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Juve hocha la tête :

— Je le sais, madame, lorsque vous vous serez révélée, vous aurez, de ce fait, innocenté Garrick du crime qu’on lui reproche…

Lady Beltham précisa :

— Garrick sera donc libre… Fantômas sortira de prison…

— À ce prix, répliqua Juve, j’achète la liberté de Fandor…

— Mais, poursuivit lady Beltham, Garrick une fois libre, qu’adviendra-t-il de Fantômas ?…

Juve, franchement déclara :

— Je n’ai rien promis… la lutte reprendra plus que jamais. C’est une trêve entre nous, un pacte que nous signons. Soyez assurée que je veillerai à ce que Fantômas tienne sa parole…

— Et, interrogea lady Beltham, il accepte ces conventions ?

— Il les accepte, madame…

Lady Beltham se leva, son visage affectait désormais un calme imperturbable. Sur ses traits se peignaient les signes d’une froide résolution :

— Vous croyez à la parole de Fantômas, dit-elle, consentez-vous à croire à celle de lady Beltham ?…

— Certes.

— Monsieur Juve, poursuivit dès lors la grande dame, dites-moi ce que je dois faire, je vous obéirai. Quand partons-nous ?

À travers les rideaux mal joints, paraissait l’aube. Juve consulta sa montre :

— Nous avons trois heures, dit-il, trois heures encore au terme desquelles vous viendrez avec moi, madame, au greffe de Pentonville où vous déclarerez vous appeler M meGarrick…

***

Vers sept heures du matin, Juve, les traits tirés, le visage défait, en homme qui vient de passer une nuit blanche, et de vivre l’émotion la plus intense de sa vie, se présentait au greffe de la prison.

Un gardien chef l’aperçut :

— Ah, c’est vous déjà, « 416 ». Peste, vous arrivez de bonne heure. Je croyais que votre service ne commençait qu’à neuf heures du matin. Hé, hé, c’est votre dernier jour de garde. On pend Garrick demain. Dans vingt-quatre heures, à l’heure qu’il est, son cadavre sera déjà froid…

— C’est à savoir, dit énigmatiquement le policier, qu’à la prison, on ne connaissait que sous le nom du policeman 416.

— Que voulez-vous dire ?

— Supposez qu’un fait nouveau survienne… que par exemple, M meGarrick songe à se présenter devant la justice… ceci tendrait peut-être à prouver que son mari ne l’a pas assassinée ?

— M meGarrick… M meGarrick… répéta le gardien chef, en effet, l’événement serait peu ordinaire, mais j’aime à croire qu’il ne se produira pas. Et puis vous savez, policeman, depuis deux jours, il y a du nouveau…

— Vraiment, fit Juve, c’est-à-dire ?

— Il y a du nouveau en ce sens que M meGarrick n’est pas M meGarrick…

Juve réprima un tressaillement.

— Que signifiaient les déclarations de cet homme ?

Le gardien s’arrêta soudain de parler, mais Juve allait être renseigné :

Quelqu’un qui venait d’entendre le son de sa voix, entrouvrant la porte d’un petit bureau voisin, l’appelait :

C’était Shepard.

— Policeman 416, disait le détective, puisque vous êtes arrivé, venez donc avec nous.

Intrigué, Juve s’était introduit dans la pièce où l’appelait Shepard et où se trouvait déjà un magistrat, M. Tilping, le coroner qui avait été chargé de l’instruction du procès Garrick.

Juve salua et attendit qu’on voulût bien l’interroger.

Sans toutefois paraître se préoccuper de sa présence, le coroner continuait sa conversation avec Shepard. Le magistrat tenait à la main plusieurs photographies, que Juve ne put apercevoir sans une vive émotion.

C’étaient des portraits de lady Beltham.

Le coroner déclarait :

— Shepard, il faut l’arrêter au plus tôt. Cette femme, nous assure-t-on, se cache en Angleterre. Il est de notre devoir d’opérer sa capture.

Shepard opinait de la tête :

— Vous pouvez être assuré, monsieur le coroner, que nous allons faire l’impossible pour nous saisir de lady Beltham… ce qui nous permettra de savoir pourquoi la maîtresse de Fantômas a fait assassiner French et pourquoi elle voulait se faire passer pour l’épouse défunte du condamné Garrick.

