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— Tu peux être certaine, ma petite Nadia, que le bâtonnier, à l’heure actuelle, a sur lui au moins vingt-cinq ou trente mille francs.

— Par les Saintes Images, déclara-t-elle, c’est une fortune !

— Une petite, fit-il, mais une fortune tout de même.

Isolino se leva :

— Viens, fit-il précipitamment, nous sommes arrivés, voici Ville-d’Avray.

— Est-ce loin ? demanda Nadia.

— Cinq cents mètres environ, peut-être un peu plus. Dépêchons-nous !

Et tous deux coururent dans l’avenue déserte.

La nuit tombait. Quelques rares becs de gaz luttaient péniblement, et sans grande efficacité d’ailleurs, contre l’ombre.

— Mais où allons-nous le recevoir ?

Sans ralentir, Isolino répondit :

— Dans le jardin de la maison où il a rendez-vous.

— Dans le jardin ? balbutia Nadia. La propriété n’est donc pas habitée ?

— Il n’y a rien à craindre. Io te dis que nous nous tiendrons dans le parc, il est rempli de buissons très serrés, d’ailleurs, io connais l’endroit, tu penses bien que io suis venu déjà reconnaître les lieux où doivent se dérouler nos aventures.

Au bout d’une dizaine de minutes, le couple arrivait tout à l’extrémité de Ville-d’Avray, dans une avenue vide. Du doigt Isolino désigna une propriété, dont la grille apparaissait au loin.

— C’est là, dit-il.

Et malgré elle, Nadia sentit son cœur se serrer.

La propriété où se rendaient l’Italien et la Circassienne était voisine de celle appartenant à M. de Keyrolles, le beau-frère du bâtonnier.

C’était dans le jardin de cette propriété que, quelques jours auparavant, le fils du bâtonnier avait passé en compagnie de la jeune Brigitte, sa maîtresse, une soirée bizarre.

Comme toujours, la grille était entrebâillée.

Les deux personnages, étouffant le bruit de leurs pas, se glissèrent sans bruit dans le jardin. Mario Isolino connaissait évidemment les lieux. Il obliqua tout de suite à gauche, montrant le chemin à sa maîtresse, puis vint se tapir sous un buisson épais. Il la fit asseoir à côté de lui, tous deux soufflèrent un instant. De là, ils pouvaient voir sans être vus. À travers le feuillage, ils apercevaient au fond du parc, une masse sombre, la maison abandonnée. Mario Isolino fouilla la poche intérieure de son veston, tandis que Nadia s’épongeait le front.

— Ah mon Dieu, dit la jeune femme, qu’est-ce que’ c’est ?

Le visage de Mario Isolino s’illumina d’un sourire sinistre :

— C’est un couteau, déclara l’Italien, qui ajouta avec un air cruel : l’arme la plus sûre et la plus efficace. Elle tue aussi bien qu’un revolver, mieux même, et ne fait pas de bruit.

— Tu as donc l’intention de frapper ?

L’Italien haussa les épaules :

— Io ne sais pas. On ne sait jamais. Cela dépendra de la façon dont tu lui passeras ce foulard autour du cou.

— Mon Dieu, il faut donc que moi aussi…

— Parbleu, s’écria l’Italien.

Et dès lors, d’un ton sec, autoritaire, il expliqua à sa maîtresse le rôle qu’elle avait à remplir. Nadia tremblait, elle secoua la tête :

— Non, non, dit-elle, je n’oserai jamais, cela me fait trop peur.

Mais soudain, elle étouffa un cri de douleur. Son amant lui serra le poignet, lui tordit le bras :

— Tu m’obéiras, Nadia, d’abord, il est trop tard pour reculer, et ensuite io ne veux pas que la femme que io choisis soit indigne de moi. Io te le répète, cela dépend de toi, si tu ne veux pas qu’il meure, fais ce que io t’ai dit et fais-le bien.

Nadia allait répliquer. Un léger bruit la fit tressaillir et se taire. Isolino lui aussi prêta l’oreille, il était accroupi sous le buisson, son couteau ouvert tenu entre les dents, les deux poings crispés.

— Quand il arrivera, murmura-t-il, io vais bondir devant, tu le prendras par-derrière.

Mais soudain, il s’arrêta, et empêcha Nadia de s’élancer comme il semblait qu’elle en avait l’intention.

