnier ouvrit les yeux, puis les referma aussitôt, il éprouvait aux paupières une intolérable cuisson. Il avait reconnu, cependant, la voix de son beau-frère.
Il se sentait immensément las, fatigué, brisé, comme après un violent effort ou une grande maladie. Il se rendit compte qu’il était étendu sur quelque chose de souple et de doux, une chaise longue ou un canapé. Puis, il éprouva une sensation réconfortante, deux lèvres s’appuyaient sur son front, cependant qu’il percevait la voix angoissée de sa femme qui murmurait :
— Mon pauvre Henri, que vous est-il donc arrivé ?
Le bâtonnier fit un nouvel effort, ouvrit encore les yeux, et regarda autour de lui. Il était dans la chambre de son beau-frère, sur le lit et, à son chevet, se trouvaient, indépendamment de M. de Keyrolles et de M me Faramont, son fils Jacques, sa sœur, M me de Keyrolles, et enfin un personnage qu’il ne connaissait pas, un homme en bras de chemise, qui prenait des compresses et les lui passait sur les tempes.
— Le médecin, dit M. de Keyrolles à son beau-frère.
Et le bâtonnier, alors, se souvint de ce qui lui était arrivé.
Au moment où il pénétrait dans la propriété voisine, il avait éprouvé un choc violent, une secousse, puis un blanc. Le bâtonnier éprouva une émotion. Il savait qu’il avait déjà un certain âge et, raffermissant sa voix, pour ne pas montrer qu’il avait peur, il interrogea, regardant fixement le médecin :
— C’est une attaque, n’est-ce pas ? De la congestion ? Oh, il vaut mieux me le dire, je suis fort, je n’ai pas peur de mourir.
Mais le médecin le rassurait :
— Pas le moins du monde, monsieur.
— Une attaque, peut-être, mon cher beau-frère, lui dit Keyrolles, mais pas du genre de celle que vous croyez. Vous avez été victime d’une attaque au sens propre du mot, mon pauvre ami. Qu’alliez-vous faire dans cette maison voisine de la nôtre ?
— J’allais voir une potiche ancienne.
Dans son entourage on s’entre-regarda. M me Faramont, nettement déclara :
— Vous le voyez, je m’en doutais, c’est un guet-apens.
Jacques était venu embrasser son père. Se tournant vers son oncle, il déclara :
— J’ai bien fait de prévenir la police, par téléphone. Nous allons avoir tout à l’heure la visite d’un inspecteur de la Sûreté. C’est Juve qui doit venir.
M. Faramont cherchait en vain à rassembler ses souvenirs, il se rendait compte qu’il y avait une lacune dans sa mémoire, il interrogea :
— Enfin, expliquez-moi ce qui s’est passé. Quelle heure est-il ?
On lui répondit :
— Dix heures et demie.
— Ce n’est pas possible, s’écria le bâtonnier, que m’est-il donc arrivé depuis huit heures du soir ?
M. de Keyrolles interrogea d’abord le médecin du regard ; mais le praticien comprenait la question :
— Vous pouvez lui parler, dit-il, M. le Bâtonnier n’a pas de fièvre, et est déjà rétabli de la commotion qu’il a éprouvée.
— Eh bien voilà, fit M. de Keyrolles en s’adressant à son beau-frère. Ma femme et moi nous étions dans le jardin à respirer l’air frais, nous vous attendions tous trois, vous, votre femme et votre fils par le train de huit heures et demie lorsque, vers huit heures moins le quart, des bruits suspects provenant de la propriété voisine ont attiré notre attention. Et nous nous demandions ce que cela pouvait être, lorsque notre bonne Brigitte, qui était dans le jardin, elle aussi, est accourue vers nous, toute pâle. « Monsieur, m’a-t-elle dit, il se passe quelque chose à côté, j’ai entendu crier et courir. » Les paroles de Brigitte ont augmenté mes inquiétudes. Précédant Augustine et la bonne, j’ai franchi la haie qui nous sépare de la maison voisine et, à ma grande surprise, à ma grande terreur aussi, je puis vous le dire, je vous ai trouvé étendu au travers d’une allée, évanoui, le visage couvert de poivre.
— De poivre ? s’écria le bâtonnier. C’est donc pour cela que j’ai tant souffert des yeux ? Pas de doute, j’ai été victime d’une agression.
Puis il eut un brusque sursaut, porta la main à sa poitrine :
— Mon argent, s’écria-t-il.
Le bâtonnier fouillait fiévreusement son portefeuille. Il poussa un soupir de satisfaction :
— Je n’ai pas été volé, fit-il, et c’est heureux, j’avais trente-deux mille francs sur moi. Alors, interrogea-t-il en regardant son fils, tu as prévenu la police, mon petit Jacques ?
— Oui, mon père, fit le jeune homme.
M me de Keyrolles, dans un angle de la pièce, s’efforçait de calmer sa belle-sœur. M me Faramont était en effet toute tremblante, terrifiée.
— Depuis qu’Henri a accepté de défendre ce sinistre bandit, murmurait-elle, j’y pense tout le temps, je ne vis plus. Ne dirait-on pas là une agression à la Fantômas ?
Doucement, M me de Keyrolles rassura sa belle-sœur.
— Puisque Fantômas est en prison… commença-t-elle.
Mais d’un geste, M me Faramont l’interrompit et la femme du bâtonnier proféra :
— Ce n’est pas l’avis d’Henri. Henri croit que son client n’est pas le vrai Fantômas.
8 – UNE ENQUÊTE DE JUVE
Une petite voix flûtée criait à travers la porte :
— Il est cinq heures, monsieur, levez-vous !
Juve s’éveilla. Cependant il était encore plongé dans un demi-sommeil car, machinalement, il s’écria :
— C’est compris, Jean, je me lève.
Or ce n’était évidemment pas Jean, son vieux domestique, qui venait de lancer cet appel. Jean n’avait pas une voix de femme aussi fluette, aussi pointue.
Pour éviter d’être repris par le sommeil, l’inspecteur de la Sûreté ne se posa pas de questions. Il bondit hors du lit mais ses genoux heurtèrent le plancher, le matelas sur lequel Juve reposait était en effet au niveau du sol et, tandis qu’il se frottait les rotules qu’il s’était violemment heurtées, Juve se souvint qu’il n’était pas chez lui, mais à Ville-d’Avray, dans la villa de M. de Keyrolles.
Il y était arrivé la veille à minuit sur un appel téléphonique du fils du bâtonnier.
Juve, toutefois, n’avait pas pu interroger le principal intéressé, la victime de l’attentat. M e Henri Faramont dormait à ce moment, et le médecin qui l’avait soigné avait défendu qu’on le troublât.
Juve, alors, au grand ébahissement de toute la famille qui l’entourait et le pressait de se rendre sur les lieux de l’agression, annonçait avec son calme imperturbable :