Juve ne bronchait pas, mais son inquiétude augmentait. Qu’était-il donc arrivé ? et si l’on avait découvert que M meGarrick et lady Beltham ne faisait qu’une, s’était-on aperçu aussi que le formidable bandit détenu dans la prison sous le nom de Garrick n’était autre que Fantômas ? Or, chose extraordinaire, Juve, qui aurait été si satisfait d’une telle solution quelque temps auparavant, la redoutait à présent, car il se disait :

— Fantômas démasqué, lady Beltham arrêtée, c’est le châtiment assuré pour les deux coupables, mais c’est aussi la perte certaine de Fandor, car les bandits, convaincus que je les aurai trahis, se refuseront à tenir leurs promesses, à me dire ce qu’est devenu mon malheureux ami.

Mais Shepard venait de l’appeler auprès de lui, le détective lui expliquait :

— Il faut que je vous mette au courant, policeman, des derniers événements, car nous allons avoir besoin de vous. Voici la photographie d’une femme, regardez-la bien.

Shepard montrait à Juve le portrait de lady Beltham.

— Cette femme, continuait le détective, nous avons cru un moment que c’était M meGarrick, mais nous avons appris par des communications venues de France, par les aveux du Bedeau, arrêté hier à Paris, par de nouvelles déclarations de Beaumôme, incarcéré, grâce à vous, par d’autres détails encore, que cette femme, qui prétend être M meGarrick, sans doute pour dissimuler sa véritable personnalité, n’est autre que lady Beltham, la maîtresse du sinistre bandit, la maîtresse du formidable Fantômas. On ignore qui est Fantômas, où il est… et cela n’est pas notre affaire pour le moment, de chercher à le découvrir. Mais nous savons que lady Beltham est en Angleterre, à Londres. Elle y a été vue, tout récemment. Plusieurs de nos agents s’occupent de la découvrir. Je connais vos qualités, policeman 416, et d’accord avec M. le coroner, nous avons décidé de vous confier le soin de rechercher la maîtresse de Fantômas.

Cependant que Juve blêmissait, Shepard, en lui tendant un mandat d’arrêt, sur lequel figurait le nom de lady Beltham, mandat que venait de signer le coroner, ajoutait à l’oreille de son subordonné :

— Cette arrestation, policeman 416, vous vaudra, je vous l’assure, vos galons de sergent…

Ah ! décidément, la vie aventureuse et mouvementée que menait Juve lui ménageait les plus extraordinaires surprises ! Voici que par un hasard miraculeux, au moment où précisément il amenait lady Beltham à la prison de Pentonville, il apprenait que la police anglaise, découvrant soudain l’identité de la grande criminelle et lui contestant la qualité d’épouse de Garrick, se disposait à l’arrêter.

Et c’était lui, Juve, que l’on chargeait de cela.

Et c’est à lui que l’on disait ignorer où se trouvait Fantômas, alors que Juve savait qu’il se trouvait dans la cellule toute proche.

Juve songea un instant qu’il avait désormais à son entière merci le couple des formidables criminels. Lady Beltham amenée par lui, impatiente, anxieuse de voir Fantômas, l’attendait dans une voiture, à quelques mètres de la porte de la prison. D’autre part, derrière les sombres murs de Pentonville, Fantômas, enfermé dans son cachot, attendait sans s’en douter la décision de Juve…

Jamais la situation n’avait été meilleure, et cependant Juve n’en profiterait pas.

Ah ! une terrible lutte se livrait en lui ! Sa conscience lui commandait d’agir, lui dictait cette déclaration :

« Oui, cette femme dont vous avez sous les yeux la photographie, c’est bien lady Beltham, la maîtresse de Fantômas, et elle se trouve, ne soupçonnant rien, à cent mètres d’ici. Quant à Garrick, que vous maintenez en prison, que vous allez pendre demain matin, c’est Fantômas lui-même. Il suffira d’un mot, d’une confrontation des deux bandits, pour le proclamer à la face du monde entier. »

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