— Ce n’est pas lui, répétait Isolino.

Et, du doigt, il désignait à sa maîtresse, qui l’apercevait, s’esquissant vaguement dans le lointain, une silhouette humaine qui venait de se glisser dans le jardin et se dirigeait du côté opposé à celui où se trouvait le sinistre couple.

Inquiète, Nadia interrogea :

— C’est peut-être quelqu’un de la maison ?

— C’est une femme en tout cas, répliqua Isolino, qui paraissait surpris et il ajouta :

— Io croyais la maison abandonnée.

— Elle a l’air jeune, cette femme, elle marche vite.

— On ne peut pas savoir, à cette distance, et avec l’obscurité qu’il fait.

Quelques secondes après, d’ailleurs, tout retomba dans le silence, et l’on n’entendit plus le moindre bruit. Toutefois, une des fenêtres de la maison abandonnée s’éclaira. Une lueur rougeoyante traversa les vitres et vint éclairer d’un pinceau lumineux une des pelouses du jardin.

— La maison est habitée, murmura Nadia.

Mais Isolino lui serrait le poignet :

— Tais-toi donc bavarde, déclarait-il, cependant qu’il ajoutait :

— Cette fois, c’est lui !

Le pas d’un homme faisait craquer les graviers du jardin.

Il y avait un quart d’heure environ que le train amenant Isolino, Nadia et le bâtonnier, s’était arrêté à Ville-d’Avray, mais alors que le couple tragique se dépêchait de venir se tapir dans les buissons épais de la villa voisine de l’habitation des Keyrolles, le bâtonnier, que rien ne pressait, s’acheminait vers le même but, mais à petits pas lents.

M e Henri Faramont avait attendu la sortie des derniers voyageurs, espérant découvrir parmi eux le Danois Érick Sunds.

Il avait éprouvé une légère désillusion, en s’apercevant que le chineur n’était pas dans ce train, qui l’avait amené lui, comme c’était convenu.

— Ah ces artistes, avait pensé le bâtonnier, tous les mêmes ! On voit bien qu’ils n’ont pas comme nous des professions sérieuses et bien réglementées. On ne peut pas compter sur leur exactitude.

Le bâtonnier se demandait s’il devait aller tout seul voir cette potiche signalée par Érick Sunds. Il hésita quelques instants, mais son instinct d’amateur, son tempérament de collectionneur, l’incitaient à ne pas négliger d’aller voir cet objet au plus tôt, de ne jamais remettre au lendemain ce qu’il pouvait faire le jour même.

— Cela n’empêchera pas, se disait-il à lui-même, cet excellent M. Sunds de toucher sa commission au cas où…

Le bâtonnier savait, en effet, où s’adresser : Sunds lui avait dit que la propriétaire de la potiche chinoise habitait la maison placée à droite de celle occupée par son beau-frère.

— Je me présenterai moi-même, voilà tout, se dit le bâtonnier.

Le bâtonnier sonna à la grille, par discrétion, car celle-ci était ouverte. Il entendit le son d’une cloche grêle se répercuter au lointain et il attendit. Mais nul ne vint au-devant de lui, et le bâtonnier, impatient, las d’attendre, l’introduisit dans le jardin.

Il remarqua qu’à travers les allées poussaient de longues herbes.

— Maison délabrée, gens dans la misère, pensa-t-il, J’ai bien fait d’apporter de l’argent, j’obtiendrai la potiche à meilleur compte.

Le bâtonnier hésita quelques instants, mais il remarqua qu’au fond de la propriété se trouvait la maison. Au milieu de la tache sombre qu’elle formait, pointait une petite lumière qui tendait à prouver qu’il y avait là quelqu’un.

— Ma foi, pensa l’avocat, entrons. On verra bien.

Il avait à peine fait quelques pas dans la direction de la maison, que soudain il poussa un hurlement de surprise et de terreur. Puis, il s’écroula.

Mario Isolino, d’une part, et Nadia, de l’autre, avaient surgi en effet derrière leurs buissons, au moment où M e Faramont, qui ne se doutait de rien, passait à proximité.

L’agression avait été combinée de la façon suivante : c’était Nadia qui devait attaquer la première, elle était munie d’un solide foulard, elle devait s’élancer sur le bâtonnier et lui passer ce foulard autour du cou. Puis, tirer violemment afin de le faire tomber en arrière.